Disruption. S’il y a bien un mot à la mode dans l’économie moderne, c’est celui-là . Chaque entrepreneur prétend y participer, chaque investisseur la recherche, mais combien en sont réellement capables ? Et surtout, que cela signifie-t-il vraiment ?
Le terme « innovation disruptive » a été largement évoqué depuis la fin des années 1990 grâce au professeur de Harvard, Clayton Christensen, qui l’a identifié comme un processus par lequel un produit ou service s’implante au bas du marché et finit par supplanter les concurrents établis.
Ces derniers temps, de nombreux exemples de cet effet viennent à l’esprit : Netflix et Amazon sont deux cas évidents. Ce qu’ils ont réussi à accomplir, ce n’était pas seulement de supplanter leurs concurrents, mais aussi de créer des paradigmes entièrement nouveaux. Qui parmi nous se souvient de l’époque sombre où nous devions quitter la maison pour louer des cassettes VHS et acheter des produits ?
L’industrie de la fertilité : prête pour une disruption ?
La vie moderne a introduit de nouveaux comportements, comme le “binge-watching”, mais elle a également été témoin d’un changement radical de la fertilité humaine. Dans de nombreux pays à travers le monde, la fertilité est en forte baisse, et en réponse, les techniques de procréation assistée (PMA) sont en plein essor. La fécondation in vitro (FIV) est l’une de ses PMA ; développée en 1978, elle a depuis permis la naissance de plus de 10 millions d’enfants. Le nombre de couples ayant recours aux PMA pour concevoir des enfants est en augmentation constante, avec une hausse de 10 % par an.
Mais la FIV présente des inconvénients majeurs. Tout d’abord, elle est coûteuse. Au Canada, toutes les provinces ne couvrent pas le coût du traitement (ou “cycle”, comme l’appelle l’industrie) ; dans les provinces où les frais sont à charge de l’utilisateur, ils peuvent atteindre une somme de 15 000 dollars. Dans les pays à faible revenu, le cout d’un cycle de FIV peut représenter jusqu’à 200 % du revenu total annuel d’une personne, selon The Economist, rendant ainsi l’ensemble du processus impossible.
Mais ce qui est encore plus accablant, c’est le faible taux de réussite : seulement 30 %. En raison de cela, les couples doivent souvent passer par plusieurs cycles avant de pouvoir concevoir. Au Royaume-Uni, le taux de réussite moyen après 6 cycles de FIV est de 63,5 %. Cela représente 30 000 livres sterling de traitements. Aux États-Unis, le coût moyen par couple ayant recours à la FIV est similaire, soit environ 60 000 dollars américains.
Qu'est-ce que cela représente à l’échelle globale ? Le marché mondial des services de fertilité est évalué à 34,7 milliards de dollars et devrait dépasser les 40 milliards de dollars au cours des deux prochaines années.
Et la majorité de ces dépenses est liée un traitement qui n’offre qu’un taux de réussite de 30 %. Perturbant ? Absolument.
Recette pour disruption : ajouter des hommes.
La professeure Sarah Kimmins suit de près les tendances en matière de fertilitĂ© depuis un certain temps. En tant que chercheuse en pathologie et biologie cellulaire Ă l’UniversitĂ© de MontrĂ©al (elle est Ă©galement professeure associĂ©e au DĂ©partement de pharmacologie et de thĂ©rapeutique, FacultĂ© de mĂ©decine et des sciences de la santĂ©, UniversitĂ© şŁ˝ÇÉçÇř), elle a consacrĂ© toute sa carrière Ă ce sujet. Elle a particulièrement Ă©tudiĂ© un des ingrĂ©dients clĂ©s du processus de la fertilitĂ© humaine : le spermatozoĂŻde masculin.
“Le spermatozoïde humain, bien qu’il soit l’une des plus petites cellules du corps, est l’une des plus uniques”, a-t-elle expliqué. “En particulier, l’épigénétique du spermatozoïde, qui a évolué pour protéger l’information codée jusqu’à ce qu’elle soit transmise à l’ovule humain.”
Mais, dans le contexte de l’industrie de la fertilité, un autre facteur crucial est la baisse mondiale de la fertilité masculine qui contribue au déclin général des taux de natalité naturels. “Des études récentes montrent qu’il y a eu une diminution de 50 % du nombre de spermatozoïdes chez les hommes au cours des 40 dernières années, et que, dans la moitié des cas d’infertilité, un facteur masculin est impliqué.”, a déclaré Kimmins.
Bien que ce chiffre en soi soit problématique, la réalité est qu’il est souvent complètement ignoré lorsque les couples envisagent d’avoir recours aux PMA pour augmenter leurs chances de concevoir. Cela s’explique par le fait que la quasi-totalité de la charge de soins est placée sur la femme. Très peu d’attention est accordée à l’homme et à la viabilité de son spermatozoïde.
L'une des raisons de cette ignorance délibérée est que les normes actuelles pour diagnostiquer l’infertilité masculine restent inchangées depuis 50 ans et ne sont pas un indicateur précis de la fertilité. Les analyses de sperme actuelles se concentrent uniquement sur trois éléments : la motilité (est-ce qu'ils se déplacent suffisamment ?), le volume (combien il y en a dans le sperme) et la morphologie (la forme des cellules).
Tout cela ne fournit pas une indication fiable de la santé des spermatozoïdes, selon Kimmins, qui a mis au point une technique basée sur le génome pour examiner l’épigénétique des spermatozoïdes, offrant une précision de 94 % pour déterminer si un échantillon de spermatozoïdes est fertile ou infertile.
En plus de pouvoir détecter les spermatozoïdes infertiles, Kimmins est capable de recommander les mesures à prendre pour y remédier. Être en surpoids, par exemple, est un facteur significatif de stérilité masculine. “ La perte de poids a un impact majeur, car elle affecte les niveaux d’hormones chez les hommes”, a-t-elle déclaré.
Fonds d’Innovation de şŁ˝ÇÉçÇř: un pĂ´le pour innovation disruptive.
Fort de son expertise en Ă©pigĂ©nĂ©tique des spermatozoĂŻdes et de sa connaissance de l’industrie de la fertilitĂ©, Kimmins a postulĂ© au Fonds d’Innovation de şŁ˝ÇÉçÇř pour la première fois en 2021. Depuis, elle est revenue chaque annĂ©e et est, jusqu'Ă prĂ©sent, la seule Ă©quipe Ă avoir complĂ©tĂ© chaque Ă©tape du programme de soutien : DĂ©couvrir, DĂ©velopper et, actuellement, DĂ©ployer.
Chaque étape du FIM offre un financement généreux aux équipes : 25 000 dollars pour Découvrir, 50 000 dollars pour Développer et 100 000 dollars pour Déployer.
En 2022, alors qu’elle en était à l’étape Développer, elle a créé une entreprise qu’elle a nommée HisTurn, un nom justifié par ce qu’elle attend accomplir : “ En incluant les hommes dans le traitement de fertilité, nous pouvons transformer l’industrie”, a-t-elle déclaré.
Mais faire partie du Fonds d’Innovation a signifiĂ© bien plus que fournir un soutien financier utile Ă Kimmins. Tout d’abord, cela l’a aidĂ© Ă agrandir son Ă©quipe. Bryan Martin a rejoint HisTurn après avoir rencontrĂ© Kimmins lors d’un des Ă©vĂ©nements de rĂ©seautage du Fonds d’Innovation de şŁ˝ÇÉçÇř.
Il est d’abord devenu membre de son comitĂ© consultatif, que chaque Ă©quipe du Fonds d’Innovation de şŁ˝ÇÉçÇř reçoit dans le cadre de son programme de soutien, mais il s’est ensuite directement impliquĂ© dans l’entreprise en tant que directeur des opĂ©rations. VĂ©tĂ©ran des startups, Martin avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© tĂ©moin de son lot d’innovations disruptives, mais le modèle de HisTurn sortait du lot.
“L’industrie de la fertilité repose sur le désespoir des gens”, a déclaré Martin. “Cette technologie doit être diffusée parce qu’elle va aider les gens ; c’est tout simplement bon pour l’humanité”
Selon lui, le coût des traitements FIV constitue une opportunité particulière pour HisTurn. “En utilisant notre technologie, un couple pourrait réussir à concevoir avec seulement un cycle, au lieu de trois ou cinq.”, a-t-il impliqué.
Gestion de la propriété intellectuelle : un facteur clé pour l’investissement
L'un des dossiers clés sous la responsabilité de Martin pour HisTurn est la gestion de leur propriété intellectuelle. En tant que titulaire ou co-titulaire de plus de 20 brevets dans divers domaines, il est particulièrement bien placé pour cette tâche.
La sensibilisation à la propriété intellectuelle était quelque chose de nouveau pour Kimmins, qui, venant du milieu académique, avait l’habitude de divulguer des informations dans le cadre de son travail. Aujourd'hui, elle admet qu’elle voit les choses différemment. “Mon état d’esprit a changé” a-t-elle expliqué. Les réalités du processus de brevetage l’ont rendue plus prudente quant au contenu de ses publications.
“Nous n’aurions pas Ă©tĂ© en mesure de breveter notre propriĂ©tĂ© intellectuelle ou de prĂ©parer les types de documentation que les investisseurs recherchent,” a dĂ©clarĂ© Kimmins Ă propos du rĂ´le du Fonds d’Innovation de şŁ˝ÇÉçÇř dans la croissance de son entreprise. “Nous n’aurions pas eu l’opportunitĂ© de rencontrer des personnes ayant dĂ©jĂ fait cela auparavant.”
L'entreprise est maintenant Ă la recherche d’investissements importants pour atteindre ses objectifs, dont la finalisation de leur produit minimum viable (MVP). Tout cela est bien loin du monde de la recherche dans lequel Kimmins a commencĂ©. Lorsqu'on lui a demandĂ© si elle se considĂ©rait dĂ©sormais comme une entrepreneuse, elle est restĂ©e rĂ©servĂ©e. “Cela dĂ©pend de la manière dont on dĂ©finit entrepreneuse. Mais il ne fait aucun doute que je ne ferais rien de tout cela sans le Fonds d’Investissement de şŁ˝ÇÉçÇř”, a-t-elle dĂ©clarĂ©. Il semble Ă©galement ne faire aucun doute que les traitements de fertilitĂ© sont sur le point d’être bouleversĂ©s pour le mieux.