Que se trame-t-il sous la surface?
De prime abord, les roches anciennes n’ont rien de bien hospitalier. Pourtant, leurs eaux de fractionnement – qui n’ont pas vu la lumière du soleil depuis des millions, voire des milliards, d’années – peuvent alimenter un vaste écosystème de colonies microbiennes. Des scientifiques ont, en effet, découvert la source d’énergie essentielle à la vie des kilomètres sous la surface terrestre. Et leur découverte jette un nouvel éclairage sur l’existence possible de vie sur Mars.
« La lumière du soleil est normalement essentielle Ă la vie, mais ces microbes des profondeurs de la Terre semblent se contenter du peu d’énergie que leur procure l’eau emprisonnĂ©e dans ces roches anciennes », explique Long Li, professeur adjoint au DĂ©partement des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UniversitĂ© de l’Alberta. Les deux substances vitales contenues dans ces eaux de fractionnement sont l’hydrogène (donneur d’électrons) et le sulfate (accepteur d’électrons). Il semble Ă©vident que l’hydrogène est issu des rĂ©actions entre l’eau et les minĂ©raux rocheux, mais qu’en est-il du sulfate?Â
Le Pr Li et ses collaborateurs de l’UniversitĂ© de Toronto et de l’UniversitĂ©Â şŁ˝ÇÉçÇř ont Ă©tudiĂ© la distribution d’isotopes multiples – c’est-Ă -dire des atomes de soufre contenant un nombre diffĂ©rent de neutrons – dans le sulfate dissous provenant d’une eau « vieille de milliards d’annĂ©es » recueillie 2,4 kilomètres sous la surface terrestre dans le nord de l’Ontario, plus prĂ©cisĂ©ment dans le Bouclier canadien, qui date du PrĂ©cambrien. Ils ont observĂ© un schĂ©ma de distribution particulier qu’ils ont appelĂ© fractionnement des isotopes du soufre indĂ©pendant de la masse.Ěý
Cette signature, croit-on, tĂ©moignerait de rĂ©actions photochimiques intervenues dans la jeune atmosphère terrestre avant la Grande Oxydation, qui remonte Ă 2,4 milliards d’annĂ©es. Ă€ ce jour, cette signature du soufre ancien n’a Ă©tĂ© observĂ©e que dans les roches et les minĂ©raux. Comme la signature isotopique du sulfate dissous concordait avec celle de la pyrite dans les rochers hĂ´tes vieux de 2,7 milliards d’annĂ©es, les auteurs ont dĂ©montrĂ© que le sulfate rĂ©sultait de l’oxydation des minĂ©raux sulfurĂ©s prĂ©sents dans ces rochers, sous l’effet d’oxydants produits par la radiolyse de l’eau.Ěý
« Le sulfate de ces eaux anciennes est différent du sulfate qu’on trouve aujourd’hui dans les eaux de surface. Nous avons constaté que, tout comme l’hydrogène, le sulfate était produit sur place et procédait d’une réaction entre l’eau et le roc. C’est donc une réaction naturelle, qui persistera tant que l’eau et le roc seront en contact, c’est-à -dire potentiellement pendant des milliards d’années.
« Cette dĂ©couverte frappe l’imagination », souligne le Pr Li. « Les rochers vieux de milliards d’annĂ©es, qu’ils soient visibles ou non, constituent près de 70 pour cent de la croĂ»te continentale. « Si les processus gĂ©ologiques naturels peuvent fournir une source d’énergie constante au sein de ces formations rocheuses, il y a lieu de penser que notre biosphère souterraine pourrait s’élargir et s’approfondir notablement.Ěý»
La surface de la planète Mars est, elle aussi, dominĂ©e par des rochers vieux de milliards d’annĂ©es. De fait, en certains lieux de la mystĂ©rieuse planète rouge, l’assemblage minĂ©ral est semblable Ă celui de la zone explorĂ©e dans le nord de l’Ontario. Il n’en faut pas plus pour que les scientifiques envisagent la possibilitĂ© d’une vie microbienne sur Mars.Ěý
« Comme cette configuration gĂ©ologique Ă©tait assez frĂ©quente sur la Terre Ă ses dĂ©buts et l’est Ă©galement sur Mars aujourd’hui, nous pensons qu’en prĂ©sence d’eau et des bons minĂ©raux, peut-ĂŞtre des kilomètres sous la surface martienne, la production de l’énergie nĂ©cessaire Ă la vie microbienne est possible. Je n’affirme pas que ces microbes existent hors de tout doute : je dis simplement que les conditions sur Mars sont propices Ă la vie microbienne.Ěý»
Y a-t-il de la vie sur Mars? Voilà une question qui, depuis longtemps, en taraude plus d’un. S’il y a de la vie sur la planète rouge à l’heure actuelle, conclut le Pr Li, c’est fort probablement sous la surface martienne qu’on la trouvera.
C’est ce que croit Ă©galement Lyle Whyte, professeur Ă şŁ˝ÇÉçÇř et chercheur principal du Programme de formation en astrobiologie canadienne, un programme FONCER (formation orientĂ©e vers la nouveautĂ©, la collaboration et l’expĂ©rience en recherche) du Conseil de recherches en sciences naturelles et en gĂ©nie (CRSNG), qui a contribuĂ© Ă la rĂ©alisation de ce projet de recherche pancanadien. « C’est absolument fascinant, parce que la recherche a montrĂ© que les microbes pouvaient, en s’alimentant de substrats issus de la radiation, survivre dans les profondeurs de la Terre, mais Ă©galement au sein d’autres formations du système solaire, que ce soit Mars, Europe ou Encelade.Ěý»
« Des dĂ©couvertes comme celle-ci, il y en a eu d’autres dans le programme FONCER en gĂ©nĂ©ral, et dans le Programme de formation en astrobiologie canadienne dirigĂ© par şŁ˝ÇÉçÇř en particulier. Elles tĂ©moignent avec Ă©loquence de l’esprit de collaboration qui anime depuis longtemps le milieu de la science au Canada », poursuit le PrĚý°Âłó˛âłŮ±đ.
L’article « Sulfur mass-independent fractionation in subsurface fracture waters indicates a long-standing sulfur cycle in Precambrian rocks » a été publié dans le numéro du 27 octobre 2016 de Nature Communications, revue en libre accès du groupe de publications Nature.