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Une sérieuse menace pour notre culture unique

Ce texte d’opinion a été publié en français dans en novembre 2023.Ìý

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Le 13 octobre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé sa décision de modifier le modèle de droits de scolarité pour les étudiantes et les étudiants de l’extérieur de la province qui fréquentent une université québécoise. Ces changements, qui ne toucheraient pas les étudiants déjà inscrits à l’Université º£½ÇÉçÇø, devraient entrer en vigueur à l’automne 2024.

En vertu de cette décision, les droits de scolarité des étudiants canadiens de l’extérieur du Québec doubleraient pratiquement, passant de 8 992 $ à environ 17 000 $. Les changements s’appliqueraient aux programmes de premier cycle ainsi qu’aux programmes de maîtrise non spécialisée en recherche et aux programmes de maîtrise professionnelle.

Avec le recteur Deep Saini, nous avons abordé les répercussions possibles des changements proposés et la position de l’Université sur cette décision du gouvernement.

Quelles seraient les conséquences des changements proposés pour l’Université º£½ÇÉçÇø?

En plus d’augmenter les droits de scolarité que devraient verser les étudiantes et les étudiants canadiens de l’extérieur de la province, le gouvernement modifierait le modèle de financement des universités, Québec récupérant ainsi une plus grande part des droits de scolarité de l’effectif étudiant international. Si le gouvernement officialise les changements proposés, le tribut à payer sera fort lourd pour l’Université º£½ÇÉçÇø. Il n’y a qu’à penser à la chute du nombre d’étudiants inscrits, à la perte importante de revenus, aux conséquences dévastatrices sur certaines facultés et à l’interruption ou à la réévaluation de certains projets d’infrastructure d’envergure.

Quelles seraient les conséquences des changements proposés sur l’effectif étudiant et les finances de l’Université º£½ÇÉçÇø?

Une hausse aussi considérable des droits de scolarité entraînera une réduction importante du nombre d’étudiants canadiens de l’extérieur de la province. Bien que nous allions redoubler d’efforts pour recruter ailleurs les étudiants qui rempliront les places disponibles, 20 % de ces places resteront libres selon notre

scénario le plus optimiste. Dans le pire des scénarios, cette proportion pourrait atteindre 80 %.

Si l’on ajoute les pertes causées par la récupération d’une plus grande part des droits de scolarité de l’effectif étudiant international, l’Université º£½ÇÉçÇø pourrait subir une réduction de ses revenus annuels de l’ordre de 42 à 94 millions de dollars.

Ces pressions financières sont inquiétantes, mais je me préoccupe aussi des conséquences possibles des changements sur notre effectif étudiant et son expérience à l’Université º£½ÇÉçÇø.

Certaines de nos facultés perdront la plupart de leurs étudiants issus d’ailleurs au Canada. Le coup sera particulièrement funeste pour l’École de musique Schulich, dont la population étudiante au premier cycle provient à près de 40 % de l’extérieur du Québec.

La Faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement, la Faculté des sciences de l’éducation et les programmes interfacultaires de baccalauréat ès arts et ès sciences seront aussi grandement pénalisés par une diminution de l’effectif étudiant de l’extérieur de la province.

Étant donné qu’un tiers de nos étudiants-athlètes viennent de l’extérieur du Québec, nos équipes universitaires seront également fortement touchées. Il nous faudra peut-être dissoudre ou amputer les équipes des Redbirds et des Martlets.

En raison de l’incertitude financière qui plane depuis l’annonce de la hausse des droits de scolarité, il pourrait devenir nécessaire de mettre en œuvre certaines mesures importantes de réduction des coûts, notamment un gel de l’embauche. Nous ferons tout en notre pouvoir pour éviter la suppression de postes, mais nous pourrions être forcés d’envisager aussi cette possibilité.

Quelles seraient les répercussions des mesures annoncées sur l’expérience étudiante?

L’effectif étudiant mcgillois est unique au pays, et sa remarquable diversité contribue à faire de l’Université un endroit extraordinaire. Nos étudiantes et nos étudiants, francophones et anglophones, viennent du Québec, ainsi que des quatre coins du Canada et du monde. À l’Université º£½ÇÉçÇø, une étudiante de

Trois-Rivières peut côtoyer des étudiants de Toronto, de Tokyo, de Turin et de Truro, en Nouvelle-Écosse. Leur vision du monde sera en partie définie par les interactions qu’ils entretiendront en classe.

Les mesures proposées par le gouvernement auraient fort probablement pour effet de modifier la composition de notre effectif étudiant, ce qui représente une sérieuse menace pour la culture unique que nous avons forgée et que nous tentons de préserver.

Le gouvernement soutient que la présence d’étudiants de l’extérieur de la province contribue au déclin du français, particulièrement à Montréal, et que la plupart de ces étudiants ne restent pas au Québec après leurs études, malgré l’absence de données sur ce dernier point. L’Université º£½ÇÉçÇø est sensible à ces préoccupations, et quand le gouvernement a annoncé les changements proposés, nous étions sur le point de lancer un programme ambitieux visant à y répondre. J’aimerais y revenir un peu plus tard.

Les étudiantes et les étudiants de l’extérieur de la province restent-ils tous au Québec après leurs études? Non, mais par le passé, bon nombre d’entre eux l’ont fait et se sont installés ici. Certains se sont joints à l’Orchestre symphonique de Montréal ou à un groupe de rock indépendant, d’autres ont ouvert un restaurant, ont lancé une entreprise, ont contribué à l’essor des secteurs de l’intelligence artificielle et des jeux vidéo, etc.

Quant aux étudiantes et aux étudiants qui retournent vivre dans leur province natale, ils le font après avoir développé une vive appréciation pour la culture québécoise, une meilleure compréhension de la société québécoise et une affection sincère pour la ville et la province. Certains d’entre eux décrocheront un poste important, notamment au sein du gouvernement et du monde des affaires ou universitaire. Le réseau qu’ils auront tissé leur profitera, et profitera aussi au Québec.

N’oublions pas non plus que durant chaque année de leur séjour ici, les étudiants de l’extérieur du Québec injectent des centaines de millions de dollars dans l’économie de la province.

Vous avez mentionné que l’Université º£½ÇÉçÇø préparait un programme afin de répondre à certaines préoccupations du gouvernement relativement aux étudiants de l’extérieur de la province?

Avant que le gouvernement ne dévoile son intention de hausser les droits de scolarité, nous nous préparions à annoncer la création du programme Rayonnement du français, assorti d’un investissement initial de 50 millions de dollars sur cinq ans. Ce programme comprend de nombreux aspects, mais il a avant tout été créé pour faciliter l’intégration linguistique et culturelle de nos étudiantes et de nos étudiants non francophones, ainsi que des membres de notre corps professoral et de notre personnel, dans la société québécoise.

Nous souhaitons bonifier considérablement notre offre de programmes en français, de programmes d’immersion et de stages en français auprès d’employeurs québécois destinés à la communauté mcgilloise. Le programme Rayonnement du français permettrait aussi de renforcer nos partenariats avec les autres universités du Québec.

L’enseignement du français constitue l’un de nos meilleurs outils pour garder au Québec les personnes provenant de l’extérieur; j’en suis d’ailleurs une preuve vivante.

Quand j’ai accepté un poste à l’Université de Montréal en 1987, je ne parlais pas un mot de français. Dix-huit mois plus tard, grâce à l’aide de l’établissement, j’enseignais la biologie végétale dans cette langue.

Si je n’avais pas profité de cette occasion d’apprendre le français, j’aurais quitté Montréal plus tôt, et je n’y serais probablement jamais revenu. Je n’aurais pas eu la chance d’élever mes enfants dans cette ville et de les envoyer dans une école francophone.

L’Université º£½ÇÉçÇø attire des personnes extrêmement talentueuses des quatre coins du Canada et du monde. Nous souhaitons encourager ces personnes à demeurer au Québec et à contribuer à l’essor de la province.

Malheureusement, la récente annonce du gouvernement, en raison de l’incertitude financière qu’elle suscite, a compromis le lancement de notre programme. Nous sommes toutefois déterminés à le mettre en œuvre dans un avenir plus ou moins rapproché.

Comment se déroulent les discussions avec le gouvernement?

Peu de temps après l’annonce des changements proposés, j’ai rencontré en tête-à-tête la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry. Je lui ai fait part de mes craintes au sujet des répercussions que pourraient avoir ces changements sur l’Université º£½ÇÉçÇø et sur les autres universités québécoises.

Plus récemment, le recteur de l’Université Concordia, Graham Carr, le recteur de l’Université Bishop’s, Sébastien Lebel-Grenier, et moi-même avons rencontré le premier ministre, François Legault, ainsi que la ministre Déry. Nous leur avons présenté une proposition commune qui, dans notre cas, correspondait étroitement aux objectifs du programme Rayonnement du français.

Nous avons demandé au gouvernement de renoncer à la hausse proposée des droits de scolarité et d’opter plutôt pour un partenariat avec les universités visant la promotion de la langue française et la création d’un Québec plus prospère.

Pour y arriver, nous lancerions un éventail de programmes conçus pour aider la population étudiante non francophone de l’extérieur de la province à s’intégrer linguistiquement et culturellement à la main-d’œuvre et à la société québécoise.

Le gouvernement a salué ces propositions et notre détermination à promouvoir et à protéger la langue française, mais nous ignorons toujours s’il acceptera ce que nous proposons.

Que se passera-t-il maintenant?

Le débat n’est pas clos. Nous continuerons de démontrer les conséquences négatives que les mesures proposées auraient sur notre établissement, sur le secteur de l’enseignement supérieur et sur la société québécoise dans son ensemble. La province ne gagnera rien à dissuader les personnes talentueuses de venir étudier à l’Université º£½ÇÉçÇø et au Québec, et la croissance économique souhaitée par le gouvernement pourrait au contraire en pâtir. Nous sommes déterminés à continuer d’accueillir des étudiants de partout au Canada et du monde entier.

Je me réjouis toutefois de constater que nous ne sommes pas seuls. Dans un texte d’opinion publié par La Presse, les dirigeantes et dirigeants de l’Université de Montréal, de l’Université Laval, de l’Université de Sherbrooke, de Polytechnique

Montréal et de HEC Montréal indiquent qu’il faut voir les étudiants issus de l’extérieur du Québec « comme des acteurs qui contribuent, comme les étudiants et étudiantes du Québec, à l’excellence, à la qualité, à la diversité et à la pertinence de nos établissements ». Je suis entièrement d’accord avec cette opinion exprimée par mes collègues.

º£½ÇÉçÇø est une université d’envergure mondiale solidement ancrée dans sa collectivité. Elle est d’abord et avant tout un établissement québécois, dont les contributions à la société québécoise et mondiale sont nombreuses. Nous allons tout faire pour continuer d’apporter notre pierre à l’édifice, et sommes résolus à collaborer avec le gouvernement afin d’atteindre nos objectifs communs : protéger et promouvoir la langue française, tout en renforçant l’économie du Québec et le bien-être de sa population.

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