Dans le contexte diversifié et multilingue du Canada, la traduction juridique joue un rôle crucial en soutenant l’accès à la justice, la communication et l’efficacité des procédures judiciaires. Cependant, nombreux sont ceux qui ignorent que le pays subit actuellement une crise linguistique, à savoir une importante pénurie de traducteur·rices juridiques qualifié·es. Cette situation affecte considérablement la qualité des traductions juridiques produites au Canada. Alors que la demande de traducteur·rices juridiques compétent·es ne cesse de croître, certains facteurs externes, tels que les exigences législatives et l’émergence de la traduction automatique et des outils d’IA générative, compliquent davantage la situation.
Pénurie de traducteur·rices juridiques au Canada
La diversitĂ© linguistique du Canada, qui compte deux langues officielles (l’anglais et le français) et de nombreuses autres langues, rend indispensable la disponibilitĂ© de traducteur·rices juridiques compĂ©tent·es. Ces professionnel·les jouent un rĂ´le essentiel pour combler des lacunes linguistiques dans les documents juridiques, les procĂ©dures judiciaires et les divers aspects du système juridique canadien.Â
Cependant, la pénurie de traducteur·rices capables de travailler dans ce domaine exigeant de la traduction a causé d’importants problèmes. Les documents juridiques traduits contiennent souvent des inexactitudes et des erreurs flagrantes, ce qui peut nuire aux droits et aux intérêts des personnes qui s’appuient sur ces traductions. Les conséquences de cette situation s’étendent aux salles d’audience, aux procédures d’immigration et à divers autres contextes juridiques, où le risque de malentendus et de mauvaises interprétations est grand.
Quelques causes fondamentales
Il est important de comprendre les facteurs qui ont contribué à la pénurie de traducteur·rices juridiques au Canada. Selon le Bureau de la traduction du Canada, la demande en matière de traduction juridique au Canada augmente constamment, surtout en raison de la hausse du nombre de demandes d’immigration et de statut de réfugié. Ces demandes nécessitent souvent un examen judiciaire devant la Cour fédérale, ce qui accroît le besoin de traductions juridiques correctes et produites en temps opportun.
Les tribunaux administratifs du pays ont aussi embauché davantage de commissaires et de membres afin d’accélérer le rythme des audiences et de rendre davantage de décisions chaque année. Bien que cette mesure réduise effectivement les retards, elle alourdit la charge de travail des traducteur·rices juridiques, dont le nombre est déjà restreint.
Le vieillissement des traducteur·rices juridiques est aussi un facteur aggravant. Selon un sondage mené à l’été 2020 auprès de 190 jurilinguistes professionnel·les par Marie-Hélène Girard, professeure adjointe et coordonnatrice à l’enseignement du Diplôme d’études supérieures en traduction juridique, 40 % de ces personnes ont au moins 55 ans, et plus de 68 % sont plus près de la retraite que du début de leur carrière. Le flot constant de départs à la retraite, qui se poursuivra dans les dix à vingt prochaines années, ne fera qu’éroder davantage la base de connaissances en matière de traduction juridique au pays.
Utilisation responsable de la traduction automatique et des outils d’IA dans le contexte juridique
Pour répondre à cette demande croissante, les acteurs du marché de la traduction juridique (institutions publiques, entreprises privées, agences de traduction et traducteur·rices indépendant·es) pourraient avoir recours à la traduction automatique neuronale (TAN) ou à l’IA générative (genAI) pour traduire des documents juridiques. Bien que ces outils de traduction présentent de nombreux avantages pour les professionnel·les de la langue, il faut comprendre les risques associés à la traduction automatique dans le domaine juridique. Les documents juridiques sont de nature très délicate et toute erreur ou inexactitude dans leur traduction peut avoir de graves conséquences, comme l’invalidation d’un jugement et la fragilisation de l’intégrité du système juridique. De ce fait, la validation humaine des traductions automatiques est d’une importance capitale, et ce contrôle de la qualité peut être assuré par des traducteur·rices juridiques qualifié·es, qui sont des expert·es en langue et en droit.
Défis législatifs
Le projet de loi C-13 sur les langues officielles, qui propose que les décisions établissant un précédent soient rendues disponibles en même temps dans les deux langues officielles du Canada, vient encore compliquer les choses. Selon le Bureau de la traduction, cela exerce une pression encore plus forte sur des traducteur·rices juridiques déjà surchargé·es, qui doivent produire des traductions de grande qualité dans de plus courts délais.
Dans la foulée du projet de loi 96 au Québec, la pénurie de traducteur·rices juridiques provoque un engorgement et des retards importants et affecte la quantité de documents devant être traduits. Le nombre restreint de traducteur·rices agréé·es qui sont qualifié·es pour traduire des textes juridiques a pour effet d’augmenter la charge de travail de chaque traducteur, ce qui ralentit le processus de traduction. Cette situation pourrait causer une accumulation de documents et entraver la mise en œuvre des dispositions du projet de loi dans les délais prévus.
Le DESS en traduction juridique : une solution idéale
Afin de remĂ©dier Ă la pĂ©nurie de traducteur·rices juridiques qualifié·es au Canada, l’École d’éducation permanente de l’UniversitĂ© şŁ˝ÇÉçÇř offre le DiplĂ´me d’études supĂ©rieures en traduction juridique. Ce programme, crĂ©Ă© en 2020 et offert entièrement en ligne, est conçu pour fournir aux futur·es traducteur·rices les habiletĂ©s et les connaissances requises pour exceller dans le domaine exigeant de la traduction juridique. En aidant les apprenant·es Ă acquĂ©rir l’expertise nĂ©cessaire pour traduire des documents juridiques de manière correcte et efficace, le DESS en traduction juridique joue un rĂ´le clĂ© dans l’amĂ©lioration de la qualitĂ© des traductions juridiques au Canada.
Le DESS en traduction juridique est un programme d’enseignement complet qui aborde les défis et les aspects particuliers de la langue juridique. Les étudiant·es y apprennent à comprendre les subtilités de la terminologie juridique et à s’assurer que les traductions conservent l’intégrité et le sens juridique des documents sources. Le programme favorise aussi leur bonne compréhension des systèmes juridiques du Québec et du Canada, ce qui permet aux diplômé·es de produire des traductions juridiques correctes et culturellement adaptées.
Grâce à ce programme, le Canada pourra bénéficier d’un bassin de traducteur·rices juridiques compétent·es, bien préparé·es pour répondre à la demande croissante dans leur domaine d’expertise. Ces traducteur·rices pourront travailler dans divers milieux juridiques, notamment les tribunaux, les cabinets juridiques, les agences d’immigration, les entreprises et les organismes gouvernementaux, et contribueront ainsi à maintenir la qualité et la fiabilité globales des traductions juridiques au pays.
Regard vers l’avenir
L’état actuel de la traduction juridique au Canada exige de s’attaquer de manière proactive Ă la pĂ©nurie de professionnel·les qualifié·es. L’École d’éducation permanente de l’UniversitĂ© şŁ˝ÇÉçÇř fait un travail remarquable en ce sens avec le DiplĂ´me d’études supĂ©rieures en traduction juridique, dont le but est de former les Ă©tudiant·es Ă pouvoir rĂ©pondre Ă la demande croissante de traductions juridiques fiables et de qualitĂ©, maintenant et Ă l’avenir.
À propos de l'auteur
Ann Marie Boulanger est chargée de cours au Programme d’études supérieures en traduction juridique à l'École d’éducation permanente. Elle est traductrice agréée (OTTIAQ) et propriétaire de Traduction Proteus Inc. Elle est également cofondatrice de l'Académie de traduction LION, qui offre aux traducteurs des ateliers de formation en affaires, en technologie et en langues.