şŁ˝ÇÉçÇř

Photo d'André GideAndré Gide

(1869-1951)

Dossier

Bibliographie

Ouvrages cités

Gide, André, Essais critiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1999.

__________, Journal : 1889-1939, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1951.

__________, Journal des faux-monnayeurs, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1991 [1927].

__________, Correspondances : 1888-1951 (Lettres choisies, présentées et annotées par Pierre Masson), Paris, Gallimard, coll. « folio », 2019.

__________, Si le grain ne meurt, Paris, Gallimard, coll. « folio », 2011 [1924].

Rysselberghe, Maria van, Les Cahiers de la petites dames, t. I-IV, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers André Gide », 1973-1977.

Citations

Essais critiques,ĚýParis, Gallimard, coll. "Bibliothèque de la PlĂ©iade", 1999.

Lettre à Angèle [III], 1898.

[Je] finirais par vous dire que rien ne m’intéresse dans un livre, que la révélation d’une attitude nouvelle devant la vie ; ce qui fait dire : tiens ! l’on pouvait donc encore ainsi s’agenouiller !!

Mais j’exagère…

Je sais que je voudrais pouvoir considĂ©rer ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ d’un artiste comme un microcosme complet, Ă©trange tout entier, mais oĂą toute la complexitĂ© de la vie se retrouve. Je voudrais y sentir une philosophie spĂ©ciale, une plaisanterie spĂ©ciale… (19)

Lettre Ă  Angèle [XI],Ěý1899.

Depuis si longtemps nous n’avions plus de théâtre… ou que sa lente décadence navrait ? – Je soupçonne le roman de l’avoir pour si longtemps abîmé ; Balzac surtout, – puis les mœurs (que Balzac appelait “l’hypocrisie des nations”), nos lois, la bourgeoisie, sans peut-être supprimer rien de la passion animale de l’homme, l’avaient du moins si bien niée, cachée, enlaidie, muselée, qu’elle manquait vraiment d’apparences et que la scène ne suffisait plus à la montrer ; il fallait l’expliquer ; et l’explication peut grossir le roman, mais tue l’art ; l’art n’explique pas, il expose. (66)

De l'Influence en littĂ©rature,Ěý1900.

J’ai lu ce livre ; et après l’avoir lu je l’ai fermĂ© ; je l’ai remis sur ce rayon de ma ˛úľ±˛ú±ôľ±´ÇłŮłóè±çłÜ±đ, – mais dans ce livre il y avait telle parole que je ne peux pas oublier. Elle est descendue en moi si avant, que je ne la distingue plus de moi-mĂŞme. DĂ©sormais je ne suis plus comme si je ne l’avais pas connue. – Que j’oublie le livre oĂą j’ai lu cette parole : que j’oublie mĂŞme que je l’ai lue ; ne me souvienne d’elle que d’une manière imparfaite – n’importe ! Je ne peux plus redevenir celui que j’étais avant de l’avoir lue. – Comment expliquer sa puissance ?

Sa puissance vient de ceci qu’elle n’a fait que me révéler quelque partie de moi inconnue à moi-même ; elle n’a été pour moi qu’une explication – oui, qu’une explication de moi-même. (406)

L’artiste vĂ©ritable, avide des influences profondes, se penchera sur ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ d’art, tâchant de l’oublier et de pĂ©nĂ©trer plus arrière. Il considĂ©rera ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ d’art accomplie, comme un point d’arrĂŞt, de frontière ; pour aller plus loin ou ailleurs, il nous faut changer de manteau. – L’artiste vĂ©ritable cherchera, derrière ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ, l’homme, et c’est de lui qu’il apprendra. (414)

De l'Ă©volution du théâtre,Ěý1904.

Ces prĂ©occupations [extĂ©rieures Ă  l’art, politiques par exemple] existent, il est vrai, pour le roman aussi ; mais, outre qu’elles y sont beaucoup moins nuisibles parce que le roman est une espèce littĂ©raire indĂ©cise, multiforme et omnifage, le romancier qui se laisse guider par elles, s’échappe de la littĂ©rature d’une manière plus avĂ©rĂ©e. Et de quelque outrecuidante rĂ©clame qu’il le fasse prĂ©cĂ©der ou suivre, un mauvais livre, Ă©crit pour la vente, ne se prĂ©sente pas, après tout, d’une manière beaucoup plus impertinente qu’un bon. […] Le roman n’en impose jamais comme ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ théâtrale en impose ; le dramaturge n’est, du reste, jamais seul en cause, mais aussi les acteurs, et le directeur et ses frais. (434)

Il est évident que de nouvelles formes de société, de nouvelles distribution de richesses, d’imprévus apports extérieurs sont pour beaucoup dans la formation des caractères ; mais je crois qu’on est porté à s’exagérer cependant leur importance formatrice – je la crois plutôt révélatrice simplement. Tout a toujours été dans l’homme, d’une manière plus ou moins découverte ou cachée – et ce que les temps nouveaux y découvrent éclôt sous le regard, mais y sommeillait de tout temps. De même que je crois qu’il existe encore à notre époque des princesse de Clèves, des Onuphre, des Céladon, je crois très volontiers qu’il existait déjà bien avant qu’ils n’apparussent dans les livres des Adolphe, des Rastignac et même des Julien Sorel. […] Mais, tant que les voix de ceux-ci n’ont pas retenti ou dans le livre, ou sur la scène, ils languissent ou s’impatientent sous le manteau des mœurs, attendant, attendant leur heure. (442)

RĂ©ponse Ă  l'enquĂŞte de Georges Le Cardonnel et Charles Vellay,Ěý1905.

Le classicisme français n’est qu’une forme du cartĂ©sianisme. C’est une littĂ©rature »ĺĂ©»ĺłÜł¦łŮľ±±ą±đ et aprioristique. Et l’effort le plus antifrançais qui ait Ă©tĂ© tentĂ© est celui qu’on a appelĂ© naturaliste, et que j’appellerais plutĂ´t empiriste. Non pas celui de Zola, qui n’a jamais Ă©tĂ© naturaliste, mais celui des Goncourt. On devrait laisser cela Ă  l’Allemagne. Les Ĺ“uvres françaises que nous admirons sont toutes des Ĺ“uvres de dĂ©duction, des Ĺ“uvres d’aprioristes. (151)

[Le] roman ne répond à aucun besoin précis. De là la difficulté d’en faire un genre. […]

Le roman actuel tombe en dĂ©faillance ; un signe de sa faiblesse est prĂ©cisĂ©ment l’impuissance des romanciers Ă  crĂ©er des caractères neufs. Je crois que le signe des grandes Ă©poques est d’avoir su en crĂ©er. Ces caractères nouveaux n’apparaissent que lorsque l’état des mĹ“urs leur permet de se former. On peut vivre longtemps sur une ˛úľ±˛ú±ôľ±´ÇłŮłóè±çłÜ±đ de caractères dĂ©jĂ  connus : le rĂ´le des romanciers, Ă  cette Ă©poque, consiste alors Ă  feuilleter les Ĺ“uvres prĂ©cĂ©dentes. […] Il est fatal que lorsqu’on veut vivre avec le rĂ©pertoire dĂ©jĂ  connu, on tombe dans une analyse psychologique toujours plus tĂ©nue, ou dans des intrigues toujours plus gratuitement compliquĂ©s.

[…] Rien de neuf, en littérature, ne se fait sans de nouveaux caractères. Je crois les jeunes romanciers très pénétrés de cette vérité, et c’est pourquoi j’ai confiance dans l’avenir du roman. Et puis le roman a tant de façons et de raisons d’être que, lorsqu’une d’elles fait défaut, les autres y suppléent… (152)

Nationalisme et littérature, 1909.

N’eĂ»t-il pas Ă©tĂ© plus intĂ©ressant, plus raisonnable de demander si l’on pouvait oser appeler “haute littĂ©rature” quelque littĂ©rature que ce fĂ»t, qui ne prĂ©sentât pas, en plus de sa valeur reprĂ©sentative inĂ©luctable, un intĂ©rĂŞt universel, c’est-Ă -dire tout simplement humain ? – il eĂ»t Ă©tĂ© facile alors de constater ceci, que je n’ai pas la prĂ©tention de dĂ©couvrir : les Ĺ“uvres les plus humaines, celles qui demeurent d’intĂ©rĂŞt le plus gĂ©nĂ©ral, sont aussi bien les plus particulières, celles oĂą se manifeste le plus spĂ©cialement le gĂ©nie d’une race Ă  travers le gĂ©nie d’un individu. Quoi de plus national qu’Eschyle, Dante, Shakespeare, Cervantès, Molière, Goethe, Ibsen, DostoĂŻevski ? Quoi de plus gĂ©nĂ©ralement humain ? Et aussi de plus individuel ? – Car il faudrait comprendre que ces trois termes se superposent et qu’aucune Ĺ“uvre d’art n’a de signification universelle qui n’a »ĺ’a˛ú´Ç°ů»ĺ une signification nationale ; n’a de signification nationale qui n’a »ĺ’a˛ú´Ç°ů»ĺ une signification individuelle. (177)

±Ę°ů´Ç±č´Ç˛őľ±łŮľ±´Ç˛Ô˛ő,Ěý1911.

Je ne reproche point à Gauthier cette doctrine de “l’art pour l’art”, en dehors de quoi je ne sais point trouver raison de vivre ; mais d’avoir réduit l’art à n’exprimer rien que si peu.

[…] Je lui sais gré d’avoir honni l’art utilitaire, mais je ne puis lui pardonner de n’avoir reconnu qu’utilitaire la pensée ; ou de ne l’avoir pas connue du tout.

[…] L’ennui, le dédain du réel, du présent, la méconnaissance de ce qui ne vient pas de très loin, de ce qui n’a pas été payé très cher, ou de ce qu’on n’a pas reçu de seconde main – voilà qui nous valut peu après l’embardée du naturalisme.

Et je ne reproche point aux hĂ©ros de ses romans ou de ses contes l’irrĂ©gularitĂ© de leurs actes, mais bien que ce soit l’ennui seul qui les pousse Ă  s’échapper de la continuitĂ© du rĂ©el, l’ennui toujours, qui prĂŞte Ă  leurs excès cette allure saugrenue, oĂą certains voudront voir je ne sais quelle impertinence aristocratique, oĂą l’on ne sent jamais (comme du moins dans l’ennui de ¸é±đ˛ÔĂ©, de Lara) l’excès turbulent de la vie. (265)

L’œuvre de l’artiste ne m’intéresse pleinement que si, tout à la fois, je la sens en relation directe et sincère avec le monde extérieur, en relation intime et secrète avec son auteur. Flaubert a mis un point d’honneur à ne réaliser que la première de ces deux conditions ; mais son œuvre, malgré qu’il en ait, ne nous touche profondément que par les points où elle lui échappe pour ainsi dire, et raconte plus qu’il ne veut. (266)

Les Dix Romans français que...,Ěý1913.

Simplement : où la France excelle à mes yeux, ce n’est pas dans le roman.

La France est un pays de moralistes, d’incomparables artistes, de compositeurs et d’architectes, d’orateurs. Qu’opposeront les étrangers à Montaigne, à Pascal, à Molière, à Bossuet, à Racine ? Mais, par contre : qu’est-ce qu’un Lesage auprès d’un Fielding ou d’un Cervantès ? Qu’un abbé Prévost en regard d’un Defoe ? et même : Qu’est-ce qu’un Balzac en face d’un Dostoïevski ?... Ou, si l’on préfère : qu’est-ce qu’une Princesse de Clèves à côté d’un Britannicus ? (271)

[RĂ©ponse Ă  l'EnquĂŞte sur le romantisme et le classicisme], 1921.

Il importe de considĂ©rer que la lutte entre le classicisme et romantisme existe aussi bien Ă  l’intĂ©rieur de chaque esprit. Et c’est de cette lutte mĂŞme que doit naĂ®tre ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ ; ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ d’art classique raconte le triomphe de l’ordre et de la mesure sur le romantisme intĂ©rieur. L’œuvre est d’autant plus belle que la chose soumise Ă©tait »ĺ’a˛ú´Ç°ů»ĺ plus rĂ©voltĂ©e. Si la matière est soumise par avance, ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ est froide et sans intĂ©rĂŞt. (280)

DostoĂŻevsky [allocution au Vieux-Colombier],Ěý1922.

[Je] remarque […] que dans toute notre littĂ©rature occidentale et je ne parle pas seulement de la française seulement, le roman, Ă  part de très rares exceptions, ne s’occupe que des relations des hommes entre eux, rapports passionnels ou intellectuels, rapports de famille, de sociĂ©tĂ©, de classes sociales, – mais jamais, presque jamais, de rapports de l’individu avec lui-mĂŞme ou avec Dieu, – qui priment ici [dans ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ de DostoĂŻevski] tous les autres. […] La vie intime est ici plus importante que les rapports des hommes entre eux. C’est bien lĂ , ne croyez-vous pas, le secret de DostoĂŻevski. (556-557)

[Il] me semble qu’un certain ordre de problèmes, d’angoisses, de passions, de rapports, soient réservés au moraliste, au théologien, au poète et que le roman n’ait que faire de s’en laisser encombrer. (557)

DostoĂŻesky [III], 1923.

DostoĂŻevski n’est pas Ă  proprement parler un penseur, c’est un romancier. Ses ľ±»ĺĂ©±đ˛ő les plus chères, les plus subtiles, les plus neuves, nous les devons chercher dans les propos de ses personnages, et non point mĂŞme toujours de ses personnages de premier plan : il arrive souvent que les ľ±»ĺĂ©±đ˛ő les plus importantes, les plus hardies, ce soit Ă  des personnages d’arrière-plan qu’il les prĂŞte.

[…] À quel point Dostoïevski est romancier, ce Journal d’un écrivain nous le montrera ; car s’il reste assez médiocre dans les articles théoriques et critiques, il devient excellent aussitôt que quelques personnages entrent en scène. (592-593)

DostoĂŻevski n’observe jamais pour observer. L’œuvre chez lui ne naĂ®t point de l’observation du rĂ©el ; ou du moins elle ne naĂ®t pas rien que de cela. Elle ne naĂ®t point non plus d’une idĂ©e prĂ©conçue, et c’est pourquoi elle n’est en rien thĂ©orique, mais reste immergĂ©e dans le rĂ©el ; elle naĂ®t d’une rencontre de l’idĂ©e et du fait, de la confusion […] de l’un et de l’autre, si parfaite que jamais l’on ne peut dire qu’aucun des deux Ă©lĂ©ments l’emporte, – de sorte que les scènes les plus °ůĂ©˛ą±ôľ±˛őłŮ±đs de ses romans sont aussi les plus chargĂ©es de signification psychologique et morale ; plus exactement, chaque Ĺ“uvre de DostoĂŻevski est le produit d’une fĂ©condation du fait par l’idĂ©e. (596-597)

¶Ů´Ç˛őłŮ´ÇĂŻ±đ˛ő°ěľ±Ěý[IV], 1923.

Samedi] dernier, j’aurais voulu vous expliquer comment c’est avec les beaux sentiments que l’on fait la mauvaise littérature, et qu’il n’est point de véritable œuvre d’art où n’entre la collaboration du démon. (637)

"Vol de nuit" de Saint-ExupĂ©ry,Ěý1931.

Les faiblesses, les abandons, les déchéances de l’homme, nous les connaissons de reste et la littérature de nos jours n’est que trop habile à les dénoncer ; mais ce surpassement de soi qu’obtient la volonté tendue, c’est là ce que nous avons surtout besoin qu’on nous montre. (704)

Interviews imaginaires (III),Ěý1941.

– Mais permettez… n’avez-vous pas écrit qu’avec les beaux sentiments on fait de la mauvaise littérature ?

– On m’a suffisamment reproché cette phrase sans la comprendre, et, le plus souvent, en la citant tout de travers, oubliant au surplus que j’avais écrit tout de même La Porte étroite. […] Que les bonnes intentions ne puissent tenir lieu de génie, c’est à peu près tout ce que j’avais voulu dire ; l’enfer de la littérature (entendez : la littérature inférieure) en est pavé. Ces livres sottement édifiants ne sont pas seulement médiocres : ils discréditent ce qu’ils prônent. (324)

Interviews imaginaires [VIII],Ěý1941.

Si, par catastrophe, j’avais Ă  rĂ©duire ma ˛úľ±˛ú±ôľ±´ÇłŮłóè±çłÜ±đ jusqu’à ne compter plus que douze livres, aucun roman n’y resterait. (348)

Le mot “parfait” est particulièrement impropre lorsqu’il s’applique à un roman. On ne peut raisonnablement l’employer que pour un objet ou une œuvre répondant à des exigences définies. Le genre “roman” reste de contours trop élastiques pour prétendre à la perfection. (350)

Interviews imaginaires [X],Ěý1942.

Un peu moins de distance et nous ne serions plus charmés ; un peu plus et le charme serait rompu. Inexistant, ce charme, si le tableau se rapprochait trop du réel ; rompu s’il cessait de l’évoquer. Je pense qu’il en va de même pour le romancier. La nature, la réalité, lui proposent des éléments dont il dispose. (359)

RĂ©ponse Ă  l'enquĂŞte "Que pensez-vous de Maupassant?",Ěý1950.

Ce qui nous retient de considérer Maupassant comme un vrai maître, c’est, je crois, l’inintérêt presque total de sa propre personnalité. N’ayant rien de particulier à dire, ne se sentant chargé d’aucun message, voyant le monde et nous le présentant un peu en noir, mais sans indice de réfraction originale, il reste pour nous (ce qu’il prétendait être) un remarquable et impeccable ouvrier des lettres. Il est à chacun de ses lecteurs la même chose et ne parle à aucun d’eux en secret. (400)

Journal des faux-monnayeurs,ĚýParis, Gallimard, coll. "Blanche", 1991 [1927].

Ne jamais exposer d’ľ±»ĺĂ©±đ˛ő qu’en fonction des tempĂ©raments et des caractères. Il faudrait du reste faire exprimer cela par un de mes personnages (le romancier). –“Persuade-toi que les opinions n’existent pas en dehors des individus. […]” (13)

Ce n’est pas tant en apportant la solution de certains problèmes, que je puis rendre un réel service au lecteur ; mais bien en le forçant à réfléchir lui-même sur ces problèmes dont je n’admets guère qu’il puisse y avoir d’autre solution que particulière et personnelle. (24)

Je fus amenĂ©, tout en l’écrivant [un chapitre de Si le grain ne meurt], Ă  penser que l’intimitĂ©, la pĂ©nĂ©tration, l’investigation psychologique peut, Ă  certains Ă©gards, ĂŞtre poussĂ©e plus avant dans le “roman” que mĂŞme dans les “confessions”. L’on est parfois gĂŞnĂ© dans celles-ci par le “je” ; il y a certaines complexitĂ©s que l’on ne peut chercher Ă  dĂ©mĂŞler, Ă  Ă©taler sans apparence de complaisance. […] Je voudrais que les Ă©vĂ©nements ne fussent jamais racontĂ©s directement par l’auteur, mais plutĂ´t exposĂ©s (et plusieurs fois, sous des angles divers) par ceux des acteurs sur qui ces Ă©vĂ©nements auront eu quelque influence. Je voudrais que, dans la rĂ©cit qu’ils en feront, ces Ă©vĂ©nements apparaissent lĂ©gèrement dĂ©formĂ©s ; une sorte d’intĂ©rĂŞt vient, pour le lecteur, de ce seul fait qu’il ait Ă  °ůĂ©łŮ˛ą˛ú±ôľ±°ů. L’histoire requiert sa collaboration pour se bien dessiner. (27-28)

Je reprocherais Ă  Martin du Gard l’allure discursive de son rĂ©cit ; se promenant tout le long des annĂ©es, sa lanterne de romancier Ă©claire toujours de face les Ă©vĂ©nements qu’il considère, chacun de ceux-ci vient Ă  son tour au premier plan ; jamais leurs lignes ne se mĂŞlent et, pas plus qu’il n’y a d’ombre, il n’y a de perspective. C’est dĂ©jĂ  ce qui me gĂŞne dans TolstoĂŻ. Ils peignent des panoramas ; l’art est de faire un tableau. Étudier »ĺ’a˛ú´Ç°ů»ĺ le point d’oĂą doit affluer la lumière ; toutes les ombres en dĂ©pendent. Chaque figure repose et s’appuie sur son ombre. (29-30)

Pourquoi me le dissimuler : ce qui me tente, c’est le genre Ă©pique. Seul, le ton de l’épopĂ©e me convient et me peut satisfaire ; peut sortir le roman de son ornière °ůĂ©˛ą±ôľ±˛őłŮ±đ. […] Le roman s’est toujours, et dans tous les pays, jusqu’à prĂ©sent cramponnĂ© Ă  la rĂ©alitĂ©. Notre grande Ă©poque littĂ©raire n’a su porter son effort d’idĂ©alisation que dans le drame. La Princesse de Clèves n’a pas eu de suite ; quand le roman français s’élance, c’est dans la direction du Roman bourgeois. (54)

Purger le roman de tous les éléments qui n’appartiennent pas spécifiquement au roman. On n’obtient rien de bon par le mélange. (57)

Et ce pur roman, nul ne l’a non plus donné plus tard ; non, pas même l’admirable Stendhal, qui, de tous les romanciers, est peut-être celui qui en approche le plus. Mais n’est-il pas remarquable que Balzac, s’il est peut-être le plus grand de nos romanciers, est sûrement celui qui mêla au roman et y annexa, et y amalgama, le plus d’éléments hétérogènes, et proprement inassimilables par le roman ; de sorte que la masse d’un de ses livres reste à la fois une des choses les plus puissantes, mais bien aussi les plus troubles, les plus imparfaites et chargées de scories, de toute notre littérature. (58)

Le mauvais romancier construit ses personnages ; il les dirige et les fait parler. Le vrai romancier les écoute et les regarde agir ; il les entend parler dès avant que de les connaître, et c’est d’après ce qu’il leur entend dire qu’il comprend peu à peu qui ils sont. (75-76)

La vie nous présente de toutes parts quantité d’amorces de drames, mais il est rare que ceux-ci se poursuivent et se dessinent comme a coutume de les filer un romancier. (80)

[Citation d’Albert Thibaudet] « “Le romancier authentique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible ; le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle. Le génie du roman fait vivre le possible ; il ne fait pas revivre le réel. ” (86-87)

Journal : 1889-1939,ĚýParis, Gallimard, coll. "Bibliothèque de la PlĂ©iade", 1951.

« Littérature et morale » : Je soutiendrai qu’il faut ceci, pour un artiste : un monde spécial, dont il ait seul la clef. Il ne suffit pas qu’il apporte une chose nouvelle, quoique cela soit énorme déjà ; mais bien que toutes choses en lui soient ou semblent nouvelles, transparues derrière une idiosyncrasie puissamment coloratrice.

Il faut qu’il ait une philosophie, une esthétique, une morale particulières ; toute son œuvre ne tend qu’à le montrer. Et c’est ce qui fait son style. J’ai trouvé aussi, et c’est très important, qu’il lui faut une plaisanterie particulière ; un drôle à lui. (94)

20 janvier 1902 : Je pense, ou du moins j’imagine beaucoup, et sens se dessiner enfin l’indécis roman que je rêve : c’est-à-dire : les relations entre une douzaine de personnages. (123)

15 janvier 1906 : L’art serait, malgré la plus parfaite explication, de réserver encore de la surprise. (196)

9 avril 1906 : Je songe au mot de Goethe : Le tremblement (das Schaudern) est le meilleur de l’homme. Hélas ! précisément… et j’ai beau m’y prêter… je ne sens point le tremblement de [Anatole] France ; je lis France sans tremblement.

Il est disert, fin, élégant. C’est le triomphe de l’euphémisme. Mais il reste sans inquiétude ; on l’épuise du premier coup. (207)

8 décembre 1907 : On parle de la psychologie de Mirbeau et du naturalisme ou réalisme de Zola, parce que l’un et l’autre parlent impudemment de ce que l’on cachait. Il faut reconnaître qu’ils en parlent mieux que du reste – que de ce dont tout le monde parle. (255)

22 juin 1908 : Style sublime – Ă©manation directe du cĹ“ur ; ce n’est qu’à force de ±čľ±Ă©łŮĂ© que l’on peut y atteindre. (269)

3 dĂ©cembre 1909 : Le mot ˛őľ±˛Ôł¦Ă©°ůľ±łŮĂ© est un de ceux qu’il me devient le plus malaisĂ© de comprendre. […] Et quelle confusion entre ˛őľ±˛Ôł¦Ă©°ůľ±łŮĂ© et “sans-gĂŞne”! La ˛őľ±˛Ôł¦Ă©°ůľ±łŮĂ© ne me chaut, en art, que lorsqu’elle est difficilement consentie. Seules les âmes très banales atteignent aisĂ©ment Ă  l’expression sincère de leur personnalitĂ©. Car une personnalitĂ© neuve ne s’exprime sincèrement que dans une forme neuve. La phrase qui nous est personnelle doit rester aussi particulièrement difficile Ă  bander que l’arc d’Ulysse. (278)

« Petit roman » : L’œuvre d’art, Ă©purĂ©e (Ă©±čłÜľ±˛őĂ©±đ de laideurs), ne m’intĂ©ressait que par ce que l’on sent de durable dans la fixation d’une plus parfaite harmonie. La vie m’intĂ©ressait davantage ; plus dramatique et talonnante Ă  cause mĂŞme de sa fugacitĂ©. L’harmonie parfaite toujours imaginable me plaisait moins que la dĂ©formation hargneuse de cette harmonie selon une personnalitĂ©. La volontĂ© artistique ne m’apparaissait point tant un choix de lignes, de tons, ou de sonoritĂ©s, en vue d’une Ĺ“uvre harmonieuse, qu’un travail en pleine harmonie pour dĂ©vier (dĂ©former) cette harmonie selon soi. La trace de l’homme Ă©tait ce que je cherchais dans toute Ĺ“uvre. (343-344)

"Petit roman"Ěý: Il en est du roman et du théâtre contemporains comme de l’architecture actuelle. L’utilitĂ© du monument fait l’excuse de sa laideur ; et lorsque ce sont de simples maisons d’habitation que l’on bâtit, il y paraĂ®t surtout ceci : qu’en gĂ©nĂ©ral on y est assez bien, mais qu’en particulier assez mal ; car il faut que n’importe qui les habite. Quant au journal, c’est la chambre d’hĂ´tel. (345)

« Feuillets » : Le souhait du romancier n’est pas de voir le lion manger de l’herbe. Il reconnaît qu’un même Dieu a créé le loup, et l’agneau, puis a souri “voyant que son œuvre était bonne”. (664)

20 juillet 1921 : Lutter contre cette démangeaison de verser dans le roman les expériences personnelles, et particulièrement celles dont on a pu souffrir, pour l’espoir fallacieux de trouver quelque consolation dans la peinture que l’on en fait.

– Elles ne nous paraissent particulièrement intéressantes que parce que c’est nous qui les éprouvons.

– Non, non ; c’est au contraire là qu’est le sophisme : chacun a les aventures qu’il mérite ; et, pour les âmes d’élite, il y a des situations privilégiées, des souffrances de choix, dont précisément sont incapables les âmes vulgaires. (697)

« Feuillets » : « La composition d’un livre, j’estime qu’elle est de première importance et j’estime que c’est par l’absence de composition que pèchent la plupart des œuvres d’art aujourd’hui. […] Je crois que le majeur défaut des littérateurs et des artistes d’aujourd’hui est l’impatience : s’ils savaient attendre, leur sujet se composerait lentement de lui-même dans leur esprit ; de lui-même il se dépouillerait de l’inutile et de ce qui l’embroussaille, il croîtrait à la manière d’un arbre dont les maîtresses branches se développent aux dépens de…

Il croîtrait naturellement. (716)

10 février 1922 : Se connaître ; c’est bien la dernière chose à laquelle l’artiste doivent prétendre ; et il n’y peut arriver que par ses œuvres, en les produisant. C’est du moins le cas de tous les grands artistes. Et ceci explique la froideur de certaines œuvres : lorsque l’artiste “se connaissait”. (730)

29 mai 1923 :ĚýLe triomphe de l’objectivitĂ©, c’est de permettre au romancier d’emprunter le “je” d’autrui. J’ai donnĂ© le change pour avoir trop bien rĂ©ussi ; certains ont pris chacun de mes livres pour des confessions successives. Cette abnĂ©gation, cette dĂ©personnalisation poĂ©tique, qui me fait ressentir les joies et les douleurs d’autrui beaucoup plus vivement que les miennes propres, nul n’en parle aussi bien que Keats (Lettres). (759)

Janvier 1924 : Le besoin d’écrire des romans n’est, il me semble, pas toujours très spontané, chez nombre de jeunes romanciers d’aujourd’hui. L’offre suit ici la demande. Le désir de peindre d’après nature les personnages rencontrés, je le crois assez fréquent. Il fait valoir un certain don de l’œil et de la plume. Mais la création de nouveaux personnages ne devient un besoin naturel que chez ceux qu’une impérieuse complexité intérieure tourmente et que leur propre geste n’épuise pas.

Il est bien téméraire d’affirmer que l’on aurait pensée de même sans avoir lu tels auteurs qui paraîtront avoir été vos initiateurs. Pourtant il me semble que, n’eussé-je connu ni Dostoïevsky, ni Nietzsche, ni Freud, ni X. ou Z., j’aurais pensé tout de même, et que j’ai trouvé chez eux plutôt une autorisation qu’un éveil. (781)

19 mars 1924 : Ce qu’on appelle aujourd’hui “l’objectivité” est aisĂ©e aux romanciers sans paysage intĂ©rieur. Je puis dire que ce n’est pas Ă  moi-mĂŞme que je m’intĂ©ressai, mais au conflit de certaines ľ±»ĺĂ©±đ˛ő dont mon âme n’était que le théâtre et oĂą je faisais fonction moins d’acteur que de spectateur, de tĂ©moin. (783)

8 fĂ©vrier 1927 : J’imagine souvent telles prĂ©faces Ă  ±ô’Iłľłľ´Ç°ů˛ą±ôľ±˛őłŮ±đ, aux Faux-Monnayeurs, Ă  la Symphonie, l’une surtout oĂą exposer ce que j’entends par l’objectivitĂ© romancière, oĂą Ă©tablir deux sortes de romans, ou du moins deux façon de regarder et de peindre la vie qui, dans certains romans (Wurthering Heights, ceux de DostoĂŻevsky) se rejoignent. L’une, extĂ©rieure et que l’on nomme communĂ©ment objective, qui voit »ĺ’a˛ú´Ç°ů»ĺ le geste d’autrui, l’évĂ©nement et qui l’interprète. L’autre qui s’attache »ĺ’a˛ú´Ç°ů»ĺ aux Ă©motions, aux pensĂ©es, et risque de rester impuissante Ă  peindre quoi que ce soit qui n’ait »ĺ’a˛ú´Ç°ů»ĺ Ă©tĂ© ressenti par l’auteur. La richesse de celui-ci, sa complexitĂ©, l’antagonisme de ses possibilitĂ©s trop diverses, permettront la plus grande diversitĂ© de ses crĂ©ations. Mais c’est de lui que tout Ă©mane. Il est le seul garant de la vĂ©ritĂ© qu’il rĂ©vèle, le seul juge. Tout l’enfer et le ciel de ses personnages est en lui. Ce n’est pas lui qu’il peint, mais ce qu’il peint, il aurait pu le devenir s’il n’était pas devenu tout lui-mĂŞme. (829)

8 avril 1930 : Littérature française, beaucoup plus soucieuse de connaître et de peindre l’homme en général, que les hommes en particulier. (980)

22 juin 1930 : Pour la septième ou huitième fois (au moins), essayé Also sprach Zarathustra. IMPOSSIBLE. Le ton de ce livre m’est insupportable. Et toute mon admiration pour Nietzsche ne parvient pas à me le faire endurer. Enfin il me paraît, dans son œuvre, quelque peu surérogatoire ; ne prendrait de l’importance que si les autres livres n’existaient pas. […] Si ce livre est devenu plus célèbre que tous les autres de Nietzsche, c’est que, au fond, c’est un roman. Mais, pour cela précisément, il s’adresse à la plus basse classe de ses lecteurs : ceux qui ont encore besoin d’un mythe. Et ce que j’aime surtout en Nietzsche, c’est sa haine de la fiction. (990_

12 juin 1931 : Le roman comporte une certaine lenteur de cheminement qui permette au lecteur de vivre avec les personnages et de s’habituer à eux. (1050)

29 décembre 1932 : Que l’art et la littérature n’aient que faire des questions sociales, et ne puissent, s’ils s’y aventurent, que se fourvoyer, j’en demeure convaincu. Et c’est bien aussi pourquoi je me tais depuis que ces questions ont pris le pas dans mon esprit. (1149)

Correspondances: 1888-1951Ěý(Lettres choisies, prĂ©sentĂ©es et annotĂ©es par Pierre Masson), Paris, Gallimard, coll. "Folio", 2019.

À Henri de Régnier, 11 février 1895 : Ces mêmes jours il me semble que j’écrirais bien un “roman”, toutes émotions de la vie étant en moi mortes, examinables, frigides et comme conservées dans la glace. (111)

Ă€ MĂ©cislas Golberg, janvier 1897 :ĚýJe crois très stĂ©rilisante la thĂ©orie de Flaubert, et dĂ©plorable en tant que thĂ©orie, ce souci de ne montrer de soi que ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ et d’artificiellement s’en retirer. Je pense […] que ±ô’Ĺҡ±ą°ů±đ se dĂ©tache tout naturellement de l’artiste, comme un fruit mĂ»ri de l’arbre qui l’a portĂ© – mais qui le nourrissait de sa sève, du suc le plus secret de sa vie. (178-179)

À Rudolf Kassner, 28 février 1901 : Quand la clairvoyance pour le monde ambiant s’ajoute à la ferveur intime, une cruelle et belle culture peut en naître, mais aussi la gêne, la crainte, la lutte contre soi divisé – la prose. C’est ce qui fit Flaubert – c’est ce qui me défait. (217)

Ă€ Jacques Rivière, 5 aoĂ»t 1911 : Je n’ai mis jusqu’à prĂ©sent qu’un seul personnage dans chacun de mes livres et […] je n’ai jamais osĂ© jusqu’à prĂ©sent de crĂ©ations simultanĂ©es ; c’est bien aussi pour cela que je ne consens Ă  voir des “rĂ©cits” dans La porte Ă©troite et dans ł˘â€™Iłľłľ´Ç°ů˛ą±ôľ±˛őłŮ±đ. Le jour oĂą je tenterai de peindre dans un mĂŞme livre plusieurs personnages organisĂ©s, se coudoyant, je m’arrangerai de manière Ă  faire sentir qu’ils n’évoluent pas sur le mĂŞme plan et ne parviennent pas Ă  se heurter. (292)

À Roger Martin du Gard, 2 juin 1930 : Il est curieux que je sente sans le truc dans Tolstoï ; je ne le jamais, ou du moins je n’en souffre jamais dans Dostoïevsky. C’est que, chez lui, la chose à dire est toujours neuve et importante ; ou, du moins, ce qui importe chez lui, ce n’est jamais la peinture elle-même et l’acte extérieur de ses personnages, mais il confie à chacun d’eux quelque mystérieuse angoisse qu’il lui importe de faire partager au lecteur. (381)

Ă€ Roger Martin du Gard, 22 mars 1931 : Il faudrait »ĺ’a˛ú´Ç°ů»ĺ vous amener Ă  considĂ©rer ceci : que le roman dit °ůĂ©˛ą±ôľ±˛őłŮ±đ (au sens oĂą vous pouvez l’entendre) n’est pas tout le roman (voyez Pantagruel, Gulliver, Candide, Don Quichotte, etc., etc.) et que le genre roman, que la peinture de la vie rĂ©elle, n’est qu’un dĂ©partement de la littĂ©rature. (449)

À Georges Simenon, 6 janvier 1939 : Je soutiens qu’un livre est bien composé lorsque tous les traits de l’histoire concourent à tracer une figure – je ne parle point de celle d’un héros, mais de celle même du drame. (485)

À Albert Camus, 28 novembre 1944 : J’ai horreur de votre roman ; mais il m’a donné, pour vous et pour votre pensée, une haute estime – que Sisyphe n’a fait qu’enforcer. – Que ce monde soit absurde, vous paraissez le découvrir ; tandis qu’il faut partir de là, me semble-t-il, et que l’homme à tout à y faire, à y créer. (518)

Si le grain ne meurt,ĚýParis, Gallimard, coll. "Folio", 2011 [1924].

Ce n’est pas un roman que j’écris et j’ai résolu de ne me flatter dans ces mémoires, non plus en surajoutant du plaisant qu’en dissimulant le pénible. (36)

En ce temps j’avais pour les vers une prédilection passionnée ; je tenais la poésie pour la fleur et l’aboutissement de la vie. J’ai mis beaucoup de temps à reconnaître – et je crois qu’il n’est pas bon de reconnaître trop vite – la précellence de la belle prose et sa plus grande rareté. (203)

Mon intention […] a toujours été de tout dire. Mais il est un degré dans la confidence que l’on ne peut dépasser sans artifice, sans se forcer ; et je cherche surtout le naturel. Sans doute un besoin de mon esprit m’amène, pour tracer plus purement chaque trait, à simplifier tout à l’excès ; on ne dessine pas sans choisir ; mais le plus gênant c’est de devoir présenter comme successifs des états de simultanéité confuse. Je suis un être de dialogue ; tout en moi combat et se contredit. Les Mémoires ne sont jamais qu’à demi sincères, si grand que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu’on ne le dit. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman. (280)

Back to top