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Il existe de par le monde des gens qui, divisant mon oeuvre en deux parties : avant ma conversion et apr猫s ma conversion, voudraient absolument me persuader que je dois retirer, faire dispara卯tre, an茅antir la premi猫re. Ces gens ne comprennent pas qu'il y a dans la vie et dans l'oeuvre d'un artiste, une unit茅, et que, notamment, cette oeuvre forme un tout. (Extrait d'un entretien de Huysmans en date de 1904, cit茅 par Marc Smeets dans聽Huysmans l'inchang茅 : histoire d'une conversion, p. 7)

Il est bien connu que la vie de Huysmans a 茅t茅 marqu茅e par une conversion religieuse, et que cette conversion s'est accompagn茅e d'une r茅orientation de sa conception du roman, et plus g茅n茅ralement de l'art. On pourrait d茅crire les influences esth茅tiques de Huysmans comme allant, au cours de sa carri猫re de romancier, des figures de Zola en litt茅rature et de Degas en peinture 脿 celles de Baudelaire et de Gr眉newald. On aurait tort cependant de consid茅rer, comme le sugg猫re la citation en exergue, cette transition 脿 la mani猫re d'une rupture, et encore moins d'une table rase, alors qu'elle s'effectue au contraire dans un esprit de continuation. Toute la premi猫re partie de l'oeuvre de Huysmans, et sp茅cialement ses r茅flexions sur la peinture, que l'on retrouve aussi bien dans ses romans que dans ses critiques d'art, pr茅pare la conception du roman que l'auteur proposera dans聽尝脿-叠补蝉, quelques ann茅es avant de se tourner vers le catholicisme. Ainsi, avant d'explorer cette conception, qui fait l'objet du pr茅sent dossier, il convient de se pencher sur la p茅riode naturaliste de Huysmans, afin d'y retrouver le fil d'Ariane qui relie l'ensemble de son oeuvre, 脿 savoir l'exigence de d茅couverte propre au roman.

Le naturalisme de Huysmans.

脌 propos du naturalisme de Huysmans, deux textes m茅ritent tout particuli猫rement notre attention, non seulement parce qu'ils permettent d'appr茅cier l'茅volution de la pens茅e du romancier en mati猫re d'esth茅tique, mais aussi en ce qu'ils d茅veloppent des id茅es que nous retrouverons presque mot 脿 mot dans le roman聽尝脿-叠补蝉, dont il sera question plus loin. Le premier texte, paru en 1876, consiste en une d茅fense de聽L'Assommoir聽de Zola (qui s'est attir茅 les foudres de la critique). Le second, paru en 1903, consiste en une pr茅face que Huysmans r茅dige vingt ans apr猫s le roman聽脌 Rebours, jugeant cette oeuvre comme un tournant dans son rapport 脿 l'art de Zola.

Il est clair que l'article de 1876, qui a de v茅ritables allures de manifeste, d茅passe le seul cadre de聽L'Assommoir, et consiste plus largement en une d茅fense de la d茅marche du naturalisme et du r茅alisme, deux termes que Huysmans traite comme synonymes. Il n'y a l脿 rien d'茅tonnant, dans la mesure o霉 Huysmans joint la m锚me ann茅e les rangs de Zola, avec son premier roman,聽Marthe. Le romancier ouvre son plaidoyer en faveur de聽尝'础蝉蝉辞尘尘辞颈谤听en donnant partiellement raison aux d茅tracteurs de Zola. Il est vrai, soutient-il, que les romans naturalistes ne d茅daignent aucun sujet, qu'ils n'h茅sitent pas 脿 visiter les coins les plus mis茅rables de la soci茅t茅. Or, la m茅prise, celle de la critique pr茅cis茅ment, c'est de croire que le d茅voilement de cette mis猫re constitue la fin artistique de ces romans, qu'elle en 茅puise la mission; alors qu'elle ne repr茅sente pour eux que le moyen d'茅tablir un portrait plus v茅ridique de la soci茅t茅 et des individus qui la forment :

Selon les uns et, il faut bien l'avouer, selon l'opinion la plus accr茅dit茅e, le r茅alisme consisterait 脿 choisir les sujets les plus abjects et les plus triviaux, les descriptions les plus repoussantes et les plus lascives, ce serait, en un mot, la mise au grand jour des pustules de la soci茅t茅. Apr猫s avoir d茅barrass茅 les plus horribles plaies du c茅rat et de la charpie qui les couvrent, le naturalisme n'aurait qu'un but, en faire sonder au public l'茅pouvantable profondeur. [鈥�] Pustules vertes ou chairs roses, peu nous importe; nous touchons aux unes et aux autres, parce que les unes et les autres existent, parce que le goujat m茅rite d'锚tre 茅tudi茅 aussi bien que le plus parfait des hommes, parce que les filles perdues foisonnent dans nos villes et y ont droit de cit茅 aussi bien que les filles honn锚tes. La soci茅t茅 a deux faces: nous montrons ces deux faces [鈥�] (芦 脡mile Zola et 鈥楲'assommoir' 禄, p. 16.)

Cette recherche de v茅rit茅, conduite 脿 m锚me la vie contemporaine, permet ensuite 脿 Huysmans de d茅crire positivement les romanciers naturalistes, au nombre desquelles il s'inclut, comme des artistes 芦 assoiff茅s de modernit茅 禄 (p. 18). Pour Huysmans, la modernit茅, terme qu'il ch茅rit plus que tout autre 脿 cette 茅poque, signifie 脿 la fois une rupture avec le pass茅 et, par cons茅quent, une mani猫re nouvelle d'aborder le pr茅sent. Il 茅crira ainsi que les romanciers naturalistes se d茅tournent des 芦 romans de cape et d'茅p茅e 禄, des pr茅tendus chefs-d'oeuvre d'hier, pour descendre dans la rue et s'abreuver 脿 la vie telle qu'elle s'observe; il ne s'agit plus d'imiter l'art tel qu'il se faisait, mais seulement la vie comme elle se pr茅sente 脿 l'oeil, et ce, non pas sous sa forme d'exception, mais sous sa forme la plus quotidienne et banale.

脡tant donn茅, comme sujets 脿 茅tudier, un homme et une femme, nous voulons, 茅crit Huysmans, les faire agir, dans un milieu observ茅 et rendu avec un soin minutieux de d茅tails, nous voulons d茅montrer, si faire se peut, le m茅canisme de leurs vertus et de leurs vices, diss茅quer l'amour, l'indiff茅rence ou la haine qui r茅sulteront du frottement passager ou continu de ces deux 锚tres [鈥�] (p. 17)

Il en va donc d'une d茅marche qui, visant l'茅tude d'锚tres en chair et en os, s'oppose en bloc 脿 la litt茅rature romantique, qui ne propose que des 芦 fantoches plus beaux que nature, remont茅s, toutes les quatre pages, brouill茅s et grandis par une illusion d'optique [鈥�] 禄 (p. 17) Ainsi l'auteur de听惭补谤迟丑别聽appelle, du point de vue esth茅tique, 脿 un v茅ritable changement de r茅gime; le roman d'imagination, id茅aliste et r锚veur, doit c茅der le pas au roman d'analyse, 脿 l'oeuvre virile (p. 19), la seule 脿 m锚me d'茅clairer les v茅rit茅s de l'existence moderne.

Au cours des ann茅es qui suivront la parution de cet article, l'enthousiasme de Huysmans 脿 l'茅gard du naturalisme zolien ira toutefois en s'amenuisant. Dans la pr茅face 茅crite pour聽脌 rebours, en 1903, le romancier revient sur le sens de sa d茅saffection. Le naturalisme, selon lui, n'a pas 茅t茅 脿 la hauteur des d茅couvertes qu'il promettait. 芦 Il faut bien le confesser, 茅crit-il, personne ne comprenait moins l'芒me que les naturalistes qui se proposaient de l'observer. 禄 (Pr茅face 茅crite vingt ans apr猫s le roman, p. 66) Et Huysmans ne m茅nage pas son ancien ma卯tre : Zola, note-t-il, ne sugg茅rait finalement que 芦 l'illusion de la vie et du mouvement 禄 (p. 54), car ses h茅ros, anim茅s par la m茅canique seule 芦 des impulsions et des instincts 禄, 茅taient 芦 d茅nu茅s d'芒mes 禄. Pour l'auteur de la pr茅face, la m茅thode naturaliste aurait exclu聽a priori聽son objectif de v茅rit茅. Ce n'est pas qu'elle manquait 脿 proprement parler de modernit茅, pour reprendre la qualit茅 recherch茅e par le Huysmans de 1876; c'est plut么t que cette modernit茅, entendue comme transcription scrupuleuse des apparences, comme fixation sur le fait observable, mettait finalement hors de port茅e la part d'invisible 脿 l'oeuvre dans les affaires humaines, part que le romancier reconnait ici dans l'expression 芦 d'芒me 禄.

Si Huysmans choisit r茅trospectivement de r茅diger une pr茅face 脿聽脌 rebours, c'est qu'il consid猫re que cette oeuvre marque le d茅but d'une prise de distance avec le naturalisme orthodoxe. En effet, le romancier affirme que d茅j脿 脿 l'茅poque il sentait que 芦 le naturalisme s'essoufflait 脿 tourner la meule dans le m锚me cercle 禄 (p. 54). Il avait, explique-t-il, un besoin 芦 d'ouvrir les fen锚tres 禄, de 芦 secouer les pr茅jug茅s 禄, 芦 de briser les limites du roman 禄 (p. 65), afin d'y int茅grer 芦 l'art, la science [et] l'histoire 禄. Ainsi, l'objectif d'脌 Rebours聽consistait pour l'essentiel 脿 ouvrir le roman sur de nouvelles perspectives, 脿 explorer sans聽a priori聽ses possibilit茅s :

Je cherchais vaguement 脿 m'茅vader d'un cul-de-sac o霉 je suffoquais, mais je n'avais aucun plan d茅termin茅 et聽脌 Rebours, qui me lib茅ra d'une litt茅rature sans issue, en m'a茅rant, est un ouvrage parfaitement inconscient, imagin茅 sans id茅es pr茅con莽ues, sans intentions r茅serv茅es d'avenir, sans rien du tout. (p. 54-55)

Pour 芦 inconscient 禄 que fut聽脌 Rebours, il n'en demeure pas moins que ce roman, selon Huysmans, pr茅figurait le contenu de聽尝脿-叠补蝉聽et laissait entrevoir, par le fait m锚me, sa conversion au catholicisme (p. 55). Et il est vrai qu'aussi diverses soient-elles, les r茅flexions esth茅tiques du personnage des Esseintes, qui composent presque l'enti猫ret茅 d'脌 Rebours, se caract茅risent toutes par une recherche de transcendance dans l'art, de d茅passement des apparences, qui trouve effectivement sa conclusion dans la po茅tique que propose le personnage de Durtal dans聽尝脿-叠补蝉.

Le naturalisme spiritualiste.

尝脿-叠补蝉聽s'ouvre au milieu d'une conversation entre Durtal et son ami des Hermies, avec pour objet le naturalisme. Cette mise en sc猫ne permet 脿 Huysmans de personnifier les diff茅rents mouvements de sa pens茅e, et de leur donner une sorte d'aboutissement dialectique. Si l'on a souvent associ茅 Durtal 脿 son auteur, on peut dire que des Hermies incarne et radicalise la partie critique de Huysmans 脿 l'茅gard du naturalisme. Ses paroles synth茅tisent 脿 la fois la position du sens commun, telle que d茅crite dans la d茅fense de Zola de 1876, o霉 le naturalisme se r茅sume 脿 une obsession pour l'horreur, et la position de la pr茅face d'脌 Rebours聽de 1903, o霉 Huysmans souligne les limites exploratoires du roman zolien, 脿 savoir son incapacit茅 脿 prendre en charge la dimension immat茅rielle de l'homme.

Des Hermies dit reprocher au naturalisme, non pas 芦 son vocabulaire de latrines et d'hospices 禄, mais bien 芦 l'immondice de ses id茅es 禄; il lui reproche 芦 d'avoir incarn茅 le mat茅rialisme dans la litt茅rature, d'avoir glorifi茅 la d茅mocratie de l'art 禄 (尝脿-产补蝉, p. 27) c'est-脿-dire de s'锚tre rendu accessible 脿 tous en ne s'茅levant plus 脿 rien. L'essentiel de la critique de des Hermies porte sur l'id茅e d'un rejet du 芦 suprasensible 禄 (p. 27), de toute 芦 pens茅e alti猫re 禄 (p. 28), qui fait suite au repliement m茅thodologique du naturaliste. 脌 se confiner 芦 dans la buanderie de la chair 禄 (p. 27), 脿 r茅duire le monde 脿 celui des sens, cette approche est devenue impuissante 脿 expliquer les myst猫res de l'existence :

Tu [Durtal] l猫ves les 茅paules, mais voyons, qu'a-t-il donc vu, ton naturalisme dans tous ces d茅courageants myst猫res qui nous entourent ? Rien. 鈥� Quand il s'est agi d'expliquer une passion quelconque, quand il a fallu sonder une plaie, d茅terger m锚me le plus b茅nin des bobos de l'芒me, il a tout mis sur le compte des app茅tits et des instincts. Rut et coup de folie, ce sont l脿 ses seules diath猫ses. En somme, il n'a fouill茅 que des dessous de nombril et banalement divagu茅 d猫s qu'il s'approchait des aines ; c'est un herniaire de sentiments, un bandagiste d'芒me et voil脿 tout ! [鈥�] [N]ous en sommes venus 脿 un art si rampant et si plat que je l'appellerais volontiers le cloportisme. Puis quoi ? Relis donc ses derniers livres, qu'y trouves-tu ? Dans un style en mauvais verres de couleur, de simples anecdotes, des faits divers d茅coup茅s dans un journal, rien que des contes fatigu茅s et des histoires v茅reuses, sans m锚me l'茅tai d'une id茅e sur la vie, sur l'芒me, qui les soutienne. J'en arrive, apr猫s avoir termin茅 ces volumes, 脿 ne m锚me plus me rappeler les incontinentes descriptions, les insipides harangues qu'ils renferment ; il ne me reste que la surprise de penser qu'un homme a pu 茅crire trois ou quatre cents pages, alors qu'il n'avait absolument rien 脿 nous r茅v茅ler, rien 脿 nous dire. (p. 27-28)

Quoique Durtal regrette 茅galement le mat茅rialisme en litt茅rature, il est toutefois moins cat茅gorique que des Hermies. Sa d茅fense du naturalisme reprend les grandes lignes de l'article de Huysmans sur l'Assommoir. Il ne faut pas oublier, dit-il, les 芦 services 禄 (p. 28) que les naturalistes ont rendus 脿 l'art. Ils ont, d'une part, 芦 extrait la litt茅rature d'un id茅alisme de ganache 禄 et, d'autre part, 芦 cr茅茅 des 锚tres visibles et palpables [鈥�] [qu'ils] ont mis en accord avec leurs alentours 禄 (p. 28). Il n'en demeure pas moins que les propos de des Hermies trouvent un 茅cho chez Durtal, qui, selon le narrateur, traverse une p茅riode de doute quant 脿 ses convictions esth茅tiques. On ne peut en effet nier, juge le h茅ros de聽尝脿-叠补蝉, que le naturalisme, restreint 芦 脿 l'茅tude des 锚tres m茅diocres 禄, ait conduit 脿 la 芦 st茅rilit茅 禄 (p. 30) la plus compl猫te. Or, toute la difficult茅 consiste 脿 imaginer un roman hors du naturalisme, qui ne serait pas un retour 芦 aux fariboles des romantiques, aux oeuvres lanugineuses des Cherbuliez et des Feuillet, ou bien encore aux lacrymales historiettes des Theuriet et des Sand 禄 (p. 30). 脌 ce moment du r茅cit, le narrateur met l'accent sur la pens茅e trouble du h茅ros, qui est saisie par 芦 des th茅ories confuses, des postulations incertaines, difficiles 脿 [鈥�] figurer, malais茅es 脿 d茅limiter, impossibles 脿 clore 禄 (p. 30), comme s'il s'agissait de pr茅parer cognitivement le lecteur 脿 la d茅finition pour le moins contre-intuitive que formulera Durtal, 脿 savoir celle du 芦 naturalisme spiritualiste 禄 (p. 31), ou encore du 芦 r茅alisme surnaturel 禄 (p. 37 ).

Il faudrait garder la v茅racit茅 du document, la pr茅cision du d茅tail, la langue 茅toff茅e et nerveuse du r茅alisme, mais il faudrait aussi se faire puisatier d'芒me, et ne pas vouloir expliquer le myst猫re par les maladies des sens ; le roman, si cela se pouvait, devrait se diviser de lui-m锚me en deux parts, n茅anmoins soud茅es ou plut么t confondues, comme elles le sont dans la vie, celle de l'芒me, celle du corps, et s'occuper de leurs r茅actifs, de leurs conflits, de leur entente. Il faudrait, en un mot, suivre la grande voie si profond茅ment creus茅e par Zola, mais il serait n茅cessaire aussi de tracer en l'air un chemin parall猫le, une autre route, d'atteindre les en de莽脿 et les apr猫s, de faire, en un mot, un naturalisme spiritualiste ; ce serait autrement fier, autrement complet, autrement fort ! (p. 30-31)

La conception du roman propos茅e par Durtal repose sur un paradoxe, comme l'indique son appellation, qui jouxte des antonymes. Pour le h茅ros de聽尝脿-叠补蝉, il convient non pas d'enterrer le naturalisme, mais de le r茅concilier avec son objectif manqu茅. Le roman doit se faire 芦 puisatier de l'芒me 禄 tout en suivant 芦 la grande voie [鈥�] creus茅e par Zola 禄. Le naturalisme, en tant qu'examen des apparences, doit se mettre au service du spiritualisme, en tant qu'acc猫s 脿 la dimension invisible de l'existence. Pour arriver 脿 cette fin, l'art romanesque doit reprendre 脿 son 茅chelle l'antagonisme essentiel de cette nature humaine qu'il entend pr茅cis茅ment saisir; il doit se diviser entre un corps et une 芒me, entre une partie mat茅rielle et une partie immat茅rielle. Ces deux composantes, explique Durtal, traverseront l'oeuvre comme des droites parall猫les, c'est-脿-dire qu'elles se voisineront sans jamais se joindre. En utilisant cette image, Durtal d茅voile le d茅fi propre 脿 sa po茅tique, voire 脿 toute vision dualiste du monde, 脿 savoir celui de la communication des instances. Comment en effet deux visions oppos茅es peuvent-elles interagir ? Quelle sera donc, pour reprendre la solution cart茅sienne du probl猫me, la glande pin茅ale du roman durtalien, liant ensemble naturalisme et spiritualisme ? Pour Durtal, ce qui semble certain, c'est que la droite zolienne aura pour mission de renvoyer 脿 sa parall猫le suprasensible, comme s'il existait une mani猫re sp茅cifique de rendre l'invisible par le visible, l'芒me par le corps.

Du roman 脿 la peinture.

Apr猫s avoir d茅fini le naturalisme spiritualiste, Durtal cherche dans la litt茅rature l'incarnation de son id茅e. Il s'arr锚te un moment sur 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈, mais pour aussit么t l'exclure, jugeant qu'il est moins un 芦 r茅aliste sur茅lev茅 禄 qu'un 芦 socialiste 茅vang茅lique 禄 (p. 31). Le h茅ros de聽尝脿-叠补蝉聽ne voit, dans le monde des lettres, que les parties isol茅es de sa conception du roman. Il y a d'un c么t茅 des romanciers naturalistes, incapables d'extraire leur po茅tique de l'impasse corporelle, et de l'autre, des romanciers spiritualistes qui, refusant toutes formes de v茅hicule th茅orique, divaguent de mani猫re 脿 cacher la 芦 disette de [leurs] id茅es 禄 (p. 31). 芦 [鈥�] [I]l n'y avait, dit-il, plus rien debout dans les lettres en d茅sarroi; rien, sinon un besoin de surnaturel qui, 脿 d茅faut d'id茅es plus 茅lev茅es, tr茅buchait de toutes parts, comme il pouvait, dans le spiritisme et dans l'occulte 禄 (p. 31). Ce vide litt茅raire force Durtal 脿 se tourner vers les autres arts, et c'est dans la peinture qu'il d茅couvre enfin son 芦 id茅al pleinement r茅alis茅 禄 (p. 32).

Il est int茅ressant de remarquer que ce passage du roman 脿 la peinture est tout 脿 fait nouveau dans le parcours du romancier. Lorsque Huysmans 茅crit sur l'art, il suit d'ordinaire le chemin inverse, c'est-脿-dire qu'il aborde la peinture 脿 la lumi猫re du roman, semblant presque subsumer l'art du pinceau 脿 celui de la plume. Dans un article de son recueil聽L'art moderne, publi茅 1883, il ne peut s'emp锚cher par exemple de joindre au peintre Edgar Degas, dont il admire la modernit茅, un 茅quivalent litt茅raire :

Il est difficile avec une plume de donner m锚me une tr猫s vague id茅e de la peinture de M. Degas ; elle ne peut avoir son 茅quivalent qu'en litt茅rature ; si une comparaison entre ces deux arts 茅tait possible, je dirais que l'ex茅cution de M. Degas me rappelle, 脿 bien des points de vue, l'ex茅cution litt茅raire des fr猫res de Goncourt. (L'art moderne, p. 127)

Et il en va de m锚me pour Gustave Moreau, dont les oeuvres rappellent 脿 Huysmans celles de Baudelaire ou 脿 nouveau des de Goncourt :

M. Gustave Moreau est un artiste extraordinaire, unique [鈥�] La seule analogie qu'il pourrait y avoir entre [s]es oeuvres et celles qui ont 茅t茅 cr茅茅es jusqu'脿 ce jour n'existerait vraiment qu'en litt茅rature. L'on 茅prouve, en effet, devant [s]es tableaux, une sensation presque 茅gale 脿 celle que l'on ressent lorsqu'on lit certains po猫mes bizarres et charmants, tels que le聽搁锚惫别听d茅di茅, dans les聽Fleurs du Mal, 脿 Constantin Guys, par Charles Baudelaire [鈥�] Et encore le style de M. Moreau se rapprocherait-il plut么t de la langue orf茅vrie des de Concourt. S'il 茅tait possible de s'imaginer l'admirable et d茅finitive聽Tentation聽de Gustave Flaubert, 茅crite par les auteurs de聽Manette Salomon, peut-锚tre aurait-on l'exacte similitude de l'art si d茅licieusement raffin茅 de M. Moreau. (p. 139)

Mais voil脿 que, dans聽尝脿-叠补蝉, Huysmans place son h茅ros devant une toile qui ne poss猫de aucun double litt茅raire, et que le roman doit prendre pour mod猫le, s'il veut s'茅chapper de son impasse esth茅tique. Cette toile repr茅sente une crucifixion, peinte par l'allemand Matthias Gr眉newald entre 1523 et 1525, aujourd'hui expos茅e au mus茅e de Karlsruhe. Huysmans a crois茅 cette peinture en 1888 lors d'un s茅jour en Allemagne, trois ans avant la publication de聽尝脿-叠补蝉. On ne saurait trop insister sur l'importance de cette d茅couverte dans le parcours tant litt茅raire que spirituel du romancier. Jusqu'脿 sa mort en 1907, le romancier ne cessera de s'int茅resser 脿 Gr眉newald, et plus largement aux primitifs flamands, auxquels il vouera une 茅tude en 1905, intitul茅e聽Trois primitifs. En 1890, dans une lettre o霉 il est question de l'茅laboration de聽尝脿-叠补蝉, Huysmans 茅crit 脿 Jules Destr茅e que 芦 les primitifs, c'est tout l'art tel qu'il put exister au degr茅 supr锚me 鈥� le r茅alisme surnaturel 鈥� c'est la seule formule, la seule v茅ridique qui puisse exister 禄 (Lettres in茅dites 脿 Jules Destr茅e, fin d茅cembre 1980, p. 166) ; et, revenant 脿 la charge quelques mois plus tard, il ajoute :

Tout l'art 茅tait en eux [les primitifs], le surnaturalisme qui est le seul art v茅ridique et grand. La seule et vraie formule tant cherch茅e est dans Roger Van Der Weyden, Metsys, Gr眉newald 鈥� le r茅alisme absolu avec des jets d'芒me ; ce que le naturalisme mat茅rialiste n'a pas compris鈥� et il en est crev茅 ! 鈥� malgr茅 tous les services rendus. (12 d茅cembre 1980, p. 173-174)

Dans ses critiques d'art, en plus de comparer le travail du peintre 脿 celui du romancier, Huysmans donne souvent un tour romanesque aux toiles en les d茅crivant par le menu. Dans聽尝脿-叠补蝉, la peinture de Gr眉newald subit la m锚me transposition, 脿 cette diff茅rence pr猫s que l'accent n'est pas mis sur la beaut茅 de la toile, et encore moins sur sa modernit茅, terme que d茅laisse 脿 cette 茅poque le romancier; il est mis au contraire sur l'horreur qui la caract茅rise. L'objectif de cette description, qui passe en revue l'茅tat d茅plorable des diff茅rentes parties du Christ sur la croix, consiste d'abord 脿 faire ressortir le r茅alisme du peintre. 芦 [鈥�] [J]amais le naturalisme, estime Durtal, ne s'茅tait encore 茅vad茅 dans des sujets pareils; jamais peintre n'avait brass茅 de la sorte le charnier divin et si brutalement tremp茅 son pinceau dans les plaques des humeurs et dans les godets sanguinolents des trous 禄 (尝脿-产补蝉, p. 36). Aucun peintre, autrement dit, n'avait os茅 aborder le th猫me de la crucifixion d'un point de vue terrestre, c'est-脿-dire sans la d茅former par l'a priori聽de la divinit茅 du Christ. En ce sens, songe Durtal, 芦 Gr眉newald 茅tait le plus forcen茅 des r茅alistes 禄 (p. 36).

Or, si la toile se bornait 脿 une 茅tude des apparences, 脿 un classement des mortifications du Christ, elle tomberait sous les critiques de Durtal et de des Hermies 脿 l'endroit du 芦 naturalisme mat茅rialiste 禄. C'est pourquoi, aux descriptions qui suivront dans le roman, Durtal ajoute une dimension assonante, propre 脿 rendre sensible la part invisible de l'oeuvre. Dans l'essai sur Gr眉newald, tir茅 de聽Trois primitifs, Huysmans affirme que l'on ne peut en effet d茅finir les toiles de Gr眉newald que par 芦 des accouplements de mots contradictoires 禄 (芦 Trois primitifs 禄, p. 410). Tout l'effort de Durtal consiste en ce sens 脿 d茅montrer comment la laideur du Christ exalte par le contraste sa nature v茅ritable. Le Christ du peintre est tant么t un 芦 r茅dempteur de Vandrouille 禄 (尝脿-产补蝉, p. 36), tant么t un 芦 Dieu de Morgue 禄, ou encore 芦 une divine abjection 禄 (p. 37) ; mais, de sa 芦 t锚te ulc茅r茅e 禄 filtrent des 芦 lueurs 禄; de sa 芦 chair 禄 en effervescence s'illumine une 芦 expression surhumaine 禄; et enfin, de son corps devenu charogne surgit une 芦 c茅leste superessence 禄 (p. 36). Combien loin, songe Durtal, se trouve-t-on ici du Christ de la renaissance, adopt茅 par l'脡glise, de ce Christ 芦 joli gar莽on 禄, aux traits 芦 chevalins 禄 (p. 35), dont le corps semble avoir travers茅 la Passion sans perdre la moindre goutte de sang. Chez Gr眉newald, poursuit-il, il en va du Christ des pauvres, de celui qui, 芦 abandonn茅 par le P猫re 禄 (p. 35) sur la croix, a fait sienne la mis猫re terrestre. Or, dans la toile, c'est pr茅cis茅ment cette descente dans la condition humaine qui permet, selon le h茅ros de聽尝脿-叠补蝉, le mariage des contraires, car elle restitue le sens spirituel de la crucifixion. Si le Christ fut repr茅sent茅 芦 laid 禄, c'est pour montrer qu'il 芦 assuma toute la somme des p茅ch茅s et qu'il rev锚tit, par humilit茅, les formes les plus abjectes 禄 (p. 35), une interpr茅tation que reprend Huysmans dans son essai sur le peintre : la 芦 laideur du Messie crucifi茅 禄, 茅crit-il, est 芦 le symbole de tous les p茅ch茅s de l'univers qu'il assuma 禄 (芦 Trois primitifs 禄, p. 412).

Ainsi, le tour de force de Gr眉newald ne consiste pas seulement 脿 avoir peint avec talent l'horreur de la crucifixion; il consiste 脿 avoir peint cette horreur de mani猫re 脿 la transformer en une 芦 茅chapp茅e hors du sens 禄 (尝脿-产补蝉, p. 32), cr茅ant de la sorte une oeuvre 脿 la fois 芦 脿 ras de terre 禄 et 芦 hors de port茅e 禄 (p. 37). En d'autres mots, en allant 芦 aux deux extr锚mes 禄, Gr眉newald a relev茅 le d茅fi du naturalisme spiritualiste : il a su extraire 芦 d'une triomphale ordure [鈥�] les menthes les plus fines des dilections 禄; en acculant l'art, il l'a oblig茅 脿 rendre 脿 la fois le 芦 tangible 禄 et 芦 l'invisible 禄. Gr眉newald, conclut Durtal, 茅tait 茅galement 芦 le plus forcen茅 des id茅alistes 禄 (p. 36).

De la peinture au roman.

脌 bien des 茅gards, le naturalisme spiritualiste de Durtal rappelle la d茅finition baudelairienne de l'art, telle que d茅crite dans son essai c茅l猫bre,聽La modernit茅. 芦 La modernit茅, 茅crit Baudelaire, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moiti茅 de l'art, dont l'autre moiti茅 est l'茅ternel et l'immuable. 禄 (芦 La modernit茅 禄, p. 131) Tout comme Durtal entend atteindre le spirituel par le moyen du naturalisme, l'auteur des聽Fleurs du mal聽appelle l'artiste 芦 脿 tirer l'茅ternel du transitoire 禄 (p. 131). Or, si ces deux po茅tiques se rejoignent quant 脿 l'id茅e d'une certaine transfiguration des apparences, qui op猫re le plus souvent 脿 m锚me la laideur, elles se distinguent quant au moyen de cette transfiguration. La transfiguration baudelairienne repose sur une id茅e transcendante de la beaut茅, qui ouvre la voie 脿 une certaine religion ou mystique de l'art, telle que l'explorait notamment des Esseintes dans聽脌 Rebours; alors que la transfiguration de Durtal, suivant l'exemple de Gr眉newald, repose en entier sur la foi chr茅tienne.

Cela revient 脿 dire que le naturalisme ne devient spiritualiste, ou, pour reprendre l'image de Durtal, la droite zolienne ne rejoint sa parall猫le m茅taphysique, qu'脿 condition de rencontrer un lecteur croyant. Sans cette croyance, la laideur reste la laideur. 脌 ce sujet, on peut regretter que le h茅ros de聽尝脿-叠补蝉聽ne se soit pas arr锚t茅 plus longtemps sur l'oeuvre de 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈. Dans听尝'颈诲颈辞迟, publi茅 en 1869, le personnage du prince Mychkine croise, chez son double n茅gatif Rogojine, la reproduction d'une toile qui, en plus d'锚tre contemporaine 脿 la crucifixion de Gr眉newald, s'inscrit dans la m锚me tradition esth茅tique. La toile cit茅e, et vue par 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 en 1867, est celle de l'allemand Hans Holbein le jeune, intitul茅e聽Le corps du Christ mort dans la tombe, peinte en 1522. La description qu'en propose le narrateur aurait pu se retrouver dans les pages de聽尝脿-叠补蝉听:

Ce tableau [鈥�] repr茅sente le Christ 脿 peine descendu de croix. Je crois que les peintres, d'habitude, ont toujours pr茅f茅r茅 repr茅senter le Christ en croix, ou descendu de croix, avec, 脿 chaque fois, une beaut茅 extraordinaire sur le visage ; cette beaut茅, ils cherchent 脿 la lui conserver m锚me dans les supplices les plus effrayants. Dans le tableau [de Holbein], il n'y a m锚me pas une allusion 脿 de la beaut茅 ; c'est, au plein sens du terme, le cadavre d'un homme qui a support茅 des supplices infinis [鈥�] [Le] visage [du Christ] est d茅form茅 de coups, d'une mani猫re horrible, c'est un visage bouffi, aux bleus effrayants, bouffis, sanguinolents, les yeux ouverts, en train de loucher ; les blancs des yeux, 茅normes, brillent d'un genre d'茅clat de mort, vitreux. (L'idiot, p. 143-144)

Il est clair que ce type de peinture, qui aborde avec r茅alisme le calvaire du Christ, a laiss茅 une impression aussi forte sur 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 que sur Huysmans. Il est int茅ressant toutefois de constater combien diff猫re la nature de cette impression chez les h茅ros de聽尝脿-叠补蝉聽et de听尝'颈诲颈辞迟. Alors que pour Durtal le r茅alisme de Gr眉newald est propre 脿 raviver la foi; pour le prince Mychkine, celui de Holbein est plut么t en mesure de la faire perdre. Mais cette diff茅rence, chez les deux romanciers, demeure superficielle en comparaison de la pr茅occupation commune dont elle t茅moigne, 脿 savoir celle du rapport de la religion 脿 l'art.

脌 ce titre, la po茅tique de 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈, faute d'茅clairer le naturalisme spiritualiste comme tel, 茅claire peut-锚tre l'id茅e qui le sous-tend. Dans un essai sur le romancier russe, Andr茅 Gide soutient que l'art de 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 n'茅tait pas 脿 proprement parler chr茅tien, en ce sens qu'il ne transmettait pas une doctrine; cela n'emp锚che pas qu'il utilisait, 脿 des fins d'exploration, le cadre conceptuel du christianisme (顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈, p. 123-125). La r茅trospection de Huysmans sur sa propre oeuvre, dans la pr茅face d'脌 Rebours, laisse croire 脿 l'existence d'une telle approche. L'attachement du romancier au catholicisme, 脿 tout le moins dans l'art, semble tenir pour l'essentiel 脿 son pouvoir d'茅lucidation de la condition humaine plus qu'脿 la promotion d'un ensemble de valeurs. Il s'agit davantage de rendre sensibles les forces qui agissent sur l'芒me que d'assurer son salut. Huysmans explique par exemple que le naturalisme 茅tait, en raison de son cadre mat茅rialiste, r茅duit 脿 l'茅tude du p茅ch茅 le moins instructif, c'est-脿-dire celui de la luxure; alors que l'茅tude de l'orgueil, en utilisant la 芦 lampe et le chalumeau de l'脡glise et en ayant la Foi 禄, e没t 茅t茅 plus profitable :

La v茅rit茅 est que l'Orgueil e没t 茅t茅 le plus magnifique des forfaits 脿 茅tudier, dans ses ramifications infernales de cruaut茅 envers le prochain et de fausse humilit茅, que la Gourmandise remorquant 脿 sa suite la Luxure et la Paresse, le Vol, eussent 茅t茅 mati猫re 脿 de surprenantes fouilles, si l'on avait scrut茅 ces p茅ch茅s avec la lampe et le chalumeau de l'脡glise et en ayant la Foi ; mais aucun de nous n'茅tait pr茅par茅 pour cette besogne ; nous 茅tions donc accul茅s 脿 rem芒cher le m茅fait le plus facile 脿 d茅cortiquer de tous, le p茅ch茅 de Luxure [鈥�] (Pr茅face 茅crite vingt ans plus tard, p. 53)

Et il en va de m锚me pour la vertu, qui 茅chappait 脿 l'esth茅tique zolienne, car elle ignorait 芦 le concept catholique de la d茅ch茅ance et de la tentation 禄 (p. 52).

Ouvrages cit茅s :

• BAUDELAIRE, Charles. 芦 La modernit茅 禄, dans聽Curiosit茅s esth茅tiques et autres 茅crits sur l'art, textes r茅unis par Julien Cain, Paris, Hermann, 1968, 182 p. 131-134.
• 顿翱厂罢翱脧贰痴厂碍滨,听尝'颈诲颈辞迟, Tome II, traduit du russe par Andr茅 Markowicz, Paris, Actes Sud, Coll. 芦 Babel 禄, 1993, 490 p.
• GIDE, Andr茅.聽顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈, Paris, Gallimard, coll. 芦 nrf 禄, 1923, 249 p.
• HUYSMANS, Joris-Karl. 芦 Pr茅face 茅crite vingt ans apr猫s le roman 禄, dans聽脌 Rebours, Paris, Gallimard, coll. 芦folio classique 禄, 2012 [1903], p. 51-71.
• HUYSMANS, Joris-Karl. 芦 L'art moderne 禄, dans聽脡crits sur l'art : L'art moderne; Certains; Trois primitifs, Paris, GF Flammarion, 2008, p. 47-221.
• HUYSMANS, Joris-Karl. 芦 Trois primitifs 禄, dans聽脡crits sur l'art : L'art moderne; Certains; Trois primitifs, Paris, GF Flammarion, 2008, p. 389-417.
• HUYSMANS, Joris-Karl. 芦 脡mile Zola et 鈥楲'assommoir' 禄, dans聽En marge, textes r茅unis par Lucien Descaves, Paris, 脡ditions du Griot, 1991, p. 7-45.
• HUYSMANS, Joris-Karl.聽尝脿-叠补蝉, Paris, Gallimard, coll. 芦 folio classique 禄, 1985 [1891], 403 p.
• HUYSMANS, Joris-Karl.聽Lettres in茅dites 脿 Jules Destr茅e, 茅dit茅es par Gustave Vanwelkenhuyzen, Gen猫ve, Librairie Droz, 1967, 187 p.

Ouvrages consult茅s :

• BERNADI, Marina. 芦 L'茅criture mise en cadre : l'esth茅tique du naturalisme spiritualiste 脿 travers le discours pictural 禄, dans聽Il confronto letterario, Pavia, no. 28, 1997, p. 451-473.
• BONNET, Gilles.聽尝脿-叠补蝉 de Joris-Karl Huysmans, Paris, Gallimard, Coll. 芦 folioth猫que 禄, 2004, 206 p.
• GUILLERM, Jean-Pierre. 芦 D' 鈥樏� Rebours' 脿 鈥楽ainte Lydwinede Schiedam'. Huysmans et les Primitifs d'une esth茅tique future 禄, dans聽Cahiers de recherches m茅di茅vales, no. 2, 1996, p. 127-136.
• GUYAUX, Andr茅, HECK, Christian et Robert KOPP (dir.).聽Huysmans : une esth茅tique de la d茅cadence, actes du colloque de B芒le 1984, Gen猫ve-Paris, Slatkine, 1987, 338 p.
• PEYLET, G茅rard.聽J.-K. Huysmans : la double qu锚te, Paris, L'Harmattan, 2000, 277 p.

La pr茅sente bibliographie est partielle. Elle comprend la d茅fense de Huysmans du roman聽L'assommoir聽(1876) de Zola, la pr茅face d'脌 rebours, sign茅e vingt apr猫s la parution de l'oeuvre, soit en 1903, de m锚me que les recueil de textes聽L'art moderne聽(1883) et聽Certains聽(1889), o霉 le romancier, en m茅ditant le travail des peintres de son 茅poque, donne 脿 voir sa conception de l'art du roman.

芦 脡mile Zola et 鈥楲'assommoir' 禄, dans聽En marge, textes r茅unis par Lucien Descaves, Paris, 脡ditions du Griot, 1991 [1876], p. 7-45.

芦 Pr茅face 茅crite vingt ans apr猫s le roman禄, dans聽脌 rebours, Paris, Gallimard, coll. 芦 folio classique 禄, 2012 [1903], p. 51-71.

芦 L'art moderne 禄, dans聽脡crits sur l'art: L'art moderne; Certains; Trois primitifs, Paris, GF Flammarion, 2008 [1883], p. 47-221.

芦 Certains 禄, dans聽脡crits sur l'art : L'art moderne; Certains; Trois primitifs, Paris, GF Flammarion, 2008 [1889], p. 241-389.

脌 rebours, Paris, Gallimard, coll. 芦 folio classique 禄, 2012 [1903].

Le chef v茅ritable de notre 茅cole, celui devant lequel il faudrait s'agenouiller, c'est l'analyste profond, l'observateur merveilleux qui, le premier, a cr茅茅, dans le roman moderne, cette qualit茅 ma卯tresse en art, la vie, c'est Balzac. (p. 14)

[鈥�] nous sommes des hommes [les partisans du naturalisme] qui croyons qu'un 茅crivain aussi bien qu'un peintre doit 锚tre de son temps, nous sommes des artistes assoiff茅s de modernit茅, nous voulons l'enterrement des romans de cape et d'茅p茅e, nous voulons l'envoi au d茅crochez-moi-莽a de toute la d茅froque des temps pass茅s, de tous les rigaudons grecs et hindous; nous ne renversons pas les pr茅tendus chefs d'oeuvre dont on nous rassasie jusqu'脿 la naus茅e, nous ne brisons pas les torses r茅put茅s c茅l猫bres, nous passons simplement 脿 c么t茅 d'eux, nous allons 脿 la rue, 脿 la rue vivante et grouillante, aux chambres d'h么tels aussi bien qu'aux palais, aux terrains vagues aussi bien qu'aux for锚ts vant茅es; nous voulons essayer de ne pas faire comme les romantiques des fantoches plus beaux que nature, remont茅s, toutes les quatre pages, brouill茅s et grandis par une illusion d'optique, nous voulons essayer de camper sur leurs pieds des 锚tres en chair et en os, des 锚tres qui parlent la langue qui leur fut apprise, des 锚tres enfin qui palpitent et qui vivent, nous voulons tenter d'expliquer les passions qui les m猫nent, d猫s qu'elles sourdent et percent, les montrer, croissant peu 脿 peu, s'茅teignant 脿 la longue, ou crevant quand elles bouent avec le cri qui jaillit des l猫vres! 脡tant donn茅, comme sujets 脿 茅tudier, un homme et une femme, nous voulons, 茅crit Huysmans, les faire agir, dans un milieu observ茅 et rendu avec un soin minutieux de d茅tails, nous voulons d茅montrer, si faire se peut, le m茅canisme de leurs vertus et de leurs vices, diss茅quer l'amour, l'indiff茅rence ou la haine qui r茅sulteront du frottement passager ou continu de ces deux 锚tres (p. 17-18)

Mais l'art n'a que faire des th茅ories politiques et des utopies sociales; un roman n'est pas une tribune, un roman n'est pas un pr锚che et je crois qu'un artiste doit se garer comme d'une peste de tout le fatras de ces verbiages. (p. 18)

Selon moi, la litt茅rature a eu le tort jusqu'ici de ne s'occuper que des exceptions. L'amour, tel que nous le repr茅sentent les romanciers et les po猫tes, l'amour, qui tue, m猫ne au suicide ou 脿 la folie, n'est, au demeurant, qu'un cas curieux. Que ce cas curieux soit not茅, soit observ茅, soit rendu, je n'y trouve rien 脿 dire puisqu'il existe, mais que la vie r茅elle, que la vie que nous menons presque tous, ne soit pas 茅tudi茅e, ne fasse pas le sujet d'une oeuvre, sous pr茅texte qu'elle ne regorge point de passions furieuses, qu'elle ne contient aucune situation tendue, 茅gay茅e, ici et l脿, de coups de couteaux et de bouteilles de laudanum, de j茅r茅miades sur la destin茅e ou de grandeurs d'芒me admirables dans un livre, mais invraisemblables dans la r茅alit茅, je trouve cela absurde. (p. 18)

Un roman ordurier et un roman mal fait voil脿 tout [鈥�] J'ajouterai encore aux r茅flexions qui pr茅c猫dent qu'il est difficile, en faisant une oeuvre vivante et vraie, de ne pas la faire morale. Le vice engendre son ch芒timent lui-m锚me, le d茅vergondage est plus puni par les suites qui en d茅coulent que par les lois 茅dict茅es contre lui: 鈥� faire vrai, c'est faire moral. Pour me r茅sumer, en quelques lignes, le naturalisme c'est l'茅tude des 锚tres cr茅茅s, l'茅tude des cons茅quences r茅sultant du contact ou du choc de ces 锚tres r茅unis entre eux; le naturalisme, c'est, suivant l'expression m锚me de M. Zola, l'茅tude patiente de la r茅alit茅, l'ensemble obtenu par l'observation des d茅tails. (p. 20-21)

On 茅tait alors en plein naturalisme ; mais cette 茅cole, qui devait rendre l'inoubliable service de situer des personnages r茅els dans des milieux exacts, 茅tait condamn茅e 脿 se rab芒cher, en pi茅tinant sur place. [鈥�] Elle n'admettait gu猫re, en th茅orie du moins, l'exception ; elle se confinait donc dans la peinture de l'existence commune, s'effor莽ait, sous pr茅texte de faire vivant, de cr茅er des 锚tres qui fussent aussi semblables que possible 脿 la bonne moyenne des gens. Cet id茅al s'茅tait, en son genre, r茅alis茅 dans un chef-d'oeuvre qui a 茅t茅 beaucoup plus que聽L'Assommoir聽le parangon du naturalisme,聽L'脡ducation sentimentale聽de Gustave Flaubert ; ce roman 茅tait, pour nous tous, 芦 des Soir茅es de M茅dan 禄, une v茅ritable bible ; mais il ne comportait que peu de moutures. Il 茅tait parachev茅, irrecommen莽able pour Flaubert m锚me ; nous en 茅tions donc, tous, r茅duits, en ce temps-l脿, 脿 louvoyer, 脿 r么der par des voies plus ou moins explor茅es, tout autour. (p. 51)

Restaient les vices ; mais le champ en 茅tait, 脿 cultiver, restreint. Il se limitait aux territoires des Sept p茅ch茅s capitaux et encore, sur ces sept, un seul, celui contre le sixi猫me Commandement de Dieu, 茅tait 脿 peu pr猫s accessible. Les autres avaient 茅t茅 terriblement vendang茅s et il n'y demeurait gu猫re de grappes 脿 茅grener. L'Avarice, par exemple, avait 茅t茅 pressur茅e jusqu'脿 sa derni猫re goutte par Balzac et par Hello. L'Orgueil, la Col猫re, l'Envie avaient tra卯n茅 dans toutes les publications romantiques, et ces sujets de drames avaient 茅t茅 si violemment gauchis par l'abus des sc猫nes qu'il e没t vraiment fallu du g茅nie pour les rajeunir dans un livre. Quant 脿 la Gourmandise et 脿 la Paresse, elles semblaient pouvoir s'incarner plut么t en des personnages 茅pisodiques et convenir mieux 脿 des comparses qu'脿 des chefs d'emploi ou 脿 des premi猫res chanteuses de romans de moeurs. (p. 52)

Quoi qu'on invent芒t, le roman se pouvait r茅sumer en ces quelques lignes : savoir pourquoi monsieur Un tel commettait ou ne commettait pas l'adult猫re avec madame Une telle ; si l'on voulait 锚tre distingu茅 et se d茅celer, ainsi qu'un auteur du meilleur ton, l'on pla莽ait l'oeuvre de chair entre une marquise et un comte ; si l'on voulait, au contraire, 锚tre un 茅crivain populacier, un prosateur 脿 la coule, on la campait entre un soupirant de barri猫re et une fille quelconque ; le cadre seul diff茅rait. La distinction me para卯t avoir pr茅valu maintenant dans les bonnes gr芒ces du lecteur, car je vois qu'脿 l'heure actuelle il ne se repa卯t gu猫re des amours pl茅b茅iennes ou bourgeoises, mais continue 脿 savourer les h茅sitations de la marquise, allant rejoindre son tentateur dans un petit entresol dont l'aspect change suivant la mode tapissi猫re du temps. Tombera ? Tombera pas ? cela s'intitule 茅tude psychologique. Moi je veux bien. (p. 53)

La v茅rit茅 est que l'Orgueil e没t 茅t茅 le plus magnifique des forfaits 脿 茅tudier, dans ses ramifications infernales de cruaut茅 envers le prochain et de fausse humilit茅, que la Gourmandise remorquant 脿 sa suite la Luxure et la Paresse, le Vol, eussent 茅t茅 mati猫re 脿 de surprenantes fouilles, si l'on avait scrut茅 ces p茅ch茅s avec la lampe et le chalumeau de l'脡glise et en ayant la Foi ; mais aucun de nous n'茅tait pr茅par茅 pour cette besogne ; nous 茅tions donc accul茅s 脿 rem芒cher le m茅fait le plus facile 脿 d茅cortiquer de tous, le p茅ch茅 de Luxure. (p. 53)

Au moment o霉 parut聽脌 Rebours, c'est-脿-dire en 1884, la situation 茅tait donc celle-ci : le naturalisme s'essoufflait 脿 tourner la meule dans le m锚me cercle. La somme d'observations que chacun avait emmagasin茅e, en les prenant sur soi-m锚me et sur les autres, commen莽ait 脿 s'茅puiser. Zola, qui 茅tait un beau d茅corateur de th茅芒tre, s'en tirait en brossant des toiles plus ou moins pr茅cises ; il sugg茅rait tr猫s bien l'illusion du mouvement et de la vie ; ses h茅ros 茅taient d茅nu茅s d'芒me, r茅gis tout bonnement par des impulsions et des instincts, ce qui simplifiait le travail de l'analyse. Ils remuaient, accomplissaient quelques actes sommaires, peuplaient d'assez franches silhouettes des d茅cors qui devenaient les personnages principaux de ses drames. Il c茅l茅brait de la sorte les halles, les magasins de nouveaut茅s, les chemins de fer, les mines, et les 锚tres humains 茅gar茅s dans ces milieux n'y jouaient plus que le r么le d'utilit茅s et de figurants ; mais Zola 茅tait Zola, c'est-脿-dire un artiste un peu massif, mais dou茅 de puissants poumons et de gros poings. (p. 54 )

Nous autres, moins r芒bl茅s et pr茅occup茅s d'un art plus subtil et plus vrai, nous devions nous demander si le naturalisme n'aboutissait pas 脿 une impasse et si nous n'allions pas bient么t nous heurter contre le mur du fond. [鈥�] 脌 vrai dire, ces r茅flexions ne surgirent en moi que bien plus tard. Je cherchais vaguement 脿 m'茅vader d'un cul-de-sac o霉 je suffoquais, mais je n'avais aucun plan d茅termin茅 et聽脌 Rebours, qui me lib茅ra d'une litt茅rature sans issue, en m'a茅rant, est un ouvrage parfaitement inconscient, imagin茅 sans id茅es pr茅con莽ues, sans intentions r茅serv茅es d'avenir, sans rien du tout. (p. 48)

[鈥�] lorsqu'il m'arrive d'ouvrir un livre et que j'y aper莽ois l'茅ternelle s茅duction et le non moins 茅ternel adult猫re, je m'empresse de le fermer, n'茅tant nullement d茅sireux de conna卯tre comment l'idylle annonc茅e finira. Le volume o霉 il n'y a pas de documents av茅r茅s, le livre qui ne m'apprend rien ne m'int茅resse plus. (p. 54)

Je ne songeais pas que, de Schopenhauer que j'admirais plus que de raison, 脿 l'贰肠肠濒茅蝉颈补蝉迟别聽et au聽Livre de Job, il n'y avait qu'un pas. Les pr茅misses sur le Pessimisme sont les m锚mes, seulement, lorsqu'il s'agit de conclure, le philosophe se d茅robe. J'aimais ses id茅es sur l'horreur de la vie, sur la b锚tise du monde, sur l'incl茅mence de la destin茅e ; je les aime 茅galement dans les Livres Saints ; mais les observations de Schopenhauer n'aboutissent 脿 rien ; il vous laisse, pour ainsi parler, en plan ; ses aphorismes ne sont, en somme, qu'un herbier de plaintes s猫ches ; l'脡glise, elle, explique les origines et les causes, signale les fins, pr茅sente les rem猫des ; elle ne se contente pas de vous donner une consultation d'芒me, elle vous traite et elle vous gu茅rit, alors que le m茅dicastre allemand, apr猫s vous avoir bien d茅montr茅 que l'affection dont vous souffrez est incurable, vous tourne, en ricanant, le dos. [...] mais 脿 cette 茅poque [celle d'脌 Rebours] [...] le besoin de conclure ne me tentait pas ; la route trac茅e par Schopenhauer 茅tait carrossable et d'aspect vari茅, je m'y promenais tranquillement, sans d茅sir d'en conna卯tre le bout ; en ce temps-l脿, je n'avais aucune clart茅 r茅elle sur les 茅ch茅ances, aucune appr茅hension des d茅nouements ; les myst猫res du cat茅chisme me paraissaient enfantins ; comme tous les catholiques, du reste, j'ignorais parfaitement ma religion ; je ne me rendais pas compte que tout est myst猫re, que nous ne vivons que dans le myst猫re, que si le hasard existait, il serait encore plus myst茅rieux que la Providence. Je n'admettais pas la douleur inflig茅e par un Dieu, je m'imaginais que le Pessimisme pouvait 锚tre le consolateur des 芒mes 茅lev茅es. Quelle b锚tise ! c'est cela qui 茅tait peu exp茅rimental, peu document humain, pour me servir d'un terme cher au naturalisme. Jamais le Pessimisme n'a consol茅 et les malades de corps et les alit茅s d'芒me! (p. 56-57)

Il y avait beaucoup de choses que Zola ne pouvait comprendre ; d'abord, ce besoin que j'茅prouvais d'ouvrir les fen锚tres, de fuir un milieu o霉 j'茅touffais ; puis, le d茅sir qui m'appr茅hendait de secouer les pr茅jug茅s, de briser les limites du roman, d'y faire entrer l'art, la science, l'histoire, de ne plus se servir en un mot, de cette forme que comme d'un cadre pour y ins茅rer de plus s茅rieux travaux. Moi, c'茅tait cela qui me frappait surtout 脿 cette 茅poque, supprimer l'intrigue traditionnelle, voire m锚me la passion, la femme, concentrer le pinceau de lumi猫re sur un seul personnage, faire 脿 tout prix du neuf. (p. 65)

Mais l'id茅e que des Esseintes pouvait 锚tre aussi vrai que ses personnages 脿 lui, d茅concertait, irritait presque Zola (p. 66)

C'est que, chez eux [les peintres que Huysmans qualifie d'ind茅pendants], je trouve un r茅el souci de la vie contemporaine, et M. Degas, sur lequel je dois un peu m'茅tendre, [鈥�] est, 脿 coup s没r, parmi les peintres qui ont suivi le mouvement naturaliste, d茅termin茅 en peinture par les impressionnistes et par Manet, celui qui est demeur茅 le plus original et le plus hardi. (p. 50)

Le patriotisme est, selon moi, une qualit茅 n茅gative en art. Je sais bien que la foule tr茅pigne et essuie une petite sueur d'enthousiasme lorsqu'elle entend brailler dans un concert quelconque 芦 La Revanche 禄 ou 芦 France mes amours 禄, je sais bien que nombre de gens se p芒ment devant les romances de M. D茅roul猫de, mais ceux-l脿 sont de braves gobe-mouches, pr锚ts 脿 couper dans tous ces ponts patriotiques qui font dire des po猫tes-ing茅nieurs qui les construisent : 芦 Voil脿 de bien belles 芒mes ! 禄 le patriotisme, tel que je le comprends, consisterait 脿 mettre sur pieds de v茅ritables oeuvres. (p. 90)

J'ai souvent pens茅 avec 茅tonnement 脿 la trou茅e que les impressionnistes et que Flaubert, de Goncourt et Zola ont faite dans l'art. L'茅cole naturaliste a 茅t茅 r茅v茅l茅e au public par eux ; l'art a 茅t茅 boulevers茅 du haut en bas, affranchi du ligotage officiel des Ecoles. (p. 100)

La musique a march茅, elle aussi, de l'avant ; il ne reste donc, en fait d'art, que la po茅sie et que la sculpture qui soient demeur茅es stationnaires. La po茅sie se meurt, cela est certain. Si grand qu'ait pu 锚tre Victor Hugo, si habile, si artiste que soit Leconte De Lisle, ils perdent et ils perdront surtout, et dans un peu de temps, je crois, toute influence sur la couche nouvelle des po猫tes. Ce ne sera, certes, point avec Musset que la po茅sie sortira du foss茅 o霉 elle barbote ; je ne vois point d猫s lors, 脿 moins qu'un homme de g茅nie ne naisse, ce que pourra devenir cet art que Flaubert appelait un art d'agr茅ment, et je vois moins encore o霉 tend cet autre qu'on nomme la sculpture. Telle qu'elle est aujourd'hui, c'est l'ankylose la plus effroyable qu'on puisse voir. (p. 101)


Un peintre de la vie moderne [M. Degas] 茅tait n茅, et un peintre qui ne d茅rivait de personne, qui ne ressemblait 脿 aucun, qui apportait une saveur d'art toute nouvelle, des proc茅d茅s d'ex茅cution tout nouveaux. Blanchisseuses dans leurs boutiques, danseuses aux r茅p茅titions, chanteuses de caf茅-concert, salles de th茅芒tre, chevaux de course, portraits, marchands de coton en Am茅rique, femmes sortant du bain, effets de boudoirs et de loges, tous ces sujets si divers ont 茅t茅 trait茅s par cet artiste qui est r茅put茅 cependant n'avoir jamais peint que des danseuses ! (p. 124)

[脌 propos de l'art de M. Degas] Quelle v茅rit茅! Quelle vie! Comme toutes ces figures sont dans l'air, comme la lumi猫re baigne justement la sc猫ne, comme l'expression de ces physionomies, l'ennui d'un travail m茅canique p茅nible, le regard scrutant de la m猫re dont les espoirs s'aiguisent quand le corps de sa fille se d茅carcasse, l'indiff茅rence des camarades pour des lassitudes qu'elles connaissent, sont accus茅s, not茅s avec une perspicacit茅 d'analyste tout 脿 la fois cruel et subtil. (p. 125)

Il est difficile avec une plume de donner m锚me une tr猫s vague id茅e de la peinture de M. Degas ; elle ne peut avoir son 茅quivalent qu'en litt茅rature ; si une comparaison entre ces deux arts 茅tait possible, je dirais que l'ex茅cution de M. Degas me rappelle, 脿 bien des points de vue, l'ex茅cution litt茅raire des fr猫res de Goncourt. (p. 127)

De m锚me que pour rendre visible, presque palpable, l'ext茅rieur de la b锚te humaine, dans le milieu o霉 elle s'agite, pour d茅monter le m茅canisme de ses passions, expliquer les marches et les relais de ses pens茅es, l'aberration de ses d茅vouements, la naturelle 茅closion de ses vices, pour exprimer la plus fugitive de ses sensations, Jules et Edmond De Goncourt ont d没 forger un incisif et puissant outil, cr茅er une palette neuve des tons, un vocabulaire original, une nouvelle langue ; de m锚me, pour exprimer la vision des 锚tres et des choses dans l'atmosph猫re qui leur est propre, pour montrer les mouvements, les postures, les gestes, les jeux de la physionomie, les diff茅rents aspects des traits et des toilettes selon les affaiblissements ou les exaltations des lumi猫res, pour traduire des effets incompris ou jug茅s impossibles 脿 peindre jusqu'alors, M. Degas a d没 se fabriquer un instrument tout 脿 la fois t茅nu et large, flexible et ferme. (p. 127-128)

Quand la haute place que ce peintre [M. Degas] devrait occuper dans l'art contemporain sera-t-elle reconnue? Quand comprendra-t-on que cet artiste est le plus grand que nous poss茅dions aujourd'hui en France? Je ne suis pas proph猫te, mais si j'en juge par l'ineptie des classes 茅clair茅es qui, apr猫s avoir longtemps honni Delacroix, ne se doutent pas encore que Baudelaire est le po猫te de g茅nie du XIXe si猫cle, qu'il domine de cent pieds tous les autres, y compris Hugo, et que le chef-d'oeuvre du roman moderne est l'脡ducation sentimentale de Gustave Flaubert, 鈥� et pourtant la litt茅rature est soi-disant l'art le plus accessible aux masses! 鈥� je puis croire que cette v茅rit茅 que je suis le seul 脿 茅crire aujourd'hui sur M. Degas ne sera probablement reconnue telle que dans une p茅riode illimit茅e d'ann茅es. (p. 129-130)

Il faut bien esp茅rer aussi qu'en m锚me temps que s'effectuera l'茅loignement des non-valeurs, de nouveaux talents surgiront et viendront se joindre au groupe. Toute la vie moderne est 脿 茅tudier encore ; c'est 脿 peine si quelques-unes de ses multiples faces ont 茅t茅 aper莽ues et not茅es. Tout est 脿 faire : les galas officiels, les salons, les bals, les coins de la vie famili猫re, de la vie artisane et bourgeoise, les magasins, les march茅s, les restaurants, les caf茅s, les zincs, enfin, toute l'humanit茅, 脿 quelque classe de la soci茅t茅 qu'elle appartienne et quelque fonction qu'elle remplisse, chez elle, dans les hospices, dans les bastringues, au th茅芒tre, dans les squares, dans les rues pauvres ou dans ces vastes boulevards dont les am茅ricaines allures sont le cadre n茅cessaire aux besoins de notre 茅poque. (p. 130)

M. Gustave Moreau est un artiste extraordinaire, unique [鈥�] La seule analogie qu'il pourrait y avoir entre [s]es oeuvres et celles qui ont 茅t茅 cr茅茅es jusqu'脿 ce jour n'existerait vraiment qu'en litt茅rature. L'on 茅prouve, en effet, devant [s]es tableaux, une sensation presque 茅gale 脿 celle que l'on ressent lorsqu'on lit certains po猫mes bizarres et charmants, tels que le R锚ve d茅di茅, dans les Fleurs du Mal, 脿 Constantin Guys, par Charles Baudelaire [鈥�] Et encore le style de M. Moreau se rapprocherait-il plut么t de la langue orf茅vrie des de Concourt. S'il 茅tait possible de s'imaginer l'admirable et d茅finitive Tentation de Gustave Flaubert, 茅crite par les auteurs de Manette Salomon, peut-锚tre aurait-on l'exacte similitude de l'art si d茅licieusement raffin茅 de M. Moreau. (p. 139)

Et encore le style de M. Moreau se rapprocherait-il plut么t de la langue orf茅vrie des de Goncourt. S'il 茅tait possible de s'imaginer l'admirable et d茅finitive Tentation de Gustave Flaubert, 茅crite par les auteurs de Manette Salomon, peut-锚tre aurait-on l'exacte similitude de l'art si d茅licieusement raffin茅 de M. Moreau. (p. 140)

Comme la peinture qui, 脿 la suite des impressionnistes, s'affranchit des d茅solants pr茅ceptes de l'茅cole, comme la litt茅rature qui, 脿 la suite de Flaubert, de Goncourt et de Zola, se jette dans le mouvement du naturalisme, l'architecture est, elle aussi, sortie de l'orni猫re et, plus heureuse que la sculpture, elle a su cr茅er avec des mati猫res nouvelles un art nouveau. (p. 198)

[Parlant de Redon] C'est, en effet, une v茅ritable transposition d'un art dans un autre. Les ma卯tres de cet artiste sont Baudelaire et surtout Edgar Poe, dont il semble avoir m茅dit茅 le consolant aphorisme : 芦 Toute certitude est dans les r锚ves ; 禄 l脿, est la vraie filiation de cet esprit original ; avec lui, nous aimons 脿 perdre pied et 脿 voguer dans le r锚ve, 脿 cent mille lieues de toutes 茅coles, antiques et modernes, de peinture. (p. 236)

La th茅orie du milieu, adapt茅e par M. Taine 脿 l'art est juste 鈥� mais juste 脿 rebours, alors qu'il s'agit de grands artistes, car le milieu agit sur eux alors par la r茅volte, par la haine qu'il leur inspire ; au lieu de modeler, de fa莽onner l'芒me 脿 son image, il cr茅e dans d'immenses Boston, de solitaires Edgar Poe ; il agit par retro, cr茅e dans de honteuses Frances des Baudelaire, des Flaubert, des Goncourt, des Villiers de l'Isle Adam, des Gustave Moreau, des Redon et des Rops, des 锚tres d'exception, qui retournent sur les pas des si猫cles et se jettent, par d茅go没t des promiscuit茅s qu'il leur faut subir, dans les gouffres des 芒ges r茅volus, dans les tumultueux espaces des cauchemars et des r锚ves. (p. 251)

Ainsi que les peintres du Moyen Age que la figure de la Mort hantait, M. Rops, l'approche, et, fascin茅, tourne autour d'elle ; son oeuvre la choie, la d茅vie, l'attiffe, dans ce sentiment Baudelairien qui semble la derni猫re expression de l'art catholique, chez les modernes. Aussi 茅tait-il le seul qui p没t illustrer les Diaboliques qu'un artiste, fonci猫rement chr茅tien comme Barbey d'Aur茅vllly, 茅tait, seul aussi, apte 脿 茅crire. (p. 308)

Il [le peintre Rops] a restitu茅 脿 la Luxure si niaisement confin茅e dans l'anecdote, si bassement mat茅rialis茅e par certaines gens, sa myst茅rieuse omnipotence ; il l'a religieusement replac茅e dans le cadre infernal o霉 elle se meut et, par cela m锚me, il n'a pas cr茅茅 des oeuvres obsc猫nes et positives, mais bien des oeuvres catholiques, des oeuvres enflamm茅es et terribles. (p. 311)

Artiste extralucide, d茅gageant du r茅el le suprasensible, M. Wisthler me fait songer avec ses paysages 脿 plusieurs po茅sies d'une douceur murmurante et c芒line, comme confess茅e, comme fr么l茅e, de M. Verlaine. Il 茅voque, ainsi que lui, 脿 certains instants, de subtiles suggestions et berce, 脿 d'autres, de m锚me qu'une incantation dont l'occulte sortil猫ge 茅chappe. M. Verlaine est 茅videmment all茅 aux confins de la po茅sie, l脿 o霉 elle s'茅vapore compl猫tement et o霉 l'art du musicien commence. M. Wisthler, dans ses harmonies de nuances, passe presque la fronti猫re de la peinture ; il entre dans le pays des lettres, et s'avance sur les m茅lancoliques rives o霉 les p芒les fleurs de M. Verlaine poussent. (p. 284)

Selon lui, en litt茅rature, on s'茅tait jusqu'alors born茅 脿 explorer les superficies de l'芒me ou 脿 p茅n茅trer dans ses souterrains accessibles et 茅clair茅s, relevant, 莽脿 et l脿, les gisements des p茅ch茅s capitaux, 茅tudiant leurs filons, leur croissance, notant, ainsi que Balzac, par exemple, les stratifications de l'芒me poss茅d茅e par la monomanie d'une passion, par l'ambition, par l'avarice, par la b锚tise paternelle, par l'amour s茅nile. (p. 230)

Baudelaire 茅tait all茅 plus loin ; il 茅tait descendu jusqu'au fond de l'in茅puisable mine, s'茅tait engag茅 脿 travers des galeries abandonn茅es ou inconnues, avait abouti 脿 ces districts de l'芒me o霉 se ramifient les v茅g茅tations monstrueuses de la pens茅e (p. 230)

Apr猫s Baudelaire le nombre 茅tait assez restreint, des livres fran莽ais rang茅s sur ses rayons. Il 茅tait assur茅ment insensible aux oeuvres sur lesquelles il est d'un go没t adroit de se p芒mer. 芦 Le grand rire de Rabelais 禄 et 芦 le solide comique de Moli猫re 禄 ne r茅ussissaient pas 脿 le d茅rider, et son antipathie envers ces farces allait m锚me assez loin pour qu'il ne craign卯t pas de les assimiler, au point de vue de l'art, 脿 ces parades des bob猫ches qui aident 脿 la joie des foires. En fait de po茅sies anciennes, il ne lisait gu猫re que Villon, dont les m茅lancoliques ballades le touchaient et, 莽脿 et l脿, quelques morceaux de d'Aubign茅 qui lui fouettaient le sang avec les incroyables virulences de leurs apostrophes et de leurs anath猫mes. En prose, il se souciait fort peu de Voltaire et de Rousseau, voire m锚me de Diderot, dont les 芦 Salons 禄 tant vant茅s lui paraissaient singuli猫rement remplis de fadaises morales et d'aspirations jobardes ; en haine de tous ces fatras, il se confinait presque exclusivement dans la lecture de l'茅loquence chr茅tienne, dans la lecture de Bourdaloue et de Bossuet dont les p茅riodes sonores et par茅es lui imposaient ; mais, de pr茅f茅rence encore, il savourait ces moelles condens茅es en de s茅v猫res et fortes phrases, telles que les fa莽onn猫rent Nicole, dans ses pens茅es, et surtout Pascal dont l'aust猫re pessimisme, dont la douloureuse attrition lui allaient au coeur. (p. 232)

脌 part ces quelques livres, la litt茅rature fran莽aise commen莽ait, dans sa biblioth猫que, avec le si猫cle. Elle se divisait en deux groupes : l'un comprenait la litt茅rature ordinaire, profane ; l'autre la litt茅rature catholique, une litt茅rature sp茅ciale, 脿 peu pr猫s inconnue, divulgu茅e pourtant par de s茅culaires et d'immenses maisons de librairie, aux quatre coins du monde. [鈥�] Incapable de s'attaquer 脿 la vie contemporaine, de rendre visible et palpable l'aspect le plus simple des 锚tres et des choses, inapte 脿 expliquer les ruses compliqu茅es d'une cervelle indiff茅rente 脿 l'茅tat de gr芒ce, cette langue excellait cependant aux sujets abstraits ; utile dans la discussion d'une controverse, dans la d茅monstration d'une th茅orie, dans l'incertitude d'un commentaire, elle avait, plus que toute autre aussi, l'autorit茅 n茅cessaire pour affirmer, sans discussion, la valeur d'une doctrine. (p. 232-233)

En art, ses id茅es 茅taient pourtant parties d'un point de vue simple ; pour lui, les 茅coles n'existaient point ; seul le temp茅rament de l'茅crivain importait ; seul le travail de sa cervelle int茅ressait, quel que f没t le sujet qu'il abord芒t. Malheureusement, cette v茅rit茅 d'appr茅ciation, digne de La Palisse, 茅tait 脿 peu pr猫s inapplicable, par ce simple motif que, tout en d茅sirant se d茅gager des pr茅jug茅s, s'abstenir de toute passion, chacun va de pr茅f茅rence aux oeuvres qui correspondent le plus intimement 脿 son propre temp茅rament et finit par rel茅guer en arri猫re toutes les autres. Ce travail de s茅lection s'茅tait lentement op茅r茅 en lui ; il avait nagu猫re ador茅 le grand Balzac, mais en m锚me temps que son organisme s'茅tait d茅s茅quilibr茅, que ses nerfs avaient pris le dessus, ses inclinations s'茅taient modifi茅es et ses admirations avaient chang茅. (p. 269)

En se sondant bien, n茅anmoins, il comprenait d'abord que, pour l'attirer, une oeuvre devait rev锚tir ce caract猫re d'茅tranget茅 que r茅clamait Edgar Po毛, [鈥�] il souhaitait une ind茅cision troublante sur laquelle il p没t r锚ver, jusqu'脿 ce qu'il la fit, 脿 sa volont茅, plus vague ou plus ferme selon l'茅tat momentan茅 de son 芒me. Il voulait, en somme, une oeuvre d'art et pour ce qu'elle 茅tait par elle-m锚me et pour ce qu'elle pouvait permettre de lui pr锚ter ; il voulait aller avec elle, gr芒ce 脿 elle, comme soutenu par un adjuvant, comme port茅 par un v茅hicule, dans une sph猫re o霉 les sensations sublim茅es lui imprimeraient une commotion inattendue et dont il chercherait longtemps et m锚me vainement 脿 analyser les causes. (p. 270)

Il se d茅tournait le plus possible des tableaux et des livres dont les sujets d茅limit茅s se rel茅guaient dans la vie moderne. Aussi, perdant la facult茅 d'admirer indiff茅remment la beaut茅 sous quelque forme qu'elle se pr茅sente, pr茅f茅rait-il, chez Flaubert, la Tentation de saint Antoine 脿 l'脡ducation sentimentale ; chez de Goncourt, la Faustin 脿 Germinie Lacerteux ; chez Zola, la Faute de l'abb茅 Mouret 脿 l'Assommoir.
Ce point de vue lui paraissait logique ; ces oeuvres moins imm茅diates, mais aussi vibrantes, aussi humaines, le faisaient p茅n茅trer plus loin dans le tr茅fonds du temp茅rament de ces ma卯tres qui livraient avec un plus sinc猫re abandon les 茅lans les plus myst茅rieux de leur 锚tre, et elles l'enlevaient, lui aussi, plus haut que les autres, hors de cette vie triviale dont il 茅tait si las. (p. 270)

L'imperfection m锚me lui plaisait, pourvu qu'elle ne f没t ni parasite, ni servile, et peut-锚tre y avait-il une dose de v茅rit茅 dans sa th茅orie que l'茅crivain subalterne de la d茅cadence, que l'茅crivain encore personnel mais incomplet, alambique un baume plus irritant, plus ap茅ritif, plus acide, que l'artiste de la m锚me 茅poque, qui est vraiment grand, vraiment parfait. 脌 son avis, c'茅tait parmi leurs turbulentes 茅bauches que l'on apercevait les exaltations de la sensibilit茅 les plus suraigu毛s, les caprices de la psychologie les plus morbides, les d茅pravations les plus outr茅es de la langue somm茅e dans ses derniers refus de contenir, d'enrober les sels effervescents des sensations et des id茅es. (p. 275)

De toutes les formes de la litt茅rature, celle du po猫me en prose 茅tait la forme pr茅f茅r茅e de des Esseintes. Mani茅e par un alchimiste de g茅nie, elle devait, suivant lui, renfermer, dans son petit volume, 脿 l'茅tat d'of meat, la puissance du roman dont elle supprimait les longueurs analytiques et les superf茅tations descriptives. Bien souvent, des Esseintes avait m茅dit茅 sur cet inqui茅tant probl猫me, 茅crire un roman concentr茅 en quelques phrases qui contiendraient le suc cohob茅 des centaines de pages toujours employ茅es 脿 茅tablir le milieu, 脿 dessiner les caract猫res, 脿 entasser 脿 l'appui les observations et les menus faits. Alors les mots choisis seraient tellement impermutables qu'ils suppl茅eraient 脿 tous les autres ; l'adjectif pos茅 d'une si ing茅nieuse et d'une si d茅finitive fa莽on qu'il ne pourrait 锚tre l茅galement d茅poss茅d茅 de sa place, ouvrirait de telles perspectives que le lecteur pourrait r锚ver, pendant des semaines enti猫res, sur son sens, tout 脿 la fois pr茅cis et multiple, constaterait le pr茅sent, reconstruirait le pass茅, devinerait l'avenir d'芒mes des personnages, r茅v茅l茅s par les lueurs de cette 茅pith猫te unique. Le roman, ainsi con莽u, ainsi condens茅 en une page ou deux, deviendrait une communion de pens茅e entre un magique 茅crivain et un id茅al lecteur, une collaboration spirituelle consentie entre dix personnes sup茅rieures 茅parses dans l'univers, une d茅lectation offerte aux d茅licats, accessible 脿 eux seuls. En un mot, le po猫me en prose repr茅sentait, pour des Esseintes, le suc concret, l'osmazome de la litt茅rature, l'huile essentielle de l'art. (p. 290)