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(1885-1972)

Dossier

Le roman selon Jules Romains

Le roman selon Jules Romains, par Fran莽ois Masse, 20 octobre 2010

Jules Romains offre l'exemple de l'茅crivain complet. Il a pratiqu茅 脿 peu pr猫s toutes les formes litt茅raires 鈥 le th茅芒tre, la po茅sie, le roman, l'essai 鈥 et n'a renonc茅 脿 aucune au cours de sa carri猫re, m锚me si,听grosso modo, la po茅sie a 茅t茅 principalement l'activit茅 de sa jeunesse, le th茅芒tre celle de l'茅poque o霉 il avait entre trente et quarante ans, et le roman l'oeuvre de sa maturit茅, avec la grande synth猫se que repr茅sente听Les Hommes de bonne volont茅, cette fresque en vingt-sept volumes qui fut publi茅e entre 1932 et 1946. Romains a th茅oris茅 sur la plupart des formes litt茅raires qu'il a pratiqu茅es. Il accorde d'ailleurs une haute l茅gitimit茅 au point de vue du cr茅ateur, point de vue qu'il juge irrempla莽able et irr茅ductible. Dans听Souvenirs et confidences d'un 茅crivain, Romains 茅crit 脿 propos de la t芒che 脿 laquelle il se livre en commentant sa pratique : 芦 Or la justification, il me semble, de confidences comme celles-ci, c'est d'amener le lecteur, 脿 propos d'un cas particulier qui peut ne pas 锚tre tr猫s important, 脿 se faire du travail de cr茅ation artistique une id茅e plus vraie, plus vivante, que celle qu'on rencontre dans la critique, dans les manuels de litt茅rature. 禄 (Romains, 1958, p. 180) Il s'茅tonne d'ailleurs de cette disposition qu'ont trop souvent les 茅crivains 脿 s'effacer devant la critique, voire 芦 脿 adopter avec d茅f茅rence, sur la fa莽on dont l'oeuvre est n茅e et a grandi dans [leur] propre cerveau, l'explication que les critiques autoris茅s lui fournissent. [Les 茅crivains ne veulent] pas les contrarier. Ou bien, [les 茅crivains pensent] de bonne foi que, pareils aux m茅decins [les critiques] savent mieux que nous-m锚mes ce qui se passe en nous. 禄 (Romains, 1958, p. 189)

Romains ne s'est pas content茅 de se r茅aliser dans le domaine litt茅raire. Fid猫le 脿 l'esprit de l'脡cole Normale Sup茅rieure o霉 il a 茅t茅 form茅, il a assouvi son 芦 go没t d'听homo plenarius听en se livrant 茅galement 脿 la recherche scientifique, 脿 des travaux sur la vision notamment qui ont 茅t茅 recueillis dans l'ouvrage intitul茅听La Vision extrar茅tinienne et le Sens paroptique. 脌 propos de cette incursion du c么t茅 de la science, Romains affirme : 芦 je n'茅tais pas assez illusionniste pour croire qu'脿 notre 茅poque deux carri猫res aussi distinctes pouvaient 锚tre poursuivies concurremment. 禄 (Romains, 1964, p. 69). Au reste, Romains accorde 脿 la litt茅rature une importance 茅gale 脿 celle qu'il accorde 脿 la science, tout en insistant sur ce qui distingue ces deux approches de la vie. Dans la seconde pr茅face 脿 la听Vie unanime, le recueil de po猫mes qui le rendit c茅l猫bre, Romains marque de fa莽on nette la diff茅rence entre l'exp茅rience po茅tique qu'il menait alors et les travaux scientifiques qui avaient cours au m锚me moment, et qui, selon les critiques, l'auraient suppos茅ment influenc茅 pour l'茅criture de son recueil : 芦 De 1904 脿 1907, pendant que je composais, ou plut么t que se composait la听Vie unanime, j'ai tout fait sauf de la sociologie. J'avais m锚me pour la sociologie, sans y rien conna卯tre, une aversion de principe, parce que je la soup莽onnais de toucher avec ses grosses pattes 脿 des r茅alit茅s que je ne voulais atteindre que par les voies de l'intuition pure, de l'extase mystique et de l'amour. 禄 (Romains, 1925, p. 28) Atteindre la r茅alit茅 par 芦 les voies de l'intuition pure 禄, sonder les profondeurs de la vie, indiquer des directions pour l'avenir ; telles sont les grandes fonctions que Romains听 exige de la litt茅rature.

Ouvrages cit茅s :

  • 听Jules Romains,听Souvenirs et confidences d'un 茅crivain, Paris, Arth猫me Fayard, coll. 芦 Les quarante 禄, 1958.
  • Jules Romains,听Ai-je fait ce que j'ai voulu ?, Paris-Namur, Wesmael-Charlier, coll. 芦 Les 茅crivains jugent de leurs oeuvres 禄, 1964.
  • Jules Romains, 芦 Pr茅face de 1925 禄,听La Vie unanime : po猫me 1904-1907, 茅dit茅 par Michel D茅caudin, Paris, Gallimard, coll. 芦 Po茅sie 禄, 1983 [1926].

Bibliographie

Ouvrages cit茅s
La pr茅sente bibliographie est partielle. Toutefois, la diversit茅 des sources interrog茅es - pr茅faces, discours, essais, confidences - offre un certain aper莽u de l'ensemble de la r茅flexion de Jules Romains sur les formes litt茅raires qu'il a pratiqu茅es, et tout particuli猫rement le roman.听 Les circonstances ont fait que la plupart des propos de Romains retenus ici concernent le projet des听Hommes de bonne volont茅听et la fa莽on dont y sont trait茅s les personnages. Les titres sont donn茅s par ordre chronologique.

芦 Pr茅face de 1925 禄,听La Vie unanime : po猫me 1904-1907, 茅d. Michel D茅caudin, Paris, Gallimard (Po茅sie), 1983 [1926].

芦 Pr茅face 禄,听Les Hommes de bonne volont茅听(t.1), Paris, Flammarion, 1954, [1932].

Le Colloque de novembre, 芦 Discours de r茅ception de Jules Romains 脿 l'Acad茅mie fran莽aise et r茅ponse de Georges Duhamel, de l'Acad茅mie fran莽aise, le 7 novembre 1946 禄, Paris, Flammarion, 1946.

Saints de notre calendrier, Paris, Flammarion, 1952.

Souvenirs et confidences d'un 茅crivain, Paris, Arth猫me Fayard, coll. 芦 Les quarante禄, 1958.

Ai-je fait ce que j'ai voulu ?, Paris-Namur, Wesmael-Charlier, 1964.

Citations

芦 Pr茅face de 1925 禄,听La Vie unanime : po猫me 1904-1907, 茅d. Michel D茅caudin, Paris, Gallimard (Po茅sie), 1983 [1926].
芦 De 1904 脿 1907, pendant que je composais, ou plut么t que se composait la听Vie unanime, j'ai tout fait sauf de la sociologie. J'avais m锚me pour la sociologie, sans y rien conna卯tre, une aversion de principe, parce que je la soup莽onnais de toucher avec ses grosses pattes 脿 des r茅alit茅s que je ne voulais atteindre que par les voies de l'intuition pure, de l'extase mystique et de l'amour. Tous les ouvrages de sociologues m'inspiraient la m锚me horreur qu'脿 un s茅minariste exalt茅 une th猫se sur ''l'historicit茅 de J茅sus''. [鈥 Il me souvient d'avoir envoy茅 un exemplaire de la听Vie unanime听au docteur Gustave Le Bon, de qui je me serais gard茅 de lire une ligne : le titre seul de ''Psychologie des foules'' me h茅rissait le poil. 禄
芦 Pr茅face 禄,听Les Hommes de bonne volont茅听(t.1), Paris, Flammarion, 1954, [1932]./th>
芦 Quand un romancier se propose un travail de grande envergure, comme, par exemple, celui de peindre le monde de son temps (qu'on me passe cette expression commode), la tradition lui offre deux proc茅d茅s principaux, dont les autres ne sont que des variantes. Le premier consiste 脿 traiter, dans des romans s茅par茅s, un certain nombre de sujets convenablement choisis, de sorte qu'脿 la fin la juxtaposition de ces peintures particuli猫res donne plus ou moins l'茅quivalent d'une peinture d'ensemble. La r茅apparition de tel personnage,听 le rappel d'茅v茅nements cont茅s ailleurs, peuvent en outre jeter, d'un roman 脿 l'autre, une attache perceptible.听 Mais il faut avouer que l'unit茅 de l'ensemble reste pr茅caire et flottante. Il arrive que l'auteur lui-m锚me ne la d茅gage qu'apr猫s coup. En tout cas elle ne s'impose pas au lecteur ; je veux dire que rien ne l'oblige 脿 la sentir bon gr茅 mal gr茅. Vous pouvez lire听Eug茅nie Grandet听et听C茅sar Birotteau听sans vous soucier du reste de la听Com茅die Humaine, et sans apercevoir entre ces deux chefs-d'oeuvre un lien d'un autre ordre qu'entre l'脡ducation sentimentale听et听Madame Bovary. Je n'ai pas besoin de rappeler que Zola, s'il a voulu, pour la s茅rie des听Rougon-Macquart, une unit茅 plus forte, et plus int茅rieure aux parties, ne l'a pas obtenue autant qu'il le pensait.听 Les liens du sang et de l'h茅r茅dit茅, qu'il a nou茅s entre ses h茅ros, ont 脿 ses yeux une importance th茅orique dont il ne r茅ussit pas 脿 nous convaincre. Nous gardons l'impression que l'unit茅 de la s茅rie reste ext茅rieure et par surcro卯t se complique d'un artifice. Oserais-je ajouter que cette fa莽on d'entreprendre un tableau de la soci茅t茅 [鈥 ne gagnerait pas 脿 se r茅p茅ter de nos jours ? Une telle investigation du monde social, morceau par morceau, r茅gion par r茅gion, qui eut 脿 son heure une allure de conqu锚te, prendrait maintenant quelque chose de bien m茅canique, de bien pr茅vu. Le roman sur les milieux financiers, venant apr猫s le roman sur les milieux politiques et le roman sur les milieux sportifs鈥 oui, ce serait un peu trop comme le n掳 17 sur les animaux de basse-cour venant apr猫s le 16 sur les Arbres fruitiers et le 15 sur les Parasites de la vigne. Le second proc茅d茅 que nous offre la tradition, tant fran莽aise qu'茅trang猫re, aboutit 脿 des oeuvres dont, cette fois, l'unit茅 interne n'est pas contestable. Ce n'est plus une collection de romans, group茅s sous une rubrique, ou enferm茅s dans un cadre 脿 demi arbitraire, que nous avons devant nous, avec la libert茅 d'y choisir selon nos pr茅f茅rences, et de commencer par o霉 bon nous semble. C'est un seul roman, qui se d茅plie en plusieurs volumes. Ce qui en fait l'unit茅, c'est la personne et la vie du h茅ros principal. Ses aventures, sur lesquelles viennent se greffer celles des personnages qu'il rencontre, fourinissent 脿 l'auteur l'occasion de d茅crire divers milieux. Finalement une peinture de la soci茅t茅, plus ou moins compl猫te, avec des lointains et des raccourcis plus ou moins d茅formants, s'ordonne en perspective autour d'un individu. [...] Tel est le cas des听惭颈蝉茅谤补产濒别蝉听; et, si l'on veut, du Jean-Christophe听de Romain Rolland. Tel est m锚me celui des oeuvres qui font du personnage central plut么t un t茅moin qu'un acteur, et prennent ainsi, comme chez Proust, un aspect de M茅moires romanesques. 禄 (p. 6-7)

芦 Le besoin de tout rapporter 脿 un personnage central se rattache 脿 une vision de l'univers social o霉 l'individu est le centre, et que l'on peut appeler, plus pr茅cis茅ment听 qu' ''individualiste'', ''centr茅e sur l'individu'', (comme il y a eu jadis une conception ''g茅ocentrique'' du monde solaire). Le proc茅d茅 qui en d茅coule demeure donc l茅gitime chaque fois qu'il s'agit d'exprimer une 芒me et une destin茅e individuelles ; ou m锚me la vie d'un groupe restreint ; ou encore l'action r茅ciproque du h茅ros et du milieu social. Mais il devient une survivance quand le sujet v茅ritable est la soci茅t茅 elle-m锚me, ou un vaste ensemble humain, avec une diversit茅 de destin茅es individuelles qui y cheminent chacune pour leur compte, en s'ignorant la plupart du temps, et sans demander s'il ne serait pas commode pour le romancier qu'elles allassent toutes se rencontrer par hasard au m锚me carrefour. 禄 (p. 8-9)

芦 La v茅rit茅 me semble 锚tre qu'脿 chaque 茅poque un des arts autre que la litt茅rature se trouve particuli猫rement outill茅 pour satisfaire telle tendance dominante de la sensibilit茅 脿 ce moment-l脿. Mais comme d'autre part, 脿 cause de son extr锚me souplesse et des moyens tr猫s divers dont elle dispose, la litt茅rature reste toujours en contact avec tous les mouvements et toutes les demandes de l'esprit ; en un mot, comme elle est l'art le plus ''coextensif 脿 l'芒me humaine'', il n'en r茅sulte qu'elle ne laisse jamais un besoin spirituel na卯tre ou grandir sans t芒cher d'y r茅pondre ; si bien qu'脿 chaque 茅poque la litt茅rature et l'un des autres arts se rencontrent curieusement autour de pr茅occupations analogues, et tentent des efforts d'expression parall猫les. D'o霉 l'apparence souvent trompeuse que par cet art la litt茅rature est influenc茅e: peinture au milieu du XIXe si猫cle, musique vers la fin du m锚me si猫cle. Il est certaine que les ressources du cin茅ma, arriv茅 脿 l'芒ge adulte, sont venues r茅pondre 脿 leur tour au besoin qu'茅prouve l'esprit moderne d'exprimer le dynamisme et le foisonnement du monde o霉 il plonge. Mais il est non moins certain que la litt茅rature, pour y r茅pondre de son c么t茅, n'avait pas attendu le cin茅ma, et avait su trouver en elle-m锚me le principe d'un renouvellement appropri茅 de sa technique.禄 (p. 9-10)
Le Colloque de novembre, 芦 Discours de r茅ception de Jules Romains 脿 l'Acad茅mie fran莽aise et r茅ponse de Georges Duhamel, de l'Acad茅mie fran莽aise, le 7 novembre 1946 禄, Paris, Flammarion, 1946./th>
芦 Tous aussi nous 茅tions d'accord pour assigner dans un tel monde une fonction 茅minente 脿 la litt茅rature. En m锚me temps qu'elle achevait ses propres fins, et continuait 脿 cr茅er des chefs-d'oeuvre capables de se justifier par leur seule beaut茅, elle devait se faire plus que jamais la supr锚me conscience de la soci茅t茅, et pour cela ramener 脿 elle l'immense amiti茅 des hommes que certains raffinements r茅cents de l'esth茅tique litt茅raire avaient pu effaroucher. 禄 (p. 17)
Saints de notre calendrier, Paris, Flammarion, 1952./th>
Cet ouvrage pr茅sente une s茅rie de textes sur Goethe, Balzac, Baudelaire, Gobineau, Zola, etc.
Souvenirs et confidences d'un 茅crivain, Paris, Arth猫me Fayard, coll. 芦 Les quarante禄, 1958./th>
芦 Pour 锚tre juste, il faut reconna卯tre que les 锚tres "en chair et en os" ont bien quelques petits avantages, quelques petits privil猫ges, comme celui, pr茅cis茅ment, d'锚tre en chair et en os, ce qui, outre les agr茅ments m茅lang茅s qu'ils en retirent, nous est tout de m锚me bien commode quand nous avons affaire 脿 eux; comme celui d'exister bien carr茅ment quelque part, pour leur compte et sans avoir besoin de l'autorisation de personne; comme celui de ne pas attendre non plus notre permission pour se manifester 脿 nous [...]. En tout cas, pourrait-on r茅pondre, ils perdent le plus clair de ces avantage, sinon tous, en perdant la vie. Et, 脿 partir de ce moment-l脿, la sup茅riorit茅 des personnages fictifs devient 茅clatante. Combien, parmi les morts, c'est-脿-dire parmi les anciens vivants, atteignent-ils ou se maintiennent-ils 脿 la pl茅nitude d'existence d'un Hamlet, d'un Harpagon, ou d'un p猫re Goriot ? Et encore, de ceux qui y parviennent 脿 peu pr猫s: les grands personnages historiques, l'on aurait le droit de pr茅tendre, sans exc猫s de paradoxe, qu'ils le doivent pour une bonne part 脿 leur m茅tamorphose ult茅rieure en personnages de litt茅rature. C'est ainsi que Jules C茅sar, l'empereur Hadrien, Jeanne d'Arc, et bien d'autres, reprennent p茅riodiquement une existence tr猫s active. Mais ils le doivent 脿 une pi猫ce de th茅芒tre, 脿 un roman de la saison.禄 (p. 84-85)

芦 Je me demande m锚me si nous ne trouverions pas, dans cette sup茅riorit茅 que pr茅sentent, 脿 bien des 茅gards, les personnages fictifs sur les 锚tres "en chair et en os", l'explication d'un fait qui, 脿 le consid茅rer en lui-m锚me est assez myst茅rieux. Ce fait myst茅rieux, c'est pr茅cis茅ment le go没t que montre l'humanit茅 pour les personnages fictifs. [...] Est-ce que les 锚tres vivants ne sont pas d茅j脿 assez nombreux ? Est-ce que la terre n'est pas d茅j脿 assez encombr茅e ? [...] Je crois qu'une des raisons de ce go没t, non pas exclusive de toute autre, mais essentielle, est celle-ci: Que le public, justement, demande aux personnages fictifs la听r茅alit茅听compl猫te, sans lacunes, sans possibilit茅 de mensonge radical, qu'il n'est jamais s没r de trouver aupr猫s des vivants. Nous p茅n茅trons t么t ou tard dans l'芒me du personnage fictif [鈥. Nous savons, ou nous finissons par savoir,听quand听le personnage dit vrai et听quand听il dit faux. Nous ne sommes pas dupes, ou pas dupes jusqu'au bout, de ses attitudes. Bref, nous sommes s没rs que nous ne nous construisons pas 脿 son propos une image chim茅rique, comme il nous arrive tant de fois de le faire au sujet de gens que nous fr茅quentons, et m锚me de nos proches.禄 (p. 85-87)

Citations concernant听Les Hommes de bonne volont茅听:

芦 L'on sait qu'au lieu de traiter la soci茅t茅, les milieux sociaux, les 茅v茅nements collectifs, comme une suite de d茅cors, que l'auteur dresse successivement 脿 mesure que le r茅clame l'aventure de ses personnages, au lieu m锚me de prendre, ce qui constitue d茅j脿 une 茅tape plus avanc茅e, l'aventure de ses personnages comme une occasion de p茅n茅trer, d'explorer, divers milieux sociaux ; le roman unanimiste s'efforce de saisir d'abord la vie et le mouvement de la soci茅t茅 en elle-m锚me, des groupes dont elle se compose, les courants psychiques qui la traversent et la modifient. 禄 (p. 146)

[脌 propos des personnages des听Hommes de bonne volont茅]: 芦 Ils sont quelques-uns qui s'avancent au premier rang de la foule. Je distingue un peu au hasard, Jallez, Jerphanion, Marie de Champcenais, Wazemmes, l'abb茅 Jeanne, Haverkamp, Samm茅caud, Mathilde Cazalis, Germaine Baader, M. de Saint-Papoul, Gurau, Quinette, Mionnet, Strigelius, Fran莽oise, le chien Macaire鈥 Me voici terriblement embarrass茅 pour choisir. Pourquoi celui-ci plut么t que celui-l脿 ? Pourquoi trois plut么t que dix ? De toute fa莽on, je ferai tort 脿 l'oeuvre en choisissant, car il est dans sa nature de se refuser 脿 un tel choix. 禄 (p. 135)

芦 Ce n'est donc pas au hasard que se situent, au long de ces vingt-sept volumes, les morceaux qui essayent d'exhausser la conscience collective individuelle au niveau de la psych茅 collective, ou qui, au moins, lui en communiquent des suggestions, des lueurs indirectes. Mais ces morceaux sont des exercices respiratoires difficiles. Ils ne sauraient se prolonger impun茅ment. Un de leurs profits, ou de leurs buts, est de cr茅er une obsession qui dure plus longtemps qu'eux. Le lecteur [鈥, au sortir de ces excursions dans le supra-individuel, en garde quelque chose, m锚me s'il se trouve ensuite confront茅 脿 une aventure qui semble se passer sur un plan strictement individuel. Sans m锚me avoir besoin d'y r茅fl茅chir, ni d'y 锚tre invit茅 par une remarque de l'auteur, il enveloppe cette aventure ou ce personnage d'un certain nombre d'茅chos et de reflets. La rumeur de l'oc茅an continue 脿 bourdonner alentour. 禄 (p. 147)

芦 Il ne suffit plus alors, en effet, de laisser le personnage suivre sa pente, d茅vider peu 脿 peu le fil de sa destin茅e, faire les actions qu'il a envie de faire. Il faut encore veiller aux correspondances que doivent entretenir entre elles ces s茅ries d'actions ; 脿 leurs influences mutuelles ; 脿 leurs points de rencontre et de choc ; aux nouvelles destin茅es qui en r茅sultent. Bref, une imitation, 脿 茅chelle plus ou moins r茅duite, du probl猫me que pose n'importe quel 鈥渦nivers鈥 pour la pens茅e cr茅atrice, qui se charge tout 脿 la fois de le pr茅voir et de l'organiser, et qui est tenue de r茅soudre cette quadrature du cercle qu'on pourrait appeler la quadrature 鈥渄ivine鈥: faire que chaque 锚tre se d茅veloppe et 茅volue librement, comme selon sa loi, et, pourtant, que toutes ces libres 茅volutions de destin茅es se composent et se d茅terminent. 禄 (p. 106-107)

芦 [Le romancier] devient leur historiographe [des personnages]. Il assiste 脿 leurs rencontres, 脿 leurs conflits s'il y en a, 脿 leurs changements de destin茅e. L'on fait connaissance des gens avec qui ils entrent en relation. Et cela enrichit la troupe, au moment o霉, peut-锚tre, le lecteur risquait de se fatiguer. 禄 (p. 143-144)
Ai-je fait ce que j'ai voulu ?, Paris-Namur, Wesmael-Charlier, 1964.
芦 J'茅tais donc intimement r茅solu 脿 ne prendre la parole que si j'avais quelque chose 脿 dire qui n'e没t pas encore 茅t茅 dit. Mais cette nouveaut茅, je n'acceptais de la chercher que dans les profondeurs de l'茅poque, et non dans le mani茅risme formel. J'avais d'ailleurs, pour la litt茅rature, de grandes ambitions. En lui pr锚tant, dans la soci茅t茅 humaine, un r么le de 芦 conscience supr锚me 禄, je ne lui demandais pas seulement d'exprimer ce qui se passait ou se pr茅parait dans lesdites profondeurs. La conscience de l'锚tre vivant ne se borne pas 脿 enregistrer, 脿 traduire en termes clairs l'inexprim茅 et l'obscur. Elle est aussi une fonction de jugement et de choix. De grandes oeuvres litt茅raires 鈥 comme le pass茅 l'a souvent montr茅 鈥 aident la masse humaine 脿 voir clair puis 脿 vouloir. 禄 (p. 36)

芦 Quand il s'agit d'茅crivains dignes de ce nom, je n'ai jamais cru 脿 la sp茅cialisation听naturelle听en litt茅rature. Si en fait la sp茅cialisation se produit, elle r茅sulte ou des conditions en partie fortuite d'une carri猫re (un premier roman qui r茅ussit persuade le jeune auteur qu'il est fait pour le roman ; une premi猫re pi猫ce, qu'il est n茅 dramaturge), ou d'un choix, peut-锚tre inconscient, et qui dans certains cas est heureux, dans d'autres l'est moins. En ce qui me concerne, j'茅tais surtout pr茅occup茅 des ressources qu'offrait chaque genre ; et le choix m'茅tait dict茅 ou conseill茅 par le sujet. Sans oublier, bien entendu, que le choix du genre influait sur la structure de l'oeuvre. 禄 (p. 51-52)

芦 Il y avait toujours eu dans mes projets l'id茅e, tr猫s vague au d茅but, et rest茅e longtemps tr猫s mall茅able, d'un vaste roman qui e没t 茅t茅 comme une synth猫se unanimiste de notre 茅poque. [鈥 Pour cette synth猫se que je r锚vais, la forme du roman me paraissait plus indiqu茅e que toute autre. Il n'茅tait pas question de donner 脿 un po猫me les dimensions colossales qu'e没t exig茅es un tel programme. Le champ offert par le th茅芒tre n'茅tait pas moins limit茅. Une t茅tralogie e没t 茅t茅 encore bien courte. Et quel directeur aurait eu la folie h茅ro茂que de la monter ? Quel public, la fid茅lit茅 d'en suivre le d茅veloppement, d'en reconstituer dans son esprit l'unit茅 et la courbe ? Seul le genre du roman avait la souplesse et l'茅lasticit茅 n茅cessaires. 禄 (p. 104-105)

芦 Quand il s'agit d'une oeuvre litt茅raire, et sp茅cialement d'une oeuvre qui se propose d'exprimer une phase de la vie collective, intervient la question du ''recul'' ou, si l'on veut, de la 芦 distance pr茅f茅rable 禄 entre le mod猫le et l'artiste. Je me contente de dire ''pr茅f茅rable'', car je ne crois pas qu'il y ait de r猫gle absolue, ni qu'il soit sage d'en chercher une. Mais, apr猫s y avoir bien r茅fl茅chi, apr猫s avoir pris conseil de bien des exemples, je fus amen茅 脿 pens茅 qu'il y a un recul meilleur que d'autres. J'insiste : pour le romancier. Je ne dis pas pour l'historien. Je me fis le raisonnement suivant : le romancier a int茅r锚t 脿 choisir une 茅poque envers laquelle il puisse prendre, avec naturel, une attitude ambivalente. 脌 savoir : une 茅poque qui, d'une part, soit d茅j脿 franchement du pass茅, 脿 l'茅gard de laquelle l'auteur ait d茅j脿 cette impartialit茅, cette s茅r茅nit茅 m没rissante, ce discernement du durable et de l'茅ph茅m猫re, qu'inspire le pass茅 脿 ceux d'entre nous qui ne sont pas d'incurables fanatiques ; et qui d'autre part reste en contact vital, charnel avec l'茅crivain, rel猫ve de son pass茅 脿 lui, lui parle le langage de l'imm茅diat de l'芒me, sans le d茅tour obligatoire par le document et par le livre. 禄 (p. 108)
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