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Il semble d'usage de faire pr茅c茅der toute 茅tude sur Georges Duhamel par quelques mots sur le triste sort que lui a r茅serv茅 la post茅rit茅. Son oeuvre, ainsi qu'Arlette Lafay, Evelyn Girard et Michael Schwarze le font observer [1], s'est peu 脿 peu enlis茅e dans l'oubli depuis l'entre-deux-guerres, 茅poque o霉 Duhamel 茅tait au fa卯te de sa carri猫re. Cette relative obscurit茅 offre cependant un terreau fertile aux jugements sommaires. Depuis sa mort en 1966, Duhamel aura 茅t茅 pr茅sent茅 tour 脿 tour comme聽un r茅actionnaire vocif茅rant [2] et un 芦 homme du pr茅sent, [鈥�] philosophe g茅n茅reux et optimiste [3] 禄; comme un illustrateur des 芦 sentiments sociaux [4] 禄 et le peintre d' 芦 un univers limit茅 脿 quelques exp茅riences bien pr茅cises [5] 禄. Sans 锚tre toutes infond茅es, ces expressions paraissent difficilement conciliables, et nous laissent de Georges Duhamel une image confuse. Depuis les ann茅es 1980, toutefois, un petit nombre d'茅tudes sur l'oeuvre duham茅lienne, notamment celles d'Arlette Lafay et de Chantal Fouch茅, ont jet茅 quelque lumi猫re sur les romans et les prises de position de cet 茅crivain engag茅. Mais des zones d'ombre persistent, particuli猫rement en ce qui concerne les textes critiques de Duhamel. Rarement r茅茅dit茅s et peu lus de nos jours, ceux-ci m茅ritent d'autant plus notre attention qu'ils constituent un acc猫s privil茅gi茅 aux conceptions romanesques d'un 茅crivain d'importance, qui, ainsi que l'茅crivait Andr茅 Billy en 1930, repr茅sentait 芦 r茅unis l'Anatole France et le Romain Rolland de [sa] g茅n茅ration [6] 禄. De聽Guerre et litt茅rature聽(1920) 脿聽Travail, 脭 mon seul repos!聽(1959), Duhamel n'a cess茅 de publier, en marge de son oeuvre romanesque, des conf茅rences, des essais et des manifestes sur l'art du roman, avec le souci 茅vident de rallier autant de lecteurs que possible 脿 ses th茅ories. Mais en quoi ces th茅ories consistaient-elle pr茅cis茅ment? C'est cette question qui me servira de fil conducteur dans les prochaines pages, o霉 je m'emploierai, en ne consid茅rant que l'oeuvre critique de Georges Duhamel, 脿 relever les points saillants de son discours sur le roman. Je commencerai par expliquer ce que Duhamel voit comme la nature et la finalit茅 de la litt茅rature romanesque, puis je d茅taillerai les moyens dont, selon lui, le romancier doit user pour atteindre ses objectifs. Enfin, j'aborderai le sujet de la tradition chez Duhamel, en m'arr锚tant en particulier aux opinions que professe cet auteur sur l'imitation et l'originalit茅.

Le roman et sa finalit茅.

Comment Georges Duhamel d茅finit-il le roman? Avant d'explorer le d茅tail de la question, il faut sans doute en consid茅rer les grandes lignes. Pour Duhamel, c'est d'abord par son ampleur que le roman se distingue des autres formes litt茅raires : contrairement 脿 la nouvelle et au r茅cit, il pr茅sente 芦 un grand nombre de personnages, des cadres vari茅s, des 茅v茅nements complexes [7] 禄. Sur ce point, difficilement contestable il est vrai, Duhamel s'estime en accord avec les 茅crivains de son temps. Mais, d猫s les premi猫res pages de son聽Essai sur le roman聽(1925), il se dresse contre les mauvais traitements que ses contemporains infligent 脿 cette forme litt茅raire : 茅blouis par la popularit茅 du roman, beaucoup le servent en effet 脿 toutes les sauces, au point de le d茅naturer.

Il faut des romans! Le public en veut! Le public en exige! Mieux encore : le public en ach猫te! On en fera donc. Et l'on voit ces mauvais 茅crivains, qui sont parfois de pauvres 茅crivains aussi bien que des 茅crivains pauvres, faire roman de tout [8].

Le constat est s茅v猫re, et r茅v猫le une conscience aigu毛 de la crise que traverse la forme romanesque au d茅but du XXe si猫cle. Duhamel souligne m锚me 脿 plusieurs reprises la gravit茅 de la situation : 芦 [鈥�] le roman accueille toutes les 茅paves. Ob猫se, apoplectique, informe, monstrueux, il fait ventre de toutes les nourritures [9]. 禄 Cet 茅tat d'errance n'est toutefois pas sans appel. Le roman attend seulement qu'on le remette sur la bonne voie, qu'on lui d茅signe le but auquel il doit tendre et les 茅cueils qui le guettent. Ainsi, Duhamel d茅clare franchement que certaines mati猫res ne conviennent pas 脿 la forme romanesque. Le romancier risque de 芦 s'茅garer [10] 禄 s'il se compla卯t, par exemple, dans un 芦 fatras documentaire [11] 禄 ou de 芦 pesantes th猫ses sociales, morales, 茅conomiques ou autres [12] 禄. Il doit plut么t rester fix茅 sur un objectif unique : 芦 la recherche de l'茅ternelle v茅rit茅 humaine [13] 禄. C'est cette finalit茅 qui constitue, au-del脿 des questions d'ampleur et de complexit茅, le fondement du roman et le 芦 devoir [14] 禄 du romancier.

Mais 芦 la recherche de l'茅ternelle v茅rit茅 humaine 禄 peut sembler un projet vague, du moins au premier abord. T芒chons donc de le pr茅ciser 脿 l'aide des 茅crits de Duhamel, en commen莽ant par 茅carter tout ce qui est accessoire, c'est-脿-dire les cons茅quences heureuses, mais secondaires, de l'invention romanesque. On pourrait en citer plusieurs. Le roman repr茅sente d'abord un exutoire pour le romancier, qui d茅verse dans son oeuvre un trop-plein de pens茅es et d'茅motions. 芦 Les id茅es, comme les personnages imaginaires, comme les images, comme les chants lyriques, tout cela nous 茅toufferait si nous n'avions pas la divine exon茅ration de l'oeuvre [15]! 禄 Mais l脿 n'est pas la principale finalit茅 du roman : s'il ne profitait qu'au romancier, 脿 quoi bon publier? Les bons romans, 茅crit aussi Duhamel, produisent une 芦 musique verbale [16] 禄 caract茅ristique de leur auteur. Mais c'est ailleurs que leur beaut茅 trouve son v茅ritable fondement. Duhamel s'inqui猫te, au demeurant, que 芦 l'invention technique 禄, c'est-脿-dire les recherches formelles, ne d茅tourne les 茅crivains 芦 de leur destin, de leur mission [17] 禄. Il faut ajouter que la 芦 mission 禄 du romancier n'est pas non plus d' 芦 茅mouvoir 禄, ni m锚me d' 芦 instruire [18] 禄, du moins dans le sens 茅troit et didactique du terme : ces vis茅es sont trop 茅troites pour occuper enti猫rement un romancier digne de ce nom. Enfin, le romancier n'a pas vocation 脿 peindre une 茅poque 脿 la mani猫re d'un sociologue ou d'un historien. Cherchant sans doute 脿 se distancier des naturalistes et de leurs h茅ritiers, Duhamel 茅crit, au sujet de sa聽Chronique des Pasquier聽: 芦 Je laisse aux historiens leur t芒che tr猫s sourcilleuse. L'histoire n'est pas absente de ma chronique : elle en forme la toile de fond [19]. 禄

Ce qui repr茅sente en v茅rit茅 l'essence du roman, c'est 芦 la peinture des 芒mes [20] 禄. Le roman v茅ritable, pour Duhamel, constitue ni plus ni moins qu'une 芦 galerie de portraits 禄 qui 芦 entrent en action [21] 禄. C'est en ce sens que 芦 le roman n'a pas de sujet [22] 禄 : les 茅v茅nements s'y produisent au gr茅 des personnages, sans suivre un plan trac茅 d'avance, si bien qu'on a toujours peine 脿 les r茅sumer. Le roman ne sert pas 脿 d茅montrer une th猫se, 脿 transmettre une le莽on ou 脿 relater un 茅v茅nement historique : s'il le fait, ce doit 锚tre par contrecoup. Le d茅veloppement naturel des personnages doit toujours primer. Sur ce point, Duhamel est cat茅gorique : 芦 la psychologie demeure le fond de toute 茅tude romanesque [23] 禄.

La 芦 peinture des 芒mes 禄 n'est cependant pas une fin en elle-m锚me. En s'y livrant, le romancier cherche 脿 芦 rendre sensible l'芒me humaine [24] 禄, afin d'aider ses lecteurs 芦 脿 vivre pleinement, [鈥�] consciemment [25] 禄. Tout le reste 鈥� effets de style,听pathos, documentation, etc. 鈥� doit 锚tre ou bien 茅cart茅, ou bien mis au service de ce dessein, que Duhamel pr茅sente, dans sa聽D茅fense des lettres聽(1937), comme la聽fonction sociale聽du romancier.

Requis par les soucis et les travaux de leur fonction personnelle, la plupart des citoyens, dans une soci茅t茅 normale,听n'ont ni la vertu ni le temps de conna卯tre le monde, au sens philosophique et po茅tique du mot, et d'exprimer dans une langue ing茅nieuse la substance de leurs d茅couvertes. Ils s'en remettent volontiers au sp茅cialiste, c'est-脿-dire 脿 l'茅crivain qui, dans la mesure de son cr茅dit, se trouve聽mandat茅 pour accomplir des actes de connaissance听摆26闭.

Notons au passage la mani猫re dont Duhamel caract茅rise l'茅crivain dans ces lignes : ce dernier est un 芦 sp茅cialiste [鈥�] mandat茅 禄 qui se rend utile aupr猫s de ses concitoyens. Une sorte de m茅decin de l'芒me, dont la comp茅tence repose davantage sur l' 芦 humilit茅 禄 et l' 芦 exp茅rience 禄 que sur une vague inspiration po茅tique [27]. Bien qu'on trouve parfois, chez Duhamel, une certaine emphase dans les passages touchant l'art du romancier 鈥� celui-ci est apr猫s tout investi d'une 芦 mission 禄 鈥� la figure qui s'impose est le plus souvent celle d'un simple professionnel. Rejetant ce qu'il nomme la 芦 doctrine de la tour d'ivoire [28] 禄, Duhamel voit dans le romancier un 芦 ouvrier du pr茅sent [29] 禄, un 锚tre lucide et pragmatique dont les proc茅d茅s litt茅raires tiennent du 芦 microscope 禄 et du 芦 thermom猫tre [30] 禄. De toute 茅vidence, Duhamel distingue de nombreux points communs entre la cr茅ation romanesque et la m茅decine, son premier m茅tier. On s'explique bien, alors, que dans ses textes critiques, il cherche non seulement 脿 inculquer le sens d'une mission aux 芦 jeunes 茅quipes de nos narrateurs [31] 禄, mais aussi 脿 leur transmettre son savoir-faire, un ensemble d'outils et de proc茅d茅s qui les aideront 脿 s'acquitter de leur fonction sociale. Ce savoir-faire, qui pars猫me les nombreux 茅crits de Duhamel, offre de pr茅cieuses indications sur sa vision du roman. T芒chons d'en d茅gager les principaux aspects.

Les instruments du romancier.

Duhamel se veut donc un 芦 r茅aliste de l'芒me [32] 禄, en ce sens qu'il voit dans la 芦 psychologie [鈥�] le fond de toute 茅tude romanesque [33] 禄. Une question se pose alors : sur quels types de personnages le romancier doit-il mener ses recherches psychologiques?

Pas sur des 锚tres d'exception, en tout cas. Dans plusieurs de ses 茅crits, Duhamel reproche aux romantiques et aux classiques d'avoir peint des 芦 monstres [34] 禄, des 芦 figures de r锚ve [35] 禄 qui n'ont rien de commun avec l'homme ordinaire. Ph猫dre, Hernani, Quasimodo sont des personnages beaux et 茅tonnants, mais un ab卯me si profond les s茅pare de nous qu'ils ne sauraient nous renseigner sur notre propre existence. 芦 Il leur manque la chair et le sang de la communion humaine [36]. 禄 Selon Duhamel, le devoir du romancier est de cr茅er des personnages dont le caract猫re ne d茅passe pas outre mesure l'ordinaire 鈥� ils peuvent m锚me, au besoin, 锚tre 芦 m茅diocres, m茅prisables ou malheureux ou d茅cevants [37] 禄. De cette fa莽on, le lecteur pourra reconna卯tre en eux ses doutes, ses espoirs et ses faiblesses. Il sera amen茅, en lisant leur histoire, 脿 faire un 芦 retour sur [lui]-m锚me [38] 禄. Voil脿 pourquoi le 芦 m茅diocre Salavin 禄, auquel Duhamel a consacr茅 tant de pages, est 芦 habit茅 par un grand sujet [39] 禄. Ses vell茅it茅s et ses 茅checs lui font incarner la condition humaine [40].

Ce que Duhamel 茅crit sur le personnage de roman vaut aussi pour l'action : ni l'un ni l'autre ne doit pr茅senter un caract猫re extraordinaire. C'est dans ce sens qu'il faut entendre l'expression 芦 romanesque familier 禄, que Duhamel propose dans une conf茅rence de 1936 [41]. S'il veut toucher son but 鈥� aider le lecteur 脿 芦 vivre pleinement 禄 鈥� le romancier doit 芦 recr茅er le r茅el [42] 禄 de mani猫re 脿 r茅v茅ler 芦 la texture vraiment merveilleuse de la聽vie quotidienne聽[43] 禄. Duhamel ne souhaite pas faire s'茅vader le lecteur dans un monde factice, mais plut么t lui montrer les nuances secr猫tes qui font la beaut茅 de l'existence. Le lecteur doit pouvoir dire, comme lui : 芦 Je marche au milieu des fables [44]. 禄 De l脿 le rejet, chez Duhamel, du roman d'aventures et du roman historique [45], deux formes dont la tendance est 脿 privil茅gier le lointain et l'extraordinaire aux d茅pens de l'ici-maintenant. Les romans auxquels la 芦 substance humaine [46] 禄 fait d茅faut laisseront toujours le lecteur sur sa faim, quelque divertissants qu'ils puissent 锚tre.

Ici, il faut pr茅ciser que la peinture de la vie quotidienne pr茅sente en r茅alit茅 un double avantage. On a vu qu'elle amenait le lecteur 脿 un 芦 retour sur [lui]-m锚me [47] 禄, contrairement aux histoires extraordinaires. Mais elle permet aussi au romancier de traiter un sujet dont il a une connaissance intime. Ce fait est d'une grande importance : Duhamel juge que le romancier 芦 v茅ritable 禄 est 芦 celui qui peut s'enfermer avec une main de papier blanc, un porte-plume, de l'encre, et聽tout tirer de son fonds聽[48] 禄. C'est le fruit de ses observations et de son imagination, et non des renseignements de seconde main, qui doit former son principal mat茅riau. Comme Duhamel se pla卯t 脿 le r茅p茅ter : 芦 la documentation est un leurre [49] 禄. En effet, s'il traite un sujet qui lui est familier, le romancier peut laisser l'action et les personnages se d茅velopper aussi naturellement que possible; il 茅vite que des maladresses, in茅vitables s'il ne conna卯t pas personnellement son objet, compromettent la v茅rit茅 de son r茅cit. Malgr茅 tout son talent, Zola est justement tomb茅 dans ce pi猫ge que Duhamel ne cesse de signaler 脿 ses confr猫res : son 芦 oeuvre est en partie g芒t茅e par un fatras documentaire qui n'est ni sinc猫re, ni authentique, ni surtout efficace [50] 禄.

Certaines formes, on l'aura devin茅, conviennent mieux que d'autres 脿 l'id茅e du roman que pr么ne Duhamel. Un roman bref et corset茅, comme聽Adolphe, ne peut serrer le r茅el d'aussi pr猫s que les longs romans russes, o霉 l'茅crivain est libre de repr茅senter toutes les 茅tapes du d茅veloppement des personnages, jusque dans les faits les plus banals en apparence. Ainsi, Duhamel, qui au d茅but des ann茅es 1920 voyait l'avenir du roman dans les petites compositions [51], se r茅v茅lera enfin un partisan convaincu du 芦 roman cyclique 禄 (terme qu'il juge plus pr茅cis que 芦 roman fleuve [52] 禄). L'avantage de cette forme? Elle permet mieux qu'aucune autre de 芦 [faire] vivre [un groupe de personnages] tout au long d'une 茅poque, au milieu des 茅v茅nements de cette 茅poque, vivre et m没rir, m没rir puis vieillir [53] 禄. Par sa souplesse et son 茅tendue, le roman cyclique donne au romancier toute la licence dont il a besoin pour peindre fid猫lement le quotidien, sans le r茅duire 脿 un noyau compact. Le roman cyclique n'a m锚me pas 脿 respecter certaines des conventions les plus fondamentales de l'art romanesque. Il peut, par exemple, fort bien 芦 se passer de d茅nouement 禄, puisque le mod猫le sur lequel il se r猫gle n'en conna卯t aucun : 芦 la vie de l'esp猫ce a-t-elle un d茅nouement [54]? 禄.

Le roman cyclique favorise aussi l'emploi d'un proc茅d茅 que Duhamel dit emprunter aux 芦 hommes de laboratoire [55] 禄, et qui consiste 脿 examiner un sujet sous de multiples points de vue pour en fixer tous les contours. Comme l'explique Duhamel, son roman cyclique聽Vie et aventures de Salavin聽donne 脿 lire, d'un livre 脿 l'autre, le protagoniste lui-m锚me, un narrateur omniscient, le meilleur ami de Salavin, ainsi que le journal de Salavin (芦 Salavin tel qu'il se voit et tel qu'il 鈥渟'茅crit鈥� [56] 禄). Chacune de ces perspectives illumine une nouvelle face du personnage, lui donnant chaque fois un peu plus de relief. On trouve aussi cette technique dans la聽Chronique des Pasquier, que Duhamel consid猫re comme son oeuvre ma卯tresse [57]. Par de tels proc茅d茅s, le roman cyclique parvient 脿 reproduire, dans une large mesure, l'茅paisseur et la complexit茅 de l'existence.听Il appara卯t toutefois l茅gitime de se demander si, en vantant les m茅rites du roman cyclique, Duhamel contredit ce qu'il 茅crivait en 1920 脿 son ami Roger Martin du Gard :

Les chefs-d'oeuvre du roman, depuis聽La Princesse de Cl猫ves聽et les romans de Voltaire jusqu'脿聽Dominique, sont des ouvrages de petites proportions, mais mieux taill茅s que聽Les Mis茅rables聽ou m锚me聽La Cousine Bette聽pour r茅sister aux si猫cles. Ce sont des choses r茅ussies, plut么t que des choses 茅normes [58].

Contrairement 脿 ce qu'on pourrait croire, ces propos ne sont pas n茅cessairement le signe d'une rupture dans la pens茅e de Duhamel. 脌 preuve : en 1934, apr猫s avoir publi茅 tous les volumes de聽Vie et aventures de Salavin聽et amorc茅 l'茅criture de la聽Chronique des Pasquier, Duhamel se d茅clarait encore partisan des 芦 r茅cit[s] sommaire[s] [59] 禄. En effet, un bon roman cyclique, comme son nom le laisse entendre, se compose en r茅alit茅 芦 d'un nombre plus ou moins grand de聽r茅cits brefs, exactement articul茅s entre eux聽[60] 禄. Ce serait donc une erreur de croire que cette forme autorise un quelconque rel芒chement dans la composition. Duhamel dit d'ailleurs avoir 茅crit sa聽Chronique des Pasquier聽d'apr猫s un 芦 plan pr茅alable 禄 鈥� assez 芦 souple 禄 et 芦 docile 禄, bien s没r, pour ne pas contraindre le romancier et ses personnages [61] 鈥�, et il pr茅cise que聽Vie et aventures de Salavin, bien que cr茅茅 sans aucun plan, ne doit rien 脿 un 芦 bourgeonnement arbitraire [62] 禄. Le r茅cit de Salavin a 芦 grandi comme un arbre, comme un 锚tre vivant [63] 禄; non pas au gr茅 du hasard, mais en vertu des crit猫res souverains de l'art romanesque : la v茅rit茅 et le naturel.

Le roman entre tradition et modernit茅.

On a souvent reproch茅 脿 Georges Duhamel son attachement 脿 la tradition. Le r茅quisitoire est connu : Duhamel serait un 芦 homme du dix-neuvi猫me si猫cle par tous ses livres [64] 禄, un adversaire farouche des avant-gardes [65], un 茅crivain 芦 raide, digne, compass茅 [66] 禄. Dans quelle mesure ces critiques sont-elles justifi茅es, en ce qui concerne la vision du roman de Duhamel? Celui-ci appartient-t-il vraiment, comme le soutient Michael Schwarze, 脿 une 芦 arri猫re-garde moderne 禄 que caract茅rise un 芦 recours incoh茅rent aux discours et aux traditions les plus diverses [67] 禄? On ne saurait d茅finir la conception du roman de Georges Duhamel sans creuser la question.

Il faut d'abord reconna卯tre que Duhamel appuie constamment, dans son oeuvre critique, sur l'importance de la transmission. Le romancier du XXe si猫cle, 茅crit-il, est l'h茅ritier d'une lign茅e d'茅crivains ayant 芦 patiemment mis au point 禄 des 芦 m茅thodes, [des] rites et [des] pratiques [68] 禄 d'茅criture. Le temps a d茅montr茅 la valeur de ces instruments : il s'agit donc de s'en servir, 芦 et sans ingratitude [69] 禄. Duhamel juge ainsi qu'il serait vain, 芦 apr猫s un si猫cle de r茅alisme exact et salutaire, de ne pas d茅finir un personnage romanesque, de ne pas lui donner toutes les fiches signal茅tiques n茅cessaires [70] 禄. De m锚me pour les questions de style : les 芦 bons 茅crivains 禄, soutient Duhamel, usent d'une 芦 langue ing茅nieuse [71] 禄, mais toujours en respectant le bon usage 茅tabli par leurs pr茅d茅cesseurs [72]. Le r么le du romancier n'est donc pas de triturer la langue, mais de 芦 se ch芒tier sans cesse dans [ses] ouvrages pour l'enseignement des g茅n茅rations nouvelles [73] 禄. Les romanciers qui, au nom de l'originalit茅, rejettent le legs de leurs devanciers et s'autorisent toutes les impropri茅t茅s de langage sont comme des 芦 savant[s] de laboratoire 禄 qui l猫veraient le nez sur 芦 le microscope, le compas, le thermom猫tre [74] 禄. Leur affectation les rend ridicules. Et elle ruine aussi leur dessein, puisque sans l'assise de la tradition, l'innovation m锚me devient impossible. Comme l'茅crit Duhamel, dans une des phrases les plus m茅morables de la聽D茅fense des lettres聽: 芦 L'imitation est jusqu'脿 nouvel ordre la seule 茅cole de l'originalit茅 [75]. 禄

Mais en d茅pit de ses 茅gards pour la tradition, Duhamel fait valoir la n茅cessit茅 d'innover dans la cr茅ation romanesque. 芦 J'ai peu de go没t pour les impasses [76] 禄, 茅crit-il. Pour ne pas s'embourber dans de vieilles conventions litt茅raires, le roman n'a d'autre choix que de progresser. Seulement, il faut que ce soit toujours en direction de son but v茅ritable : 茅clairer notre vie int茅rieure.

Si l'innovation ne passe pas par une rupture avec la tradition, comment proc猫de-elle? On sait que le romancier peut transposer dans son art certains proc茅d茅s scientifiques, en faisant notamment 芦 varier les 茅clairages [77] 禄 autour de son protagoniste. Mais il doit aussi profiter d'apports 茅trangers : dans son聽Essai sur le roman, Duhamel engage ses contemporains 脿 affiner leur connaissance de l'芒me humaine 脿 la lecture des 芦 茅crivains du Nord 禄, notamment Ibsen et Dosto茂evski, qui sont all茅s plus loin que les Fran莽ais dans l'investigation psychologique. Les personnages complexes et profonds que ces auteurs mettent en sc猫ne marquent un progr猫s d茅cisif par rapport 脿 la 芦 psychologie m茅diterran茅enne 禄, port茅e 脿 r茅duire l'锚tre humain 脿 un type, 脿 une p芒le 芦 formule [78] 禄.

L'innovation, on le voit, ne s'op猫re pas seulement par l'imitation, mais aussi par le rejet des traditions d茅su猫tes, comme celle du personnage type. Certes, le romancier doit reprendre les outils que lui l猫guent ses pr茅d茅cesseurs, mais il ne doit pas pour autant s'interdire d'en faire le tri. De tous ses devanciers, ceux que Duhamel 茅voque le plus souvent dans ses 茅crits sur le roman sont les romantiques et les naturalistes. Tout en reconnaissant l'importance de leurs apports litt茅raires, il estime que le roman moderne doit abandonner plusieurs de leurs pratiques. Les griefs de Duhamel 脿 l'endroit des romantiques se r茅sument essentiellement 脿 ceci : ces 茅crivains s'int茅ressaient davantage 脿 des chim猫res qu'aux probl猫mes concrets de l'existence [79]. Le regard qu'ils portaient sur l'锚tre humain manquait cruellement de lucidit茅 : 芦 Le romantisme a cess茅 de nous donner des chefs-d'oeuvre. Il n'a pas encore fini d'茅garer notre jugement [80]. 禄 Les reproches que Duhamel fait aux naturalistes sont plus nombreux : une volont茅 芦 pu茅rile 禄 de conserver dans le dialogue les incorrections de la langue populaire [81], des descriptions fastidieuses [82], un manque de po茅sie et d'humour [83] et, par-dessus tout, une 芦 observation s猫che [鈥�] et un peu myope de la nature [84] 禄. Leur conception 茅triqu茅e du r茅alisme les a conduits 脿 ne peindre que les apparences et 脿 n茅gliger l'essentiel, c'est-脿-dire la vie int茅rieure. Les lacunes des naturalistes se perp茅tuent cependant chez plusieurs romanciers contemporains, qui, d茅sireux de 芦 faire fort 禄, sombrent dans ce que Duhamel nomme 芦 la litt茅rature du d茅sespoir [85] 禄, une litt茅rature froide et sombre aux 芦 brutalit茅s [86] 禄 artificieuses. Confit dans des dogmes surann茅s, le courant naturaliste 芦 offre [au XXe si猫cle] le tableau d'une compl猫te d茅cadence [87] 禄.

Duhamel lance donc de s茅v猫res critiques 脿 des 尘辞诲猫濒别蝉 dont il revendique pourtant l'h茅ritage. Doit-on toutefois en conclure qu'il se rend par l脿 coupable d'une 芦 incoh茅rence fondamentale [88] 禄? Je ne le crois pas. Duhamel affirme, dans son聽Essai sur le roman, que le roman moderne est appel茅 脿 芦 faire la聽蝉测苍迟丑猫蝉别聽des propositions du si猫cle pr茅c茅dent [89] 禄. Il doit, plus pr茅cis茅ment, engendrer un 芦 r茅alis[me] de l'芒me [90] 禄, en combinant d'une part le souci d'int茅riorit茅 des romantiques, et d'autre part le souci de r茅el des naturalistes. On ne saurait trop insister sur l'importance, ici, du terme de 蝉测苍迟丑猫蝉别 : il fait la pleine lumi猫re sur la position de Duhamel. Celui-ci ne souhaite pas un retour impossible au pass茅. Il ne cherche pas non plus 脿 rompre avec la tradition. Il tient plut么t un parti mitoyen entre deux camps 茅galement d茅cri茅s : les 芦 dandys de tous les classicismes 禄 et les 芦 r茅volutionnaires de ce matin [91] 禄. La raison en est qu'il con莽oit l'茅volution du roman comme une聽dialectique聽o霉 les bonnes id茅es perdurent et se d茅veloppent, et o霉 les mauvaises tombent en d茅su茅tude. Duhamel 鈥� il faut lui rendre cette justice 鈥� n'est pas du m锚me avis que La Bruy猫re sur l'innovation : 芦 Il serait dangereux de penser qu'ils ont tout dit et que nous arrivons trop tard. Nul n'arrivera jamais trop tard. Le portrait de l'homme ne sera jamais achev茅 [92]. 禄

Pour conclure, que faut-il retenir des 茅crits sur le roman de Georges Duhamel? On peut r茅pondre 脿 cette question en trois temps. 1) Le roman se d茅finit avant tout par son utilit茅 : il doit rendre sensible au lecteur les merveilleuses nuances de la vie humaine. 2) Pour atteindre ce but, le romancier doit peindre des personnages dans lesquels les lecteurs puissent facilement se reconna卯tre. Il doit proc茅der avec exactitude et en profondeur, sans s'茅garer dans les 芦 n茅bulosit茅s romantiques [93] 禄 ou dans 芦 l'observation s猫che 禄 et 芦 mat茅rielle [94] 禄 des naturalistes. 3) Le roman, comme les autres formes litt茅raires, est le fruit d'une 芦 tradition bien-茅voluante [95] 禄. Pour progresser vers son objectif, il doit reprendre et perfectionner la part utile de cette tradition, et en 茅carter les 茅l茅ments caducs.

Ces observations faites, il me para卯t n茅cessaire de souligner la coh茅rence des propos de Duhamel sur le roman. On peut, certes, lui reprocher quelques incons茅quences : le personnage vaporeux de C茅cile Pasquier, par exemple, s'apparente aux 芦 figures de r锚ve [96] 禄 que Duhamel condamne pourtant chez les romantiques. Mais le syst猫me qui se fait jour dans son oeuvre聽critique, depuis ses premiers 茅crits sur la po茅sie jusqu'脿 ses derni猫res publications, est d'une remarquable unit茅.

Il faut aussi noter, en dernier lieu, que Duhamel s'est beaucoup attach茅 脿 diffuser ses id茅es sur le roman parmi ses contemporains. En t茅moignent ses nombreuses publications et conf茅rences [97], sa correspondance avec Roger Martin du Gard, ses discours acad茅miques, et m锚me certains passages de ses romans o霉 l'on entend moins la voix des personnages que celle du romancier-critique [98]. Dans cette abondance de propos, et dans leur ton souvent p茅remptoire (pensons aux expressions comme 芦 le v茅ritable romancier 禄 que j'ai souvent cit茅es), on per莽oit un constant souci d'influence. Et l'influence de Duhamel sur la litt茅rature de son temps semble en effet avoir 茅t茅 consid茅rable : Paul Claudel lui 茅crivait en 1935 鈥� avec un brin de flatterie, sans doute 鈥� que Duhamel et lui 茅taient alors 芦 les deux 茅crivains qui aux yeux du public fran莽ais et europ茅en [tenaient] sans contestation possible la premi猫re place [99] 禄. Que s'est-il donc produit pour que cet 茅crivain autrefois acclam茅 s'efface de nos m茅moires? Les changements de sensibilit茅 litt茅raire qui se sont concr茅tis茅s dans les ann茅es 1950, et que le Nouveau Roman illustre avec 茅clat, expliquent, du moins en partie, que lecteurs et universitaires aient peu 脿 peu d茅laiss茅 Duhamel 脿 compter des ann茅es 1940 [100], et que l'influence de cet auteur se soit aujourd'hui estomp茅e. Cependant, le 芦 retour du personnage [101] 禄 qu'on observe depuis quelque temps pourrait bien se traduire par un regain d'int茅r锚t pour l'oeuvre de Duhamel et pour celle de ses contemporains (en particulier Romain Rolland et Roger Martin du Gard) qui, eux aussi, sont tomb茅s dans un oubli relatif. Duhamel, qui depuis les ann茅es 1940 attend patiemment de quitter le 芦 r茅frig茅rateur de la gloire [102] 禄, verra peut-锚tre le meilleur de son oeuvre revenir dans nos biblioth猫ques.

Notes :

[1] A. Lafay,听Duhamel revisit茅, p. 7; E. Girard, 芦 Au front. Un m茅decin injustement oubli茅, Georges Duhamel 禄, p. 159; M. Schwarze, 芦 Y a-t-il une arri猫re-garde moderne? Le cas de Georges Duhamel 禄, p. 212.
[2] S. Hoffmann, 芦 Georges Duhamel 禄, p. 36.
[3] P. de Gaulmyn, 芦 T茅moins d'un temps troubl茅. Roger Martin du Gard, Georges Duhamel, Correspondance (1919-1958) 禄, compte rendu, p. 941.
[4] G. Lanson et P. Tuffrau,听Histoire de la litt茅rature fran莽aise, p. 1235.
[5] C. Fouch茅,听Cl茅s pour une chronique.听Les Pasquier聽de Georges Duhamel, p. 29.
[6] Cit茅 dans C. Fouch茅,听Cl茅s pour une chronique.听Les Pasquier聽de Georges Duhamel, p. 15.
[7] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 130.
摆8闭听Ibid., p. 24.
摆9闭听Ibid., p. 50.
摆10闭听Ibid., p. 52.
摆11闭听Ibid., p. 84.
[12] G. Duhamel,听Guerre et litt茅rature, p. 27.
[13] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 52.
[14] J.-J. Hueber,听Le Croyant et l'humaniste inquiet : Correspondance Fran莽ois Mauriac 鈥� Georges Duhamel (1919-1966), p. 220.
[15] G. Duhamel, 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, p. 116.
[16] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 267.
[17] G. Duhamel,听Guerre et litt茅rature, p. 15.
[18] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 60.
[19] G. Duhamel,听Chronique de Paris au temps des Pasquier, p. 36.
[20] A. Lafay (茅d.),听T茅moins d'un temps troubl茅. Roger Martin du Gard, Georges Duhamel. Correspondance 1919-1958, p. 294.
[21] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 253.
[22] Ibid., p. 252. Ainsi, Duhamel consid猫re聽Le Portrait de Dorian Grey,听La Peau de chagrin听别迟听Candide聽non pas comme des romans, mais comme des 芦 contes philosophiques 禄 : l'action y est en effet d茅termin茅e par un 芦 sujet 禄, c'est-脿-dire un principe, une id茅e, plut么t que par les personnages eux-m锚mes (p. 249-250).
[23] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 60-61.
摆24闭听Ibid., p. 61.
摆25闭听Ibid., p. 35.
[26] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 181. Je souligne.
[27] Le romancier (ou 芦 narrateur 禄) diff猫re sur ce point du po猫te lyrique (ou 芦 rossignol 禄) : 芦 Le narrateur [鈥�] ne trouve pas tout en lui-m锚me, comme le rossignol. Il lui faut vivre, rencontrer ses 尘辞诲猫濒别蝉, souffrir et jouir du monde, accepter les exp茅riences. Il lui faut aborder les difficult茅s de l'art avec patience, avec humilit茅, pour apprendre 脿 les r茅soudre. 禄 Voir G. Duhamel,听Chroniques des saisons am猫res.听1940-1943, p. 40.
[28] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 25.
摆29闭听Ibid., p. 54. Je souligne.
摆30闭听Ibid., p. 115.
[31] G. Duhamel,听Chronique de Paris au temps des Pasquier, p. 43.
[32] G. Duhamel,听Chroniques des saisons am猫res. 1940-1943, p. 34.
[33] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 61.
[34] G. Duhamel, 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, p. 150.
[35] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 156.
摆36闭听Ibid., p. 156.
[37] G. Duhamel, 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, p. 144.
摆38闭听Ibid., p. 150.
[39] A. Lafay (茅d.),听T茅moins d'un temps troubl茅. Roger Martin du Gard, Georges Duhamel. Correspondance 1919-1958, p. 23.
[40] G. Duhamel,听Le Livre de l'amertume, p. 129. Dans les mots de Duhamel : 芦 Je peins le moyen homme, plut么t que l'homme moyen, c'est-脿-dire celui qui se trouve 脿 l'intersection de toutes les destin茅es : Salavin, Fran莽ois Cros, Antoine Ress茅guier. 禄 Ces propos rejoignent le mot d'ordre que prononce Duhamel dans 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄 (p. 155) : 芦 reconstruisons l'homme 茅ternel 禄.
[41] G. Duhamel, 芦 Introduction au romanesque familier 禄, p. 567. La majeure partie de cette conf茅rence a ensuite 茅t茅 republi茅e dans聽D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier听(1937).
[42] G. Duhamel,听Remarques sur les m茅moires imaginaires, p. 49.
[43] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 246. Je souligne.
[44] G. Duhamel,听Remarques sur les m茅moires imaginaires, p. 12.
[45] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 53, 56, 57.
摆46闭听Ibid., p. 57.
[47] G. Duhamel, 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, p. 150.
[48] G. Duhamel,听Refuges de la lecture, p. 139.
[49] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 85.
摆50闭听Ibid., p. 84.
摆51闭听Ibid., p. 128.
[52] Voir sur ce point聽Travail, 脭 mon seul repos!, p. 66.
[53] G. Duhamel,听Chronique de Paris au temps des Pasquier, p. 33. Certains se demanderont peut-锚tre si, en pr么nant de telle sorte la forme cyclique et la peinture de la vie quotidienne, Duhamel cherche 脿 l茅gitimer la longueur et la trivialit茅. C'est une critique 脿 laquelle il a jug茅 n茅cessaire de r茅pondre, avec une nuance d'ironie, dans ses聽Remarques sur les m茅moires imaginaires聽(p. 84-85) : 芦 Les gens qui ne sont pas naturellement des conteurs marquent de la r茅pugnance pour 茅crire des phrases telles : 鈥淟a nuit se retirait. Il descendit dans la rue. Une petite pluie venait de tomber et faisait briller les trottoirs.鈥� Or on ne pourrait affirmer qu'une de ces phrases na茂ves n'ira pas, d'un seul 茅lan, se loger au plus creux d'une 芒me et n'y restera pas jusqu'脿 la fin du monde. On pr锚te 脿 Val茅ry, sur ce petit d茅bat, des propos d'aristocrate. Je les comprends fort bien. Ce ne sont pas des joailliers qui ont fait les pyramides. 禄
[54] G. Duhamel,听Chronique de Paris au temps des Pasquier, p. 52.
[55] G. Duhamel, 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, p. 139. Je rappelle que Duhamel 茅tait lui-m锚me m茅decin.
摆56闭听Ibid., p. 139.
[57] G. Duhamel,听Chronique de Paris au temps des Pasquier聽p. 30.
[58] A. Lafay (茅d.),听T茅moins d'un temps troubl茅. Roger Martin du Gard, Georges Duhamel. Correspondance 1919-1958, p. 23-24.
[59] G. Duhamel,听Remarques sur les m茅moires imaginaires, p. 19.
[60] G. Duhamel,听Chronique de Paris au temps des Pasquier, p. 49. Je souligne.
摆61闭听Ibid., p. 50.
[62] G. Duhamel, 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, p. 110.
摆63闭听Ibid.
[64] Le mot est de Brasillach. Cit茅 dans A. Lafay,听Duhamel revisit茅, p. 9.
[65] M. Schwarze, 芦 Y a-t-il une arri猫re-garde moderne? Le cas de Georges Duhamel 禄, p. 226.
[66] S. Hoffmann, 芦 Georges Duhamel 禄, p. 34.
[67] M. Schwarze, 芦 Y a-t-il une arri猫re-garde moderne? Le cas de Georges Duhamel 禄, p. 226.
[68] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 115.
[69] G. Duhamel,听Chroniques des saisons am猫res. 1940-1943, p. 34.
[70] G. Duhamel, 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, p. 154.
[71] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 181.
[72] G. Duhamel, 芦 Anatole France, gardien du langage 禄.
摆73闭听Ibid.
[74] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 115.
[75] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier,聽p. 210.
[76] G. Duhamel,听Chroniques des saisons am猫res. 1940-1943, p. 34.
[77] G. Duhamel,听Chronique de Paris au temps des Pasquier, p. 52.
摆78闭听Ibid., p. 94.
[79] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 156.
摆80闭听Ibid., p. 153.
摆81闭听Ibid., p. 259.
[82] G. Duhamel, 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, p. 154.
[83] G. Duhamel,听Travail, 脭 mon seul repos!, p. 40.
[84] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 113.
[85] G. Duhamel,听Chronique de Paris au temps des Pasquier, p. 40-42.
[86] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 246.
[87] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 113.
[88] M. Schwarze, 芦 Y a-t-il une arri猫re-garde moderne? Le cas de Georges Duhamel 禄, p. 219.
[89] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 114. Je souligne.
[90] G. Duhamel,听Chroniques des saisons am猫res. 1940-1943, p. 34. Duhamel n'emploie pas cette expression dans son聽Essai sur le roman, quoiqu'elle r茅sume 脿 merveille la position qu'il y d茅fend.
[91] G. Duhamel,听Notes sur la technique po茅tique, p. V.
[92] G. Duhamel, 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, p. 257. Il faut pourtant reconna卯tre que Duhamel a souvent pr锚t茅 le flanc aux critiques de pass茅isme. D'abord, par son c茅l猫bre pamphlet contre le machinisme et l'am茅ricanisation,听Sc猫nes de la vie future. Ensuite, par certaines expressions hardies 鈥� 芦 gardien du langage 禄, par exemple, ou encore 芦 脡glise litt茅raire de France 禄 鈥� qui, avouons-le, ont de quoi faire sourciller. Mais ne nous fions pas aux apparences : en caract茅risant la litt茅rature fran莽aise comme une 芦 茅glise litt茅raire 禄 dans sa聽D茅fense des lettres, Duhamel ne prend pas le parti de l'immobilisme, et n'incite pas non plus 脿 la pers茅cution des 芦 h茅r茅tiques 禄. Il d茅crit seulement ce qu'il consid猫re comme un 茅tat de fait : les plus grands 茅crivains fran莽ais, malgr茅 leurs diff茅rences, ont eu conscience d'agir 芦 sous le regard bienveillant, vigilant, tut茅laire et s茅v猫re d'une assembl茅e d'anc锚tres illustres 禄. De surcro卯t, ces 茅crivains ont tous 芦 chemin[茅] 禄 (je souligne) en direction d'un m锚me but : dresser un 芦 portrait de l'homme 禄. L'expression 芦 脡glise litt茅raire de France 禄 atteste 脿 coup s没r la sensibilit茅 traditionnaliste de Duhamel, mais elle ne contredit pas ses propos sur l'importance de l'innovation. Voir sur ce point G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 286-290.
[93] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 119.
摆94闭听Ibid., p. 113.
[95] G. Duhamel,听Des L茅gendes, des batailles, p. 12.
[96] G. Duhamel,听Essai sur le roman, p. 156.
[97] Au sujet des conf茅rences que Duhamel a prononc茅es sur le roman, durant les ann茅es 1920, voir C. Delphis (茅d.),听Georges Duhamel 鈥� Stefan Zweig. Correspondance. L'Anthologie oubli茅e de Leipzig.
[98] Ainsi, dans聽Le Jardin des b锚tes sauvages聽(p. 150), Laurent Pasquier 茅crit : 芦 Comme ces parchemins qui se trouvent, en certaines de leurs parties, d'une fine transparence corn茅e, l'histoire Pasquier laisse, parfois, entrevoir l'histoire du si猫cle 禄 (je souligne). Ce choix de termes, naturel sous la plume de Duhamel, peut sembler pompeux dans la bouche de Laurent. Il en va de m锚me dans聽La Nuit de la Saint-Jean聽(p. 376), o霉 Laurent dit : 芦 Je tiens que le romancier est l'historien du pr茅sent, alors que l'historien est le romancier du pass茅 禄. Pour un biologiste, Laurent a, de toute 茅vidence, des vues remarquablement claires et tranch茅es sur l'art romanesque.
[99] Cit茅 dans C. Fouch茅,听Cl茅s pour une chronique. Les Pasquier de Georges Duhamel, p. 15.
[100] C. Fouch茅,听Cl茅s pour une chronique. Les Pasquier de Georges Duhamel, p. 11.
[101] F. Lavocat, 芦 Identification et empathie : le personnage entre fait et fiction 禄, p. 141.
[102] G. Duhamel, 芦 Anatole France, gardien du langage 禄.

Bibliographie :

脡crits de Georges Duhamel :

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• DUHAMEL, Georges. 芦 Anatole France, gardien du langage 禄,听, page consult茅e le 22 septembre 2018.
• DUHAMEL, Georges. 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, dans聽Deux Patrons, suivi de Vie et mort d'un h茅ros de roman, Paris, Paul Hartmann, 1937, p. 101-156
• DUHAMEL, Georges.听Chronique de Paris au temps des Pasquier, Paris, Union Latine d'脡ditions, 1951.
• DUHAMEL, Georges.听Chroniques des saisons am猫res. 1940-1943, Paris, Paul Hartmann, 1944.
• DUHAMEL, Georges.听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, Paris, Mercure de France, 1937.
• DUHAMEL, Georges.听Des L茅gendes, des batailles, Paris, 脡ditions de l'Abbaye, 1907.
• DUHAMEL, Georges.听Essai sur le roman, Paris, Marcelle Lesage, 1925.
• DUHAMEL, Georges.听Guerre et litt茅rature, Paris, Les Cahiers des amis des livres, 1920.
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• DUHAMEL, Georges.听La Nuit de la Saint-Jean, dans聽Chronique des Pasquier, Paris, Omnibus, 1999, p. 373-489.
• DUHAMEL, Georges.听Le Jardin des b锚tes sauvages, dans聽Chronique des Pasquier, Paris, Omnibus, 1999, p. 127-245.
• DUHAMEL, Georges.听Le Livre de l'amertume, Paris, Mercure de France, 1984.
• DUHAMEL, Georges.听Refuges de la lecture, Paris, Mercure de France, 1954.
• DUHAMEL, Georges.听Remarques sur les m茅moires imaginaires, Paris, Mercure de France, 1934.
• DUHAMEL, Georges.听Semailles au vent, Montr茅al / New York, Cercle du livre de France, 1947.
• DUHAMEL, Georges.听Travail, 脭 mon seul repos!, Namur, 脡ditions Wesmael-Charlier, 1959.
• HUEBER, Jean-Jacques (茅d.).听Le Croyant et l'humaniste inquiet : Correspondance Fran莽ois Mauriac 鈥� Georges Duhamel (1919-1966), Paris, Klincksieck, 1997.
• LAFAY, Arlette (茅d.).听T茅moins d'un temps troubl茅. Roger Martin du Gard, Georges Duhamel. Correspondance 1919-1958, Paris, Lettres modernes Minard, 1987.

Autres sources :

• DE GAULMYN, Pierre. 芦 T茅moins d'un temps troubl茅. Roger Martin du Gard, Georges Duhamel, Correspondance (1919-1958) 禄, compte rendu,听Revue d'histoire litt茅raire de la France, vol. LXXXIX, no 5, 1989, p. 940-941.
• DELPHIS, Claudine (茅d.).听Georges Duhamel 鈥� Stefan Zweig. Correspondance. L'Anthologie oubli茅e de Leipzig, Leipzig, Leipziger Universit盲tsverlag, 2001.
• FOUCH脡, Chantal.听Cl茅s pour une chronique.听Les Pasquier聽de Georges Duhamel, Paris, Sedes, 1987.
• GIRARD, Evelyn. 芦 Au front. Un m茅decin injustement oubli茅, Georges Duhamel 禄, dans Romain Vignest et Jean-Nicolas Corvisier (dir.),听La Grande Guerre des 茅crivains, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 159-179.
• HOCH, Claire. 芦 George Duhamel's Advice to Young Writers 禄,听The French Review, vol. XLVI, no 6, 1974, p. 171-181.
• HOFFMANN, St茅phane. 芦 Georges Duhamel 禄,听Nouvelle Revue Fran莽aise, no 621, 2016, p. 33-40.
• LAFAY, Arlette.听Duhamel revisit茅, Paris, Lettres Modernes Minard, 1998.
• LANSON, Gustave et Paul TUFFRAU,听Histoire de la litt茅rature fran莽aise, Paris, Librairie Hachette, 1971.
• LAVOCAT, Fran莽oise. 芦 Identification et empathie : le personnage entre fait et fiction 禄,听dans Alexandre Gefen et Bernard Vouilloux (dir.),听Empathie et esth茅tique, Paris, Hermann, 2013, p. 141-167.
• RAIMOND, Michel.听La Crise du roman, des lendemains du Naturalisme aux ann茅es vingt, Paris, Jos茅 Corti, 1966.
• SCHWARZE, Michael. 芦 Y a-t-il une arri猫re-garde moderne? Le cas de Georges Duhamel 禄, dans Marie-Catherine Huet-Brichard et Helmut Meter (dir.),听La Pol茅mique contre la modernit茅. Antimodernes et r茅actionnaires, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 209-227.

On trouvera ci-dessous, dans l'ordre chronologique de publication, une s茅lection de titres o霉 Georges Duhamel expose sa conception du roman.

DUHAMEL, Georges. 芦 Pr茅face 禄, dans聽Des L茅gendes, des batailles, Paris, 脡ditions de l'Abbaye, 1907.

DUHAMEL, Georges et Charles VILDRAC.听Notes sur la technique po茅tique, Paris, Champion, 1925 [1910].

DUHAMEL, Georges.听Guerre et litt茅rature, Paris, Les Cahiers des amis des livres, 1920.

DUHAMEL, Georges.听Essai sur le roman, Paris, Marcelle Lesage, 1925.

DUHAMEL, Georges.听Remarques sur les m茅moires imaginaires, Paris, Mercure de France, 1934.

DUHAMEL, Georges. 芦 L'exemple de Cervantes 禄, dans聽Deux Patrons, suivi de Vie et mort d'un h茅ros de roman, Paris, Paul Hartmann, 1937, p. 59-99.

DUHAMEL, Georges. 芦 Vie et mort d'un h茅ros de roman 禄, dans聽Deux Patrons, suivi de Vie et mort d'un h茅ros de roman, Paris, Paul Hartmann, 1937, p. 101-156.

DUHAMEL, Georges.听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, Paris, Mercure de France, 1937.

DUHAMEL, Georges. 芦 Rapport sur les concours de l'ann茅e 1944 禄,听, page consult茅e le 22 septembre 2018.

DUHAMEL, Georges.听Chroniques des saisons am猫res. 1940-1943, Paris, Paul Hartmann, 1944.

DUHAMEL, Georges. 芦 Anatole France, gardien du langage 禄,听, page consult茅e le 22 septembre 2018.

DUHAMEL, Georges.听Chronique de Paris au temps des Pasquier, Paris, Union Latine d'脡ditions, 1951.

DUHAMEL, Georges. 芦 La chanson de Roland 禄, dans聽Refuges de la lecture, Paris, Mercure de France, 1954, p. 77-97.

DUHAMEL, Georges. 芦 Gustave Flaubert 禄, dans聽Refuges de la lecture, Paris, Mercure de France, 1954, p. 183-206.

DUHAMEL, Georges. 芦 Le tr茅sor des belles lettres 禄, dans聽Refuges de la lecture, Paris, Mercure de France, 1954, p. 237-275.

DUHAMEL, Georges.听Travail, 脭 mon seul repos!, Namur, 脡ditions Wesmael-Charlier, 1959.

DUHAMEL, Georges.听Le Livre de l'amertume, Paris, Mercure de France, 1984.

LAFAY, Arlette (茅d.).听T茅moins d'un temps troubl茅. Roger Martin du Gard, Georges Duhamel. Correspondance 1919-1958, Paris, Lettres modernes Minard, 1987.

HUEBER, Jean-Jacques (茅d.).听Le Croyant et l'humaniste inquiet : Correspondance Fran莽ois Mauriac 鈥� Georges Duhamel (1919-1966), Paris, Klincksieck, 1997.

芦 J'ai suivi, au fur et 脿 mesure d'une 茅ducation normale, le chemin trac茅 par la race, tendant 脿 r茅sumer dans mon d茅veloppement l'茅volution du langage et de l'esprit. Il y a l脿 une loi, bien connue des naturalistes; elle est applicable sch茅matiquement 脿 l'embryog茅nie de l'esprit comme 脿 celle des organes : or, il est bon de le faire remarquer et de le crier bien fort, 脿 une 茅poque o霉 la litt茅rature est une mani猫re de mus茅e t茅ratologique riche en monstres venus au monde des lettres soudainement, sans gestation pr茅alable, mirifiques champignons de notre fumier po茅tique, riche aussi en regrettables foetus expuls茅s h芒tivement, avant terme, et qui forment en bloc, une mani猫re de lourd boulet retardataire que tra卯ne 脿 son pied la tradition bien-茅voluante. 禄 (p. 11-12)

聽芦 Encore qu'il ne semble pas utiliser sa pr茅cieuse remarque, un po猫te moderne, dans une pr茅face, r茅sume de nombreuses opinions en constatant :聽Nous avons tous les mots, nous avons tous les rythmes. C'est un fait. [鈥�]聽Nous sommes donc riches; et c'est navrant car on ne le dirait pas. Exclus ceux qui ne veulent pas profiter de ces ressources, il en est qui y picorent avec trop de pr茅jug茅, avec trop de crainte il en est surtout qui n'ont pas vu que de pareils outils 茅taient destin茅s 脿 de plus hautes oeuvres, et qui ont continu茅 au m茅pris de leur ciseau et de leur maillet, 脿 sculpter sur des vieux pl芒tras. 禄 (p. 14-15)

聽芦 Certains ont la plume 茅pique, et ils font de l'茅pop茅e avec ce qui leur tombe sous la main. C'est l脿 leur tort, car, s'il n'est rien qui ne soit po茅sie pour le po猫te, il est indispensable qu'un sujet s'encadre dans le genre qui lui convient. 禄 (p. 27)

聽芦 Notre art pensera donc; et ce ne sera pas nouveau. Ont v茅cu et vivront seulement les arts qui ont pens茅; cela tendant 脿 montrer que nous sommes parfaitement le cha卯non de la tradition 茅voluante qu'attendait notre 茅poque. Mais c'est sp茅cialement dans un si猫cle o霉 le savoir fructueux s'appr锚te 脿 soulever les masses et s'impose 脿 tout esprit fertile, c'est alors qu'il faut que l'art pense et non comme on pensait il y a des ann茅es, mais comme on pensera demain. 禄 (p. 29)

聽芦 Des jeunes gens ont oeuvr茅 qui, d'abord isol茅s, ont eu la joie de s'apprendre et de s'estimer. Ils se sont reconnus, 茅l茅ments d'une m锚me g茅n茅ration, dans l'admiration des h茅ros chers des g茅n茅rations pr茅c茅dentes et dans la pr茅paration du mouvement lib茅rateur de demain en vue duquel ils concr猫tent d茅j脿, dans des formules pr茅cises, l'essence de leurs oeuvres. 禄 (p. 32)

芦 [鈥�] le monde a subi des secousses furieuses; la po茅sie en a souffert, sans nul doute, et profit茅 peut-锚tre. Que vont donc penser de ces querelles nos fr猫res cadets, les r茅volutionnaires de ce matin, tous ceux qui ont fourr茅 des p茅tards dans la syntaxe, vitriol茅 la grammaire, 茅cartel茅 la typographie, 茅ventr茅 le vocabulaire et souffl茅 dans les mots comme au cul des grenouilles, pour voir? Et les autres, les repentis, les 鈥渆sprits distingu茅s鈥�, les dandys de tous les classicismes, les conscrits de toutes les restaurations, cravates et cocardes? 禄 (p. V)

芦 Je crois volontiers, avec Taine, que 鈥渓e milieu, c'est-脿-dire l'茅tat g茅n茅ral des moeurs et de l'esprit, d茅termine l'esp猫ce des oeuvres d'art鈥�. 禄 (p. 13)

聽芦 Contempler le monde et les hommes, imiter ensuite les objets de la contemplation, mettre en relief les lin茅aments et les rapports susceptibles d'茅clairer ce qu'il y a de plus secret, de plus caract茅ristique dans ces objets, voil脿 le but, voil脿 la raison m锚me de l'茅criture. [鈥�] Je ne crois pas trop f芒cheux de r茅p茅ter ces choses toutes simples, 脿 l'heure o霉 se produisent les plus g茅n茅reuses, les plus audacieuses tentatives de r茅novation, 脿 l'heure o霉 l'invention technique 茅blouit ses protagonistes au point de leur faire parfois perdre la conscience de leur destin, de leur mission. 禄 (p. 14-15)

聽芦 Des millions d'hommes ont souffert pendant des milliers de jours. Eh bien, il e没t 茅t茅 possible que cet 茅norme monceau de douleurs laiss芒t moins de traces dans le monde que la romantique d茅sesp茅rance du seul Werther ou du seul Chatterton. 禄 (p. 23)

聽芦 Si l'on fait abstraction des dispositifs romanesques d'ailleurs inconstants et uniquement ordonn茅s en vue de grouper les 茅pisodes et les personnages, si l'on n茅glige quelques 茅l茅ments de fiction dont l'importance est tout 脿 fait secondaire, on voit que les meilleurs de ces ouvrages [litt茅raires sur la Grande Guerre] tirent leur int茅r锚t de la peinture du r茅el. 禄 (p. 29)

聽芦 Les parties de ces ouvrages [litt茅raires sur la Grande Guerre] qui nous donnent le plus de satisfaction sont celles o霉 l'id茅ologie tient le moins de place, celles o霉 l'茅vidence des objets rend superflue toute conclusion, celles o霉 la peinture des hommes et des faits donne une telle impression de v茅rit茅, d'authenticit茅 qu'elle porte en soi-m锚me sa preuve et sa justification. 禄 (p. 31)

聽芦 Que peuvent les mots pour traduire la d茅tresse d'un moribond expirant face contre terre? Certes, les t茅moins ont fait ce qu'ils ont pu, mais ils n'茅taient que des hommes. [鈥�] Ils ont t茅moign茅! Nous leur devons le peu que nous savons; mais la plus grande partie de l'茅v茅nement se d茅robe 脿 toute science. 禄 (p. 32)

聽芦 Ce qui est curieux, c'est que des 茅crivains ont pu, alors qu'une telle r茅alit茅 [celle de la guerre] occupait la sc猫ne du monde, pr茅senter 脿 leur public des inventions, des fictions o霉 cette r茅alit茅 se trouvait bafou茅e. Ce qui est incroyable, ce qui est d茅courageant, c'est que pareilles fictions aient parfois obtenu l'assentiment du public, toujours d茅sireux qu'on lui d茅peigne les choses non comme elles sont, mais comme il voudrait qu'elles fussent. 禄 (p. 43-44)

聽芦 Ce qu'on pourrait le plus justement reprocher 脿 la foisonnante litt茅rature de convention, c'est d'锚tre fort pauvre en v茅ritable beaut茅. Pour qu'une oeuvre soit belle, vraiment belle, ne faut-il pas, en dehors de toute question formelle, qu'elle contienne d'abord une large part de v茅rit茅s humaines 茅ternelles? 禄 (p. 50)

聽芦 Je dis, comme tout le monde, que la seule raison d'une oeuvre d'art est d'锚tre belle. Secr猫tement, j'ajoute qu'une telle oeuvre est plus belle encore si elle est capable de contribuer au bien des hommes. Je souhaite donc, au fond de mon coeur, que le chef-d'oeuvre litt茅raire qui doit sortir un jour de la guerre soit pour les hommes un enseignement, c'est-脿-dire qu'il ne fasse pas trop bon march茅 de la tragique exp茅rience. 禄 (p. 51-52)

[Sur l'ad茅quation du genre et de la mati猫re :] 芦 Les pens茅es qui prennent naissance dans un esprit cr茅ateur, dans un esprit de po猫te, comportent, d猫s le principe, des caract猫res pr茅cis qui commandent imp茅rieusement le genre litt茅raire dans lequel chacune de ces pens茅es devra trouver une r茅alisation convenable. 禄 (p. 23)

聽芦 Il faut des romans! Le public en veut! Le public en exige! Mieux encore : le public en ach猫te! On en fera donc. Et l'on voit ces mauvais 茅crivains, qui sont parfois de pauvres 茅crivains aussi bien que des 茅crivains pauvres, faire roman de tout [鈥�] 禄 (p. 24)

聽[Sur la doctrine de 芦 l'art pour l'art 禄 :] 芦 Eh bien, cette doctrine est fausse et, je ne crains pas de le r茅p茅ter, dangereuse. L'art est utile. Cela ne signifie pas du tout qu'il doive servir de v茅hicule 脿 de pesantes th猫ses sociales, morales, 茅conomiques ou autres. Quand je dis que l'art est utile, supr锚mement utile, j'entends qu'il sert 脿 vivre. 禄 (p. 27)

聽芦 Le bon 茅crivain est celui qui nous seconde dans la connaissance et l'expression de cette partie de notre vie qui semble, au premier abord, incommunicable. Les ouvrages d'un tel 茅crivain jettent sur notre vie int茅rieure, aussi bien que sur le reste du monde, une clart茅 parfois l茅g猫re et subtile, parfois fulgurante mais qui, toujours, nous aide 脿 vivre pleinement, je dirai consciemment. 禄 (p. 34-35)

聽[Sur l'utile et l'agr茅ment :] 芦 Mais cela [l'existence de romans procurant un 鈥減laisir superficiel鈥漖 ne signifie pas qu'en bonne critique il faille n茅gliger cette question du divertissement; cela ne signifie pas qu'il faille affecter, par r茅action contre le mauvais go没t, un m茅pris solennel de notre propre agr茅ment. 禄 (p. 40)

聽芦 La moindre des choses que l'on peut demander 脿 un roman est de n'锚tre pas moins int茅ressant que la vie qu'il pr茅tend 脿 d茅peindre. 禄 (p. 41)

聽芦 Le roman vraiment digne d'int茅r锚t est donc celui qui, non seulement nous divertit, mais encore, mais surtout, nous seconde dans la d茅couverte de la vie, dans l'interpr茅tation du monde. 禄 (p. 44)
聽[Sur le caract猫re prot茅iforme du roman :] 芦 [鈥�] en raison m锚me de la faveur dont il jouit aupr猫s du public, le roman accueille toutes les 茅paves. Ob猫se, apoplectique, informe, monstrueux, il fait ventre de toutes les nourritures. 禄 (p. 50)

聽[Sur le but du roman et les formes romanesques :] 芦 Je veux le dire tout de suite, l'homme de go没t et de talent m猫ne en g茅n茅ral sa t芒che 脿 bien, quel que soit le genre de roman auquel sa pr茅dilection l'attache. L'essentiel est qu'il ne perde pas de vue le but de son travail : la recherche de l'茅ternelle v茅rit茅 humaine. Cela convenu, peu importe qu'il s'adonne au roman d'aventures, au roman de moeurs, ou au roman de caract猫re. Je crois toutefois que certaines voies m猫nent moins directement que d'autres au but et laissent 脿 l'artiste incertain bien des chances de s'茅garer. 禄 (p. 52)

聽[Sur le roman historique :] 芦 Le roman historique entra卯ne un grand nombre d'obligations qui g锚nent, sensiblement, la libre investigation psychologique et limitent l'int茅r锚t profond du lecteur. Que si le romancier nous entretient des angoisses de Napol茅on 脿 la veille de la bataille d'Austerlitz, nous sommes tout pr猫s de lui crier qu'il se tourmente par trop et que la victoire est assur茅e. 禄 (p. 53)

聽[Sur le devoir du romancier :] 芦 J'estime d'ailleurs que, si le pass茅 appartient aux historiens, les romanciers sont, avant tout, les ouvriers du pr茅sent. Il y a p茅ril, pour eux, 脿 faire penser et parler des hommes dont, malgr茅 tout, ils ne savent que fort peu de choses. En revanche, nous sommes fond茅s 脿 portraire nos contemporains. Notre devoir est de t茅moigner pour notre 茅poque, de t茅moigner devant l'avenir qui nous jugera sur nos monuments et nos ouvrages. 禄 (p. 54-55)

聽[Sur le 芦 roman d'aventures 禄 :] 芦 Je consid猫re avec amusement, mais aussi avec r茅serve, ces romans d'aventures enti猫rement con莽us et ex茅cut茅s dans le silence feutr茅 d'une biblioth猫que. De tels ouvrages peuvent nous divertir, ils manquent, et g茅n茅ral, par trop de ce que j'appellerai 鈥渓a substance humaine鈥� pour nous donner une satisfaction compl猫te et durable. 禄 (p. 56-57)

聽[Sur la tradition romanesque fran莽aise :] 芦 La v茅ritable tradition fran莽aise est celle du roman de moeurs et du roman psychologique, qui comprend aussi la vari茅t茅 sp茅ciale connue sous le nom de roman de caract猫re. C'est 脿 cette tradition que se rattachent nos plus grands ma卯tres : Balzac, le Stendhal de聽Le Rouge et le Noir, M茅rim茅e, Flaubert, Zola, Maupassant, Vall猫s, Renard, Barr猫s, France, et les meilleurs d'entre les modernes. 禄 (p. 57)

聽[Sur le 芦 but supr锚me 禄 du romancier :] 芦 Je le r茅p猫te, l'homme de talent est toujours capable de nous 茅mouvoir ou de nous instruire, quel que soit le violon sur lequel il s'茅vertue. Mais, ne l'oublions pas, la psychologie demeure le fond de toute 茅tude romanesque. Le but supr锚me du romancier est de rendre sensible l'芒me humaine, de nous la faire conna卯tre et aimer dans sa grandeur comme dans sa mis猫re, dans ses victoires et dans ses d茅faites. 禄 (p. 60-61)

聽[Sur l'id茅ologie en litt茅rature :] 芦 [鈥�] dans le romans comme au th茅芒tre, les id茅es ne prennent force que lorsqu'elles r茅sultent naturellement de la vie des personnages. Comme la vue qui lui offre ses 尘辞诲猫濒别蝉, le roman fournit des faits, non des th猫ses, non des doctrines. Au sage de conclure et de raisonner s'il le peut et l'ose. 禄 (p. 68)

聽[Sur l'abus de documentation :] 芦 Il est bien 茅vident que Zola, avant d'茅crire聽Germinal聽a visit茅 quelques puits de mine. Gr芒ce 脿 ses puissants moyens de conteur, il nous donne l'impression de conna卯tre 脿 fond cet enfer o霉 je suppose qu'il a pass茅, 脿 plusieurs reprises, une bonne journ茅e. Mais il est des moments o霉 transpara卯t la documentation litt茅raire. [鈥�] Si nous sommes 茅trangers 脿 ce monde qu'il nous entr'ouvre, nous nous inclinons devant une 茅rudition qui ressemble parfois 脿 de la connaissance intime. Mais si nous sommes, par hasard, tout 脿 fait au courant de la question, nous devinons l'artifice et en comprenons la faiblesse. 禄 (p. 82-83)

聽芦 Ce qui m'int茅resse encore, dans l'oeuvre de Zola, ce sont les traits d'humanit茅 v茅ritable. Ils abondent. Cependant je ne crains pas de dire que cette oeuvre est en partie g芒t茅e par un fatras documentaire qui n'est ni sinc猫re, ni authentique, ni surtout efficace. 禄 (p. 84)

聽芦 En v茅rit茅, je le r茅p猫te, la documentation est un leurre. Seule compte, seule existe la connaissance r茅elle, profonde, intime que l'on gagne par une longue et 茅troite communion avec les hommes et les choses. 禄 (p. 85)

聽[Sur la psychologie des personnages :] 芦 Les recherches psychologiques des 茅crivains du Nord [quelques lignes plus haut, Duhamel donne en exemple聽Une Maison de poup茅e聽d'Ibsen et聽Crime et Ch芒timent听别迟听Les Fr猫res Karamazov聽de Dosto茂evski] n'infirment pas la valeur g茅n茅rale de la psychologie m茅diterran茅enne, certes non, mais elles enrichissent notablement notre connaissance de l'芒me; elles montrent qu'il n'est pas simple de faire le tour d'un 锚tre humain et qu'il est toujours abusif d'emprisonner un individu dans une formule. Il ne saurait 锚tre question de modifier l'admiration respectueuse due 脿 nos grands 茅crivains classiques, mais je dis que, de nos jours, il est 脿 peu pr猫s impossible 脿 un romancier de composer une monographie psychologique qui s'appellerait l'Avare聽ou le聽Glorieux. L'humanit茅 avance par 茅tapes, et nous avons franchi l'茅tape des monographies. 禄 (p. 94-95)

聽[Sur le r茅alisme 芦 scrupuleux 禄 et 芦 photographique 禄 :] 芦 Le souci constant de l'exactitude mat茅rielle, l'observation s猫che, quasi scientifique et un peu myope de la nature, la description scrupuleuse, photographique et parfois servile des faits ont amen茅 ces romanciers 脿 m茅priser et 脿 n茅gliger les ph茅nom猫nes d茅licats, myst茅rieux, impond茅rables, inclassables qui sont les manifestations les plus subtiles et peut-锚tre les plus importantes de l'芒me. [鈥�] Le roman r茅aliste, sous la forme naturaliste, vit encore; il a port茅 脿 l'extr锚me tous les d茅fauts que je viens de vous 茅num茅rer et il offre le tableau d'une compl猫te d茅cadence. 禄 (p. 113)

聽[Sur la caducit茅 du romantisme et du naturalisme :] 芦 Vous apercevez donc clairement les deux tendances oppos茅es du dernier si猫cle : d'une part, le souci de l'芒me, chez les romantiques, mais sans pr茅occupation s茅rieuse de la r茅alit茅. D'autre part, chez les naturalistes, le souci de la r茅alit茅, mais le m茅pris ou, plus exactement la m茅connaissance de l'芒me, seule r茅alit茅 v茅ritable. Il suffit de consid茅rer ces deux tendances aujourd'hui r茅volues, d茅pass茅es, pour comprendre la voie trac茅e 脿 l'art romanesque par l'茅tude m锚me de son pass茅 imm茅diat, pour admettre que le XXe si猫cle est appel茅 脿 faire la 蝉测苍迟丑猫蝉别 des propositions du si猫cle pr茅c茅dent. 禄 (p. 114)

聽[Sur la transmission des proc茅d茅s romanesques :] 芦 Je ne crois pas qu'un savant de laboratoire, quel que soit son g茅nie, pr茅tende 脿 renouveler la science d'un coup et de telle fa莽on que le microscope, le compas, le thermom猫tre [鈥�] ne lui soient plus d'aucune utilit茅. Je ne crois pas davantage que les romanciers soucieux de leur art puissent, pour impr茅vue que paraisse leur originalit茅, renoncer aux m茅thodes, aux rites et aux pratiques de leurs grands devanciers. Flaubert, Vall猫s, Renard, pour citer 脿 dessein trois noms qu'on ne rapproche pas souvent, ont patiemment mis au point des appareils d茅licats qu'il nous faut reprendre et, 脿 notre tour, perfectionner. 禄 (p. 115)

聽[Sur le spiritualisme du roman moderne :] 芦 Le roman moderne est essentiellement spiritualiste, si l'on retire 脿 ce mot les divers sens que les scholastiques ont pu lui donner et si on lui garde seulement son sens 茅tymologique. Il ne s'agit pas du tout d'un spiritualisme romantique, fait d'antith猫se arbitraire et de morale d茅clamatoire. Il s'agit d'une r茅surrection de l'芒me 鈥� anima, ce qui anime, 鈥� longtemps oubli茅e dans des profondeurs que le naturalisme se refusait 脿 visiter. 禄 (p. 117)

聽[Sur la superficialit茅 des romanciers r茅alistes et naturalistes, et l'avenir du roman :] 芦 C'est toujours par le dehors qu'ils ont abord茅 l'芒me. Par l'horreur des n茅bulosit茅s romantiques, ils ont fait une psychologie toute mat茅rialiste, ce qui constitue un assez curieux contresens. Au point o霉 est notre roman, c'est en profondeur qu'il faut chercher. La plupart des domaines ont 茅t茅 explor茅s, colonis茅s par nos p猫res. Le sous-sol reste vierge et demande prospection. O霉 est l'inconnu, c'est l脿 qu'il faut s'enfoncer. 禄 (p. 119)

聽芦 [鈥�] allier le souci du g茅n茅ral et du particulier, l'observation du r茅el et la pr茅occupation de l'芒me, travailler 脿 rejoindre la substance sous l'apparence, aller de l'objet 脿 l'id茅e et non de l'id茅e 脿 l'objet, voil脿 des buts 茅lev茅s et f茅conds. 禄 (p. 126)

聽[Sur les termes de roman, de nouvelle et de r茅cit :] 芦 Le mot roman semble de plus en plus r茅serv茅 脿 des compositions importantes par l'茅tendue, comprenant un grand nombre de personnages, des cadres vari茅s, des 茅v茅nements complexes, en un mot des compositions int茅ressant toute une 茅poque et toute une soci茅t茅. Comme d'autre part, le terme de nouvelle est jusqu'ici r茅serv茅 脿 des compositions particuli猫rement br猫ves, il est bon de faire, pour les ouvrages qui n'entrent ni dans une cat茅gorie ni dans l'autre, usage du mot r茅cit qui est tr猫s g茅n茅ral [鈥�] 禄 (p. 130)

聽[Sur la question du fond et de la forme :] 芦 Il faut toutefois remarquer que [les 茅crivains] qui ont quelque chose de tr猫s important 脿 dire ne le confient jamais 脿 une langue d茅fectueuse. [鈥�] Quand Balzac bafouille, c'est qu'il n'est point au fort de son affaire. Mais quand le p猫re Goriot tord ses couverts d'argent pour aller les vendre, quand la baronne Hulot meurt d茅sesp茅r茅e, Balzac 茅crit bien. 禄 (p. 131)

聽[Sur le style naturaliste :] 芦 Les naturalistes, 脿 la suite de Zola, ont, conform茅ment 脿 leur doctrine, cr茅茅 un style romanesque sp茅cial qui vise 脿 l'imitation absolue de la nature. C'est une exp茅rience courageuse et instructive. Elle a 茅chou茅. La question para卯t jug茅e aujourd'hui : le style de聽L'Assommoir聽ne se soutient pas cinquante pages et, pour tout dire, il manque 脿 ce style d'en 锚tre un. 禄 (p. 132)

聽芦 Il est bon de tenir compte des conqu锚tes du naturalisme, mais de renoncer 脿 ses erreurs. Pour qu'il y ait un style, une certaine stylisation s'impose. Un petit nombre de termes nouveaux, choisis dans ce que les jargons comportent de moins caduc, peuvent 锚tre pr茅sent茅s, 脿 condition qu'ils soient ench芒ss茅s avec soin et soumis 脿 de s茅v猫res 茅preuves. Comme le peuple qui la f茅conde, la langue travaille, mais s'enrichit tr猫s lentement. 禄 (p. 133)

芦 La po茅sie 茅pique est morte, mais les hommes ont toujours besoin d'histoires. Le roman moderne est un arri猫re-neveu de l'茅pop茅e primitive. 禄 (p. 11)

聽芦 Tel qui se croit las de soi-m锚me et qui m茅dite l'茅vasion n'a d'oreilles que pour les f茅es, de regard que pour les spectres, de confiance que pour le surnaturel, de soif que pour les mirages. J'aime les fables. Que serait ma vie sans les fables? Je marche au milieu des fables. Elles fleurissent dans ma prairie, elles se m锚lent 脿 mes pens茅es, elles sont moi. Je ne les distingue ni de moi ni de mon univers, de mon univers fabuleux. 禄 (p. 12)

聽芦 Je pensais, je pense encore, avec Andr茅 Gide et sans doute avec beaucoup d'autres, 鈥渜u'un r茅cit est souvent d'autant plus 茅mouvant qu'il est plus sommaire鈥�. 禄 (p. 19)

聽芦 Je veux le r茅el et qu'il me soit offert avec art. J'aime d'abord la v茅rit茅, la v茅rit茅 naturelle. Et la v茅rit茅 n'est naturelle qu'au prix d'une savante pr茅paration qui, le plus souvent, est une pr茅paration simplificatrice et non pas amplificatrice et non pas n茅cessairement ramificatrice. 禄 (p. 25)

聽芦 La v茅rit茅 historique n'est jamais, 脿 mes yeux, ni un argument ni une excuse. Je n'ai pas la moindre piti茅 pour un romancier na茂f qui croit m'attendrir en affirmant, la main sur le coeur : 鈥溍嘺 s'est pass茅 comme je le dis鈥�. 禄 (p. 47)

聽芦 Quel moyen nous est donn茅 de conna卯tre la r茅alit茅, de nous emparer de cette proie insaisissable? Il faut recr茅er le r茅el. 禄 (p. 49)

聽芦 Les grands artistes, s'ils nous gagnent, est-ce par le go没t de nouveaut茅? Que non! C'est par leur contribution au tr茅sor d'茅ternel. [鈥�] l'茅ternel a toujours go没t de nouveaut茅. 禄 (p. 52)

聽芦 [鈥�] je me rappelle tr猫s imparfaitement ma vie. Je me rappelle, en revanche, jour par jour, minute par minute, la vie de Laurent Pasquier, ma cr茅ature, mon compagnon imaginaire. Mieux vaut donner le sentiment de v茅rit茅 avec un r茅cit fictif que le sentiment de fiction avec un r茅cit 鈥渞茅el鈥�. 禄 (p. 58)

聽芦 Mon plus vif d茅sir, quand je compose un r茅cit, c'est que le lecteur, frapp茅 par l'accent de v茅rit茅, s'茅crie, songeant 脿 moi : 鈥淐'est bien 茅videmment son histoire!鈥� 禄 (p. 67)

聽芦 Dans l'une de ses chroniques, Andr茅 Billy pr茅tend que le v茅ritable romancier sort du n茅ant toutes ses cr茅atures [鈥�]. Je n'accepte pas du tout ce cr茅ateur olympien si bien absent de son oeuvre. 禄 (p. 72-73)

聽芦 L'action de ouvrages romanesques, l'action ou, pour mieux dire, la p茅rip茅tie, voil脿 ce que nous oublions tout de suite, 脿 peine le livre ferm茅. [鈥�] Ne donnons pas trop d'importance, dans le r茅cit, 脿 l'茅l茅ment le plus fragile ou, tout au moins, le plus soluble. Ce qui nous demeure, de nos meilleures lectures romanesques, c'est non pas une fable, une histoire, mais une douleur personnelle, un deuil, un d茅sir, une tristesse ind茅l茅bile, un besoin de revanche et de r茅surrection, comme d'une vie et parfois mieux que d'une vie. Ce qui nous reste pour toujours, c'est un visage tortur茅 d'esp茅rance, deux mains blanches qui se tordent, un petit carr茅 de lumi猫re sur le parquet d'une chambre. Une odeur, un go没t, moins peut-锚tre. 禄 (p. 79-80)

聽芦 Les gens qui ne sont pas naturellement des conteurs marquent de la r茅pugnance pour 茅crire des phrases telles : 鈥淟a nuit se retirait. Il descendit dans la rue. Une petite pluie venait de tomber et faisait briller les trottoirs.鈥� Or on ne pourrait affirmer qu'une de ces phrases na茂ves n'ira pas, d'un seul 茅lan, se loger au plus creux d'une 芒me et n'y restera pas jusqu'脿 la fin du monde. On pr锚te 脿 Val茅ry, sur ce petit d茅bat, des propos d'aristocrate. Je les comprends fort bien. Ce ne sont pas des joailliers qui ont fait les pyramides. 禄 (p. 84-85)

聽芦 J'aime qu'une oeuvre croisse comme un arbre plut么t que comme une maison. Un arbre de trois ans, ma foi, c'est un petit arbre. Une maison non achev茅e, c'est de la ruine toute neuve. 禄 (p. 87)

芦 Chez Cervantes, tout est incroyable : le roman n'est pas encombr茅 par les digressions, il en est nourri. Tout ce qui devrait troubler l'harmonie de l'ouvrage contribue 脿 l'int茅r锚t. Il y a plus de philosophie exprim茅e dans la seconde partie que dans la premi猫re. Cela pourrait g芒ter le roman. Il n'en est rien. La seconde partie, je l'ai dit, est, 脿 mon sens, meilleure que la premi猫re. Sous le rapport de la technique m锚me, ce chef-d'oeuvre est bien fait pour brouiller toutes nos convictions et pour briser toutes les r猫gles. 禄 (p. 89)

芦 Il m'a fallu parvenir au seuil de la maturit茅 pour d茅couvrir que le personnage singulier n'est pas le personnage 茅tonnant. En d'autres termes, un h茅ros de roman nous touche non par son caract猫re exceptionnel, mais par son inqui茅tante g茅n茅ralit茅. 禄 (p. 105)

聽芦 En disant que l'histoire de Salavin n'a pas eu de plan pr茅alable, je ne voudrais assur茅ment pas laisser croire que cette oeuvre a [鈥�] grandi par une sorte de bourgeonnement arbitraire. [鈥�] L'histoire de Salavin [鈥�] a grandi comme un arbre, comme un 锚tre vivant. 禄 (p. 110)

聽芦 Oui, c'est un grand privil猫ge, pour nous autres 茅crivains, que de pouvoir nous soulager de nos pens茅es les plus pesantes en les projetant hors de nous par la vertu cr茅atrice. Notre travail est, avant tout, 鈥渄茅livrance鈥�. Les id茅es, comme les personnages imaginaires, comme les images, comme les chants lyriques, tout cela nous 茅toufferait si nous n'avions pas la divine exon茅ration de l'oeuvre! 禄 (p. 115-116)

聽芦 Je ne saurais vous laisser croire, ce disant que j'exprime une doctrine rigoureuse, que je formule un art po茅tique en vertu duquel le romancier doit s'effacer devant les caprices de la cr茅ation et renoncer 脿 toutes les pr茅rogatives de la volont茅. Loin de moi d'aussi dangereuses d茅clarations. Mais je ne saurais vous laisser croire que le v茅ritable romancier peut faire accomplir 脿 un personnage imaginaire, fortement nourri de r锚ve et d'humanit茅, telles actions que le personnage ne veut et ne peut accomplir. 禄 (p. 126)

聽芦 Pour parvenir 脿 la connaissance de l'objet, la m茅decine met en oeuvre [鈥�] une s茅rie de proc茅d茅s qui se corroborent, qui se recoupent, comme on dit aujourd'hui. C'est bien naturellement cette m茅thode que j'ai mise en oeuvre pour comprendre Salavin.听Confession de minuit, c'est Salavin vu du dedans, Salavin tel qu'il se voit et se raconte lui-m锚me. Dans聽Deux Hommes, et bien que le r茅cit soit fait 脿 la troisi猫me personne par le t茅moin id茅al que le romancier parfois se propose d'锚tre, dans聽Deux Hommes, dis-je, Salavin est principalement vu du dehors et, le plus souvent, par son meilleur ami. Avec le聽Journal, nouveau changement : Salavin se raconte lui-m锚me, encore, mais la plume en main. C'est Salavin tel qu'il se voit et tel qu'il 鈥渟'茅crit鈥�. Les deux derniers ouvrages sont compos茅s 脿 la troisi猫me personne et dans le mode historique. Pourtant, dans le dernier volume, j'ai jou茅 le jeu de laisser le lecteur lui-m锚me reconna卯tre petit 脿 petit Salavin sous son nom, son visage et ses v锚tements d'emprunt. Ainsi donc, j'ai suivi une m茅thode bien connue des hommes de laboratoire et qui consiste 脿 modifier sans cesse l'incidence de la lumi猫re et du regard pour mettre en 茅vidence, dans l'objet examin茅, certains d茅tails de structure qui, sans cela, risqueraient de rester inaper莽us. 禄 (p. 139-140)

聽芦 Je relis souvent avec joie la聽Vie de Beethoven聽[de Romain Rolland] et les聽Hommes Illustres聽de Plutarque; c'est un vin dont j'accepte, 脿 certaines heures, de me griser. Mais quand, d茅livr茅 des l茅gendes et des f茅eries, je cherche 脿 conna卯tre l'homme, 脿 mieux comprendre, 脿 mieux p茅n茅trer l'homme, je sais bien que ce n'est pas dans l'histoire des 芒mes d'茅lite qu'il me faut plonger et replonger. Ce n'est pas toujours dans le succ猫s que l'homme se livre et se d茅montre, c'est dans la souffrance, dans l'茅preuve et dans l'茅chec. 禄 (p. 142-143)

聽芦 Le romancier ne s'int茅resse, fussent-ils m茅diocres, m茅prisables ou malheureux ou d茅cevants, qu'aux 锚tres susceptibles de nous r茅v茅ler quelque chose de nouveau sur l'homme, c'est-脿-dire sur nous-m锚me. 禄 (p. 144)

聽芦 Notre destin茅e ou plus exactement notre trajectoire peut ne jamais croiser ni m锚me approcher la destin茅e d'Harpagon ou de Ph猫dre. La peinture de ces monstres nous jette en admiration, elle ne nous incline pas n茅cessairement 脿 quelque retour sur nous-m锚me. 禄 (p. 150)

聽芦 On n'a presque jamais le sentiment que le romancier [r茅aliste ou naturaliste du XIXe si猫cle] se sent consubstantiel 脿 l'objet. Il craint m锚me, en marquant pour cet objet la moindre sympathie, de perdre cette clairvoyance impartiale sans laquelle toute exp茅rimentation para卯t compromise. Certes, en bien des cas, l'humanit茅 fait justice de l'茅cole et d茅joue tous les calculs. [鈥�] La trajectoire de Goriot et d'Emma [Bovary] va soudain infl茅chir la n么tre et peut-锚tre la traverser de fa莽on fulgurante. Le zoologiste [l'茅crivain r茅aliste ou naturaliste] a, malgr茅 tout, un g茅nie si humain et si p茅n茅trant que nous saluons soudain avec un 茅lan fraternel ces animaux mis茅rables qu'il diss猫que 脿 notre regard. N'importe! Du calme! Il s'agit de science pure, on nous le dira plus d'une fois. [鈥�] Il me semble que le XXe si猫cle cherche une autre figuration de l'homme, de l'homme 茅ternel. 禄 (p. 152-153)

聽芦 Cette recherche de l'homme 茅ternel n'implique aucune d茅termination particuli猫re dans l'ordre social. J'entends toutefois qu'il est impossible, apr猫s un si猫cle de r茅alisme exact et salutaire, de ne pas d茅finir un personnage romanesque, de ne pas lui donner toutes les fiches signal茅tiques n茅cessaires. J'entends bien que cette d茅finition peut observer une 茅conomie fort stricte et qu'une description de trente lignes peut suffire aujourd'hui pour 茅tablir des conditions 脿 l'expos茅 desquelles nos p猫res ne consacraient pas moins de quarante pages compactes. 禄 (p. 154)

聽芦 Puisqu'il nous faut peindre l'homme, puisqu'il est superflu de reproduire et d'amplifier les exp茅riences magnifiques de nos a卯n茅s et de nos ascendants, puisque les grands pathologistes et les grands cliniciens ont d茅j脿 pass茅 devant nous, reconstruisons l'homme 茅ternel en prenant une goutte de sang, en prenant une fibre de chair au coeur de chaque 锚tre vivant. Que cette mosa茂que fr茅missante rappelle 脿 chacun, quel qu'il soit, ses esp茅rances, ses 茅preuves, ses mis猫res et sa grandeur. 禄 (p. 155)

[Sur le g茅nie litt茅raire :] 芦 Eh bien! Non, le g茅nie n'est pas le fruit d'un accident, d'un hasard, d'un exc猫s, d'une drogue. [鈥�] L'opium, la morphine, l'茅ther, l'alcool m锚me donnent 脿 des milliers de malheureux le sentiment subjectif du g茅nie; ces poisons n'ont pas dot茅 le monde humain d'un seul chef-d'oeuvre. Qu'on n'aille pas citer Baudelaire et les聽Paradis鈥� Quand Baudelaire est excellent, il a la cervelle froide et le regard cruellement limpide. 禄 (p. 150-151)

聽芦 Flaubert et Dosto茂evsky ont v茅cu dans la terreur du mal caduc : ils ne l'ont certes pas cultiv茅. Pendant la p茅riode vraiment g茅niale de sa vie, Flaubert n'a pas eu de crise et semblait un homme gu茅ri. 禄 (p. 152)

聽芦 Seul un 茅colier mis茅rable peut jouer la com茅die d'une grande souffrance dans l'espoir toujours tromp茅 d'en obtenir un 茅clair. Le romantisme a cess茅 de nous donner des chefs-d'oeuvre. Il n'a pas encore fini d'茅garer notre jugement. Jeunes hommes, ouvrez les fen锚tres et dispersez les fant么mes. 禄 (p. 153)

聽[Sur les 尘辞诲猫濒别蝉 du romancier :] 芦 Le romantisme a trop souvent quitt茅 le grand jour de la nature. On ne conna卯t pas de 尘辞诲猫濒别蝉 脿 Hernani et non plus 脿 Ruy Blas et non plus 脿 Quasimodo. Et ces figures de r锚ve, d茅j脿, se r茅solvent en fum茅e. Il leur manque la chair et le sang de la communion humaine. Chez Zola, romantique imp茅nitent, on sent assez bien le moment o霉 la recette de cabinet suppl茅e l'acte de connaissance. 禄 (p. 156)

聽芦 Pour chacune de ses cr茅atures, le vrai romancier n'a pas un, mais vingt, mais cent聽尘辞诲猫濒别蝉. Il, est, 脿 lui-m锚me, son plus sensible mod猫le, et m锚me s'il s'agit de larves, et m锚me s'il s'agit de monstres. Il go没te 脿 tous les philtres, il endosse toutes les d茅froques, il essaie toutes les perruques. D'une ligne 脿 l'autre, il s'interroge et se r茅pond, il se ch茅rit ou se m茅prise, il s'accuse ou se d茅fend. 禄 (p. 157)

聽[芦 Sur la fonction sociale de l'茅crivain 禄 :] 芦 Requis par les soucis et les travaux de leur fonction personnelle, la plupart des citoyens, dans une soci茅t茅 normale, n'ont ni la vertu ni le temps de conna卯tre le monde, au sens philosophique et po茅tique du mot, et d'exprimer dans une langue ing茅nieuse la substance de leurs d茅couvertes. Ils s'en remettent volontiers au sp茅cialiste, c'est-脿-dire 脿 l'茅crivain qui, dans la mesure de son cr茅dit, se trouve mandat茅 pour accomplir des actes de connaissance. 禄 (p. 181)

聽[Sur l'engagement politique des 茅crivains :] 芦 [鈥�] les 茅crivains risquent d'y perdre sans profit pour personne l'autorit茅 qu'ils ont acquise par un long et noble labeur. Pour avoir trop pr茅sum茅 de sa force et de son prestige, notre corporation pourrait, un jour, tomber dans le d茅cri. [鈥�] Pour accomplir avec succ猫s une t芒che aussi difficultueuse, l'茅crivain doit faire la sourde oreille aux sollicitations des partisans et des factieux. Il doit n'accepter jamais d'ex茅cuter une consigne. Il doit aussi repousser les conseils de la complaisance. 禄 (p. 186-187)

聽芦 L'imitation est jusqu'脿 nouvel ordre la seule 茅cole de l'originalit茅. Elle n'est humiliante que pour les esprits mal faits et les pr茅somptueux. 禄 (p. 210)

聽[Sur le 芦 romanesque familier 禄 :] 芦 Les romanciers ont compris enfin que, pour soulever et retenir l'attention du lecteur il n'茅tait pas n茅cessaire de faire intervenir, du moins dans le roman proprement dit, les magiciens ou les f茅es, que la peinture du r茅el pouvait et devait s'abstenir de cette nouvelle forme d'irr茅alit茅 que les brutalit茅s du naturalisme ont engendr茅e parfois, que le principal, en somme, 茅tait de nous montrer que ce que nous voyons chaque jour sans le voir, ce qui forme en v茅rit茅 la texture vraiment merveilleuse de la vie quotidienne, et d'ajouter ainsi quelque chose d'essentiel 脿 notre connaissance, 脿 notre repr茅sentation de l'homme. Et c'est pour aller tout de suite aux limites de cette formule que je propose cette expression modeste et pr茅cise : le romanesque familier. 禄 (p. 246)

聽芦 Le romanesque familier, instruit par les exp茅riences du roman r茅aliste et naturaliste, a r茅gl茅 certaines questions et pr茅cis茅 certaines m茅thodes. L'influence du milieu, qui a d茅termin茅 pendant un demi-si猫cle notre litt茅rature romanesque, garde sa valeur conditionnelle, il va sans dire; mais l'art de la narration s'est grandement modifi茅 et et le romancier moderne a renonc茅 aux descriptions de quarante et cinquante pages que nos a卯n茅s et nos ma卯tres ont longtemps jug茅es n茅cessaires. 禄 (p. 246-247)

聽[Sur l'absence de 芦 sujet 禄 dans 芦 le roman v茅ritable 禄 :] 芦 Je crois pourtant que le roman v茅ritable se distingue d'abord du conte moral ou philosophique en ceci que le roman n'a pas de sujet. Le roman v茅ritable est essentiellement un portrait ou une galerie de portraits. Ces portraits ne sont pas immobiles. Ils entrent en action. L'action ou plut么t les actions qu'ils produisent ne sont jamais concert茅es en vue d'une d茅monstration id茅ologique. Les personnages des romans, quand ils sont vraiment vivants, engendrent eux-m锚mes les 茅v茅nements et d茅terminent les situations. S'il arrive que ces 茅v茅nements prouvent quelque chose ou se d茅clarent soudain gros d'une le莽on, c'est, pour le romancier, oeuvre involontaire et sur茅rogatoire. Le roman v茅ritable ne comportant pas de moralit茅 est presque toujours, comme la vie, fort difficile 脿 raconter, 脿 r茅sumer et m锚me et surtout 脿 comprendre. 禄 (p. 252-253)

聽[Sur l'avenir du roman :] 芦 Les artistes des si猫cles pass茅s ont 茅t茅 grands. Leurs ouvrages nous intimident. Il serait dangereux de penser qu'ils ont tout dit et que nous arrivons trop tard. Nul n'arrivera jamais trop tard. Le portrait de l'homme ne sera jamais achev茅. Heureux qui peut y ajouter un trait, m锚me un seul. Jules Renard, petit ma卯tre, a vu et fix茅 des lin茅aments que le colosse Balzac n'avait peut-锚tre pas soup莽onn茅s. Les m茅thodes s'am茅liorent et, surtout, s'approprient 脿 des objets toujours nouveaux. 禄 (p. 257-258)

聽[Sur le r茅alisme 芦 photographique 禄 :] 芦 Je pense plus volontiers qu'il est pu茅ril de reproduire avec pers茅v茅rance dans le dialogue les tournures et les incorrections du langage courant. [鈥�] Le vrai r茅alisme est ailleurs. Il est moins dans les mots que dans les pens茅es. 禄 (p. 259-260)

聽[Sur une conception 茅triqu茅e du r茅alisme :] 芦 Nous commen莽ons 脿 triompher de la critique vulgaire. Nous y avons eu quelque peine. Nagu猫re encore, notre lecteur le plus amical nous disait volontiers : 鈥淰ous peignez un employ茅 de bureau. Bien. 脢tes-vous s没r qu'un employ茅 de bureau puisse former des pens茅es analogues 脿 celles que vous lui pr锚tez?鈥� S'il existe un sot r茅alisme c'est celui dont les doctrines empoisonnent le public et suscitent des interrogations de cette nature. [鈥�] Le romancier manquerait 脿 son devoir s'il se limitait, dans la peinture des personnages, aux pens茅es 茅videntes, aux pens茅es formul茅es ordinairement. Il doit, d'une main audacieuse, ouvrir des portes et d茅chirer des enveloppes. 禄 (p. 260-261)

聽[Sur le style et l'originalit茅 :] 芦 Un bon romancier est d'abord un homme qui conna卯t certains secrets de la vie. C'est aussi un homme qui, pour dire ce qu'il sait, produit naturellement une musique verbale qui est son signe et la marque secr猫te de son g茅nie. [鈥�] Certains amateurs blas茅s recherchent avec pr茅dilection les particularit茅s de langue et de syntaxe. Ils pensent 脿 tort qu'un 茅crivain est original par ses tours d'茅criture ou son vocabulaire. L'originalit茅 v茅ritable n'est pas une chose de forme, surtout chez les prosateurs, c'est une vertu de l'芒me. 禄 (p. 266-267)

聽[Sur la litt茅rature fran莽aise :] 芦 Environ l'ann茅e 1548, la France a donc r茅solu de faire une grande oeuvre et d'y employer des si猫cles. Tous les Fran莽ais qui se sont trouv茅s associ茅s 脿 cette oeuvre ont pris conscience de leur r么le dans l'ensemble et ont accept茅 la haute discipline que leur imposait une si majestueuse conjoncture. Et quelle est cette oeuvre de tout un peuple? Quel est ce monument auquel s'est attach茅e la litt茅rature fran莽aise? Je r茅ponds tout de suite : un portrait de l'homme. [鈥�] La litt茅rature fran莽aise s'est comport茅e comme une personne admirable qui chemine avec prudence et toujours dans le m锚me sens. 禄 (p. 280-281).

聽[Sur l'芦 脡glise litt茅raire de France 禄 :] 芦 La litt茅rature fran莽aise n'est pas un monde o霉 se d茅veloppent des exp茅riences anarchiques. C'est une soci茅t茅 domin茅e par des r猫gles s茅v猫res, c'est une 脡glise une et indivisible. 禄 (p. 286)

聽[Sur la question de l'originalit茅 au sein de cette 脡glise :] 芦 [鈥�] je sais, par exp茅rience, que l'脡glise litt茅raire de France a toujours oblig茅 les g茅nies, m锚me les plus originaux, 脿 l'observation des lois et au respect de l'histoire et des traditions. Chose 茅trange, c'est dans cette suj茅tion finalement et volontairement accept茅e que nos plus grands 茅crivains ont trouv茅 un principe de puissance et d'efficace. [鈥�] L'茅crivain fran莽ais qui n'a pas le sentiment, quand il saisit sa plume, d'茅crire sous le regard bienveillant, vigilant, tut茅laire et s茅v猫re d'une assembl茅e d'anc锚tres illustres et de pairs respect茅s, cet 茅crivain me semble renoncer en m锚me temps aux devoirs et aux avantages essentiels de son 茅tat. 禄 (p. 289-290)

[Sur l'imagination :] 芦 Je serais tent茅 de dire : on ne cr茅e que ce qui existe. Le romancier trouve ses personnages en lui-m锚me d'abord et autour de lui. Ce qu'il semble cr茅er de toute pi猫ce est fait, somme toute, avec les s茅diments de tout ce que la vie abandonne dans sa m茅moire. Imaginer, c'est assembler des 茅l茅ments 茅pars et les ordonner de fa莽on nouvelle. 禄

芦 Le romancier, qui demande beaucoup 脿 la vie, est, lui aussi [comme l'historien], tenu par une discipline de v茅rit茅 ou mieux de vraisemblance; mais il garde, 脿 l'endroit des donn茅es exp茅rimentales, une all猫gre franchise. D'un mot, entendu par chance, il tire tout un 茅pisode. D'un regard surpris au vol, il compose tout un ouvrage. Une lettre de quelques lignes lui donne tout un caract猫re. Cinq minutes de la vie et en voil脿 bien assez pour reconstruire un monde et ce monde, en d茅finitive, c'est encore une forme de l'histoire, c'est, ou du moins ce doit 锚tre, un t茅moignage sur la vie d'une soci茅t茅, d'un groupe d'hommes, d'un homme 脿 un moment de la dur茅e. 禄

[Sur le terme de roman :] 芦 Certaines exp茅riences faites, j'aimerais de r茅server le nom de roman aux r茅cits qui mettent en sc猫ne des personnages fictifs, engag茅s dans des 茅v茅nements qui ne sont pas n茅cessairement imaginaires, mais qui, m锚me quand ils le sont, peuvent, par les clart茅s qu'ils apportent sur une 茅poque et sur les hommes d'une 茅poque, contribuer 脿 la connaissance historique de nos soci茅t茅s humaines. 禄

[Sur le r么le du romancier :] 芦 Le r么le du romancier, s'il a un sentiment 茅lev茅 de son devoir, c'est pr茅cis茅ment de jeter des clart茅s dans cette histoire t茅n茅breuse, dans cette histoire sous-jacente et de faire ainsi comprendre les raisons et l'architecture secr猫te de l'histoire des historiens. Que si une telle vue est accept茅e, le romancier et l'historien vont travailler de concert pour une meilleure connaissance de l'homme. Ce disant, j'ai l'air de confiner le romancier dans le contemporain. Et tel est bien mon propos. Le v茅ritable romancier, pour moi, est d'abord un t茅moin de son temps. 禄

芦 Il semblait bien qu'il f没t impossible d'aller plus loin que ces 茅crivains [les naturalistes] dans la peinture stricte, 茅troite et implacable des apparences. Je dis 鈥渋l semblait鈥�, car il est toujours possible d'aller plus loin. Je consid猫re que Jules Renard exprime cette volont茅 de passer outre, de serrer le r茅el de plus pr猫s encore, avec des mots plus crus, des tours plus arides, un style plus sec et plus pr茅cis. 禄 (p. 32)

聽芦 Les 茅crivains du XIXe si猫cle ont fait [en mati猫re de r茅alisme] tout ce qu'il y avait 脿 faire. Ils l'ont fait et bien fait. Ils nous ont mis en main des instruments excellents et terribles dont nous ne pouvons pas ne point nous servir. Nous nous en servons donc, et sans ingratitude. Pourtant l'objet de nos peintures est au-del脿 des apparences si bien peintes par nos devanciers. J'ai peu de go没t pour les impasses. Je n'ai que de l'茅loignement pour ce qu'il me faut appeler malgr茅 tout la litt茅rature du d茅sespoir. Que si le mot de r茅alisme poss猫de encore un sens et qu'on tienne 脿 l'employer, en ce qui me concerne, je l'accepte et le rectifie 脿 ma fa莽on. 脢tre un r茅aliste de l'芒me, tel fut, tel est mon seul propos. 禄 (p. 34.)

聽芦 Le g茅nie po茅tique est un g茅nie matinal. Je parle ici, on le comprend, de la po茅sie lyrique. Mais le g茅nie du narrateur n'est point un g茅nie matinal; c'est un don qui a grand besoin de m没rir. Le po猫te qui n'a pas fait entendre le son de sa voix avant sa vingti猫me ann茅e m'inspire quelque d茅fiance et l'exemple de La Fontaine, qui ne fut gu猫re pr茅coce, n'affaiblit pas, 脿 lui tout seul, notre r猫gle. Le narrateur, au contraire, ne trouve pas tout en lui-m锚me, comme le rossignol. Il lui faut vivre, rencontrer ses 尘辞诲猫濒别蝉, souffrir et jouir du monde, accepter les exp茅riences. Il lui faut aborder les difficult茅s de l'art avec patience, avec humilit茅, pour apprendre 脿 les r茅soudre. 禄 (p. 40)

聽芦 Les 茅crivains ont deux vies. La leur et celle de leurs personnages. C'est dans celles-ci [sic] qu'ils 茅puisent la plus grande part de leurs virtualit茅s, les excellentes et les pires. 禄 (p. 51)

聽芦 Qu'un 茅crivain ait du talent, c'est dirai-je, la moindre des choses; mais qu'il ait d'abord un message, voil脿 ce qui me semble n茅cessaire. [鈥�] Le message d'un 茅crivain, c'est ce que cet 茅crivain conna卯t, c'est le tr茅sor personnel qu'il a pu constituer, par l'effet de ses dons, pendant son exp茅rience de la vie, m锚me si cette exp茅rience est br猫ve, c'est le fruit de ses contemplations, de ses observations, de ses aventures objectives et subjectives. Une d茅finition si large donne 脿 penser que tous les 茅crivains ont un message, que tous les hommes ont un message. Eh bien, non! Justement non! Il existe une foule d'茅crivains qui ont des dons d'expression, un talent charmant et qui n'ont, somme toute, aucun message personnel. Ils nous pr茅sentent, avec plus ou moins de gr芒ce, avec plus ou moins d'agr茅ment, le message d'un autre ou de plusieurs autres. 禄 (p. 96-97)

芦 Les bons 茅crivains se servent par excellence de la langue, mais ils ne poss猫dent pas sans r茅serve et sans contr么le ce bien qui leur a 茅t茅 confi茅 par leurs a茂eux et qu'ils devront eux-m锚mes transmettre 脿 leurs descendants. 禄

芦 Les gardiens [du langage] ont pour devoir d'abord de pr锚cher d'exemple, c'est- 脿-dire de manier la langue avec exactitude, vigueur et respect. Ils doivent, en outre, veiller 脿 ce que soient observ茅es des r猫gles justes, lutter avec discr茅tion contre les alt茅rations du vocabulaire et du go没t, examiner avec soin les apports nouveaux, et se ch芒tier sans cesse dans leurs ouvrages pour l'enseignement des g茅n茅rations nouvelles. 禄

芦 Ce serait assur茅ment une erreur que vouloir 茅prouver 脿 la lecture d'Anatole France certaines 茅motions que nous donnent les romanciers que je dirai torrentiels. On ne se plonge pas dans Anatole France comme on peut le faire dans Balzac, dans Dickens ou dans Tolsto茂. Bien qu'il ait peint des figures inoubliables, Anatole France n'est pas un romancier au sens plein du mot, c'est un narrateur d茅licieux, un auteur de ce qu'on appelait justement, au XVIIIe si猫cle, des contes philosophiques. 禄

芦 Je respecte l'effort de Zola, l'oeuvre de Zola, non sans r茅serves et objections, toutefois. Cette oeuvre est parfois inspir茅e, elle est plus souvent encore volontaire. [鈥�] L'oeuvre de Zola doit plus 脿 la documentation qu'脿 la connaissance personnelle et profonde. Comment, d'ailleurs, un homme pourrait-il avoir une exp茅rience personnelle et profonde de personnages et de milieux aussi divers? 禄 (p. 23-24)

聽芦 Certains 茅crivains de ma g茅n茅ration, tous hommes qui avaient une vingtaine d'ann茅es 脿 la mort de Zola, ne d茅daignaient pas les probl猫mes de l'h茅r茅dit茅, et comment l'auraient-ils pu faire? Ils jugeaient toutefois, et avec raison, que la le莽on 茅tait dig茅r茅e, que ces fameuses id茅es pouvaient d茅sormais passer dans la substance d'une grande composition romanesque sans que le r茅cit f没t encombr茅 de consid茅rations doctrinales. Ces 茅crivains pensaient que le moment 茅tait venu de choisir d'autres th猫mes, d'autres objets, que, d'ailleurs, objets ou th猫mes ne manquaient pas, que, chaque jour, naissaient et se compliquaient des probl猫mes nouveaux qui demandaient, 脿 leur tour, attention et solution. Parmi les ph茅nom猫nes humains qui m'ont frapp茅 d猫s les premi猫res ann茅es du si猫cle, celui qui m'a presque tout de suite s茅duit et retenu concerne la formation des 茅lites. 禄 (p. 26-27)

聽芦 J'admire assur茅ment le jeune romancier qui, d猫s ses commencements, ne craint pas d'affronter un art qui n'est certes pas un art de matin茅e, mais bien l'art du midi. [鈥�] le g茅nie lyrique est un art d'enfance. L'art du r茅cit, au contraire, suppose de l'exp茅rience, oui, l'exp茅rience des hommes, une exp茅rience longue et travers茅e. 禄 (p. 29)

聽芦 Je serais tent茅 de dire que le principal personnage des oeuvres de cette sorte [les romans cycliques comme la聽Chronique des Pasquier] est le temps. 禄 (p. 32)

聽芦 Le roman cyclique [鈥�] nous pr茅sente un groupe de personnages et les fait vivre tout au long d'une 茅poque, au milieu des 茅v茅nements de cette 茅poque, vivre et m没rir, m没rir puis vieillir, ce qui veut dire se transformer, oui, se transformer dans la mesure o霉 ces caract猫res se transforment, les uns se confirmant, se durcissant, s'exasp茅rant, les autres s'affaiblissant, se dissolvant, perdant petit 脿 petit le relief et la substance. 禄 (p. 33)

聽芦 Les historiens qui peindront plus tard notre 茅poque pourront, dans nos fictions, trouver beaucoup de v茅rit茅s, notamment en ce qui touche la psychologie individuelle ou collective sans laquelle on a quelque peine 脿 expliquer l'origine des 茅v茅nements, leur caract猫re et leurs cons茅quences. 禄 (p. 35-36)

聽芦 Je laisse aux historiens leur t芒che tr猫s sourcilleuse. L'histoire n'est pas absente de ma chronique : elle en forme la toile de fond. 禄 (p. 36)

聽芦 Le romancier est l'historien du pr茅sent et l'historien est le romancier du pass茅. 禄 (p. 36)

聽芦 Peindre des paysages que je ne connais pas, voil脿 sans doute un exercice auquel je n'oserais pas me livrer, auquel je refuse de me livrer. J'entends au surplus porter t茅moignage pour un temps et pour une soci茅t茅. 禄 (p. 37)

聽芦 Comme Laurent Pasquier, je suis bien s没r qu'un grand romancier, tel Balzac, imite ses contemporains, sans doute, mais que ses personnages sont finalement imit茅s par les lecteurs, car ce n'est pas en vain que l'on consulte les miroirs. 禄 (p. 39)

聽芦 Pendant tout le XIXe si猫cle, le souci de la v茅rit茅 a pouss茅 les 茅crivains 脿 peindre sans aucun m茅nagement les personnages qu'ils avaient choisis pour 尘辞诲猫濒别蝉. L'usage d'une palette sombre ne va pas sans plaisir, 脿 ce qu'il para卯t. Il y a beaucoup de na茂vet茅 chez mes fr猫res les 茅crivains. La plupart ont un grand d茅sir de 鈥渇aire fort鈥�. Ils ont donc accumul茅 les poix et les bitumes. Apr猫s avoir peint sombre, ils ont peint noir. 禄 (p. 40)

聽芦 Pour faire plus vrai [les 茅crivains] se sont appliqu茅s 脿 copier le langage et m锚me le jargon de tel ou tel groupe social, 脿 figurer une foule de d茅tails qui n'ont pas la moindre utilit茅, pas la moindre relation avec le vrai essentiel, mais qui, par leur bassesse, ne vont pas sans frapper le lecteur, sans exercer une action excitante ou toxique sur sa sensibilit茅, plus justement je dirai sur ses nerfs. 禄 (p. 40-41)

聽芦 Sans renoncer aux audaces du naturalisme, et les 茅crivains appellent audace de ces prouesses qui ne se passent qu'entre la feuille et l'encrier, sans renoncer donc 脿 ce courageux amour de la v茅rit茅 qui se refusait d'ailleurs 脿 voir la r茅alit茅 comme elle est, c'est-脿-dire fort disparate, les 茅crivains, durant les premi猫res d茅cennies du XXe si猫cle, ont fait parfois effort, et c'est par exemple le cas d'Anatole France, pour retrouver les traditions d'une litt茅rature a茅r茅e, d'un art qui sait tout dire avec tact et finesse, d'un art qui ne recule devant aucune des couleurs de la palette, pas m锚me, quand il le faut, devant les couleurs d茅licates, lumineuses et tendres. Puis les deux guerres mondiales ont pass茅 [鈥�]. Les 茅crivains des nouvelles g茅n茅rations, naturellement, ont essay茅 de peindre ce monde abandonn茅. Ils se sont ressaisis du vieux mat茅riel des naturalistes. L'univers qu'ils ont repr茅sent茅, ils ont, d'avance, d茅cid茅 que ce serait un univers noir, c'est leur propre expression. La litt茅rature qu'ils ont engendr茅e pourrait, en cons茅quence, 锚tre appel茅e la litt茅rature du d茅sespoir. 禄 (p. 41-42)

聽芦 Parmi les formules n茅fastes qui ont contribu茅, je pense, 脿 fourvoyer les jeunes 茅quipes de nos narrateurs, j'en veux citer au moins une, car elle m茅rite commentaires : 鈥淥n ne fait pas de bonne litt茅rature avec de bons sentiments.鈥� Un adverbe bien plac茅 aurait suffi, suffirait sans nul doute 脿 retirer 脿 cette formule son venin. Que s'il s'茅tait dit : 鈥淥n ne fait pas n茅cessairement de bonne litt茅rature avec de bons sentiments.鈥�, la remarque serait pertinente. 禄 (p. 43)

聽芦 Si tous les po猫tes ou narrateurs auxquels je viens de faire de trop br猫ves allusions sont 脿 nos yeux si grands, c'est qu'ils ont peint un univers qui n'est pas noir, mais color茅 par toutes les lumi猫res du monde, c'est qu'ils ont donn茅 du relief 脿 leurs cr茅ations par le jeu des contrastes, c'est qu'ils ont, comme la vie, roul茅 dans les flots de leur oeuvre les vertus et les vices, cruellement emm锚l茅s, mais non pas confondus. 禄 (p. 44)

聽芦 Le roman cyclique ne doit pas 锚tre consid茅r茅, 脿 raison de sa longueur m锚me, comme ind茅finiment extensible. Un long r茅cit, quand il est bien fait, bien men茅, appara卯t form茅 d'un nombre plus ou moins grand de r茅cits brefs, exactement articul茅s entre eux. 禄 (p. 49)

聽芦 Le plan pr茅alable [d'un roman cyclique] doit 锚tre assez souple, assez 茅lastique, assez docile pour supporter toutes les modifications que l'artiste y apportera dans la suite de son labeur. 禄 (p. 50)

聽芦 Je pense que dans le conte, dans la nouvelle, dans le roman bref, l'int茅r锚t est avantageusement soutenu par ce que l'on appelait autrefois une intrigue, et que cette intrigue exige un d茅nouement. Le roman cyclique a d'autres ressorts. Il suit la vie de pr猫s et c'est 脿 raison de cette fid茅lit茅 qu'il retient l'attention du lecteur. 脌 certains de ses 茅pisodes, on peut voir un d茅nouement; mais le r茅cit, dans son ensemble, peut se passer de d茅nouement : la vie de l'esp猫ce a-t-elle un d茅nouement? 禄 (p. 51-52)

聽芦 Le narrateur qui pr茅sente des personnages assez nombreux doit varier les 茅clairages. Qui lui reprocherait de tourner autour de ses 尘辞诲猫濒别蝉, de les consid茅rer tant么t par l'ext茅rieur et tant么t par l'int茅rieur, de leur passer parfois la plume, de les faire parler et se raconter eux-m锚mes, quitte 脿 les ressaisir ensuite par le biais du r茅cit historique 脿 la troisi猫me personne? 禄 (p. 52)

聽芦 Le style 茅chappe 脿 toute r猫gle : il est un signe de l'auteur, une manifestation de sa nature. Mais la langue est le bien d'un peuple. La langue du roman, pour nous, c'est la belle et illustre langue fran莽aise. [鈥�] L'essentiel, 脿 mon sens, est qu'en dehors de l'int茅r锚t suscit茅 par la fable, une page du livre, consid茅r茅e isol茅ment, souffre d'锚tre s茅par茅e du contexte, qu'elle apporte en elle-m锚me quelque beaut茅, qu'elle marque de la puret茅, qu'elle donne quelque satisfaction 脿 l'homme instruit. Nous avons assist茅, 脿 la fin du XIXe si猫cle et au d茅but du XXe si猫cle, 脿 des exp茅riences curieuses, 脿 la tentative, par exemple, qui fut dite du style artiste. L'originalit茅 du narrateur est bien rarement dans la forme. Au surplus, la langue fran莽aise d茅courage assez vite les pr茅cieux et les mani茅r茅s. Les esprits les plus originaux s'expriment presque toujours dans une langue simple, forte et classique. 禄 (p. 52)

芦 La grande floraison romanesque de la France, depuis trois si猫cles, repr茅sente la survivance et la reviviscence de l'esprit d'茅pop茅e dans un peuple qui n'en a jamais d'ailleurs 茅t茅 d茅sert茅. 禄 (p. 97)

芦 Les mignardises et les pr茅ciosit茅s des Goncourt, les contorsions de Huysmans, il [Flaubert] les a regard茅es de loin et d'ailleurs jug茅es sans faiblesse. Il a fermement tenu le gouvernail pendant une passe difficile. Ceux qui, non sans raison, pensent aujourd'hui que la vertu de notre langage est un principe d'espoir dans le d茅sarroi de la patrie, ceux-l脿 peuvent d茅dier 脿 Flaubert, chaque jour, une pens茅e de gratitude 禄 (p. 191)

芦 Si Flaubert ne me d茅sarmait pas, ce qu'il fait presque toujours, j'apercevrais peut-锚tre, dans les oeuvres du cher homme, ce que l'on appelle des fautes. Je ne dis pas qu'elles soient tout 脿 fait insensibles, m锚me pour un oeil affectueux. Qu'un seigneur comme Flaubert emploie un membre de phrase qui se trouve, en m锚me temps, pouvoir 锚tre sujet et r茅gime, qu'il n'茅vite, pas plus que les autres, les redoutables 鈥済茅nitifs en cascades鈥�, qu'il tombe dans les dissonances, qu'il 茅crive au besoin 鈥渄e suite鈥� pour 鈥渢out de suite鈥�, qu'il emploie de temps 脿 autre une ponctuation au hasard, tout cela ne me g锚ne gu猫re et m锚me je ne m'y arr锚te pas. Apr猫s avoir compos茅 cinquante ou soixante livres et donn茅 toute une vie 脿 l'art des belles lettres, je pense qu'il faut tenir les ma卯tres quittes de ces chamailles absurdes. Quand Gide 茅crit 鈥減ar contre鈥� pour 鈥渆n revanche鈥�, j'ai lieu de croire qu'il sait ce qu'il fait. Et Claudel a pris magnifiquement, au sujet de 鈥減artir 脿 Paris鈥�, la d茅fense des 茅crivains contre les p茅dants de coll猫ge. 禄 (p. 191-192)

芦 Le v茅ritable 茅crivain, pour moi, c'est celui qui peut s'enfermer avec une main de papier blanc, un porte-plume, de l'encre, et tout tirer de son fonds. Or Flaubert avoue qu'il a lu deux mille ouvrages pour composer l'affreux聽Bouvard. Et je ne lui en veux pas. S'il peut me faire changer d'avis sur presque toutes les questions, c'est probablement que je l'aime. 禄 (p. 193)

芦 J'ai dit et r茅p茅t茅 que je ne croyais pas aux romans historiques : 鈥淟e romancier est l'historien du pr茅sent. L'historien est le romancier du pass茅.鈥� Je n'ai donc jamais compos茅 de romans historiques et je n'en composerai pas. Je m'abstiens m锚me d'en lire. Mais, que j'ouvre Salammb么 et je ne tarde gu猫re 脿 renoncer tous mes griefs. 禄 (p. 194)

芦 Cette phrase, je l'ai prise dans l'脡诲耻肠补迟颈辞苍, qui est pourtant, de tous les livres de Flaubert, celui dans lequel il a le plus nettement ch芒ti茅 son go没t pour les p茅riodes ostentatoires. C'est s没rement dans l'脡诲耻肠补迟颈辞苍聽qu'il semble le mieux d茅livr茅 des tortures de la 鈥渇orme鈥� et des exhibitions 鈥減lastiques鈥�. 禄 (p. 195)

芦 Pareillement, de Voltaire 脿 Lemontey, de Lemontey 脿 Flaubert et de Flaubert 脿 Anatole France, une tradition est soutenue sans laquelle nos lettres fran莽aises manqueraient d'un certain sourire qui semble inimitable par tous les autres peuples, m锚me par les plus cultiv茅s. Je vais citer une petite phrase : 鈥淎 force de prier Dieu, il lui vint un fils.鈥� Cette phrase n'est pas d'Anatole France, elle est de Flaubert. Je r茅p猫te qu'elle pourrait 锚tre de Lemontey. 禄 (p. 197)

芦 On peut distinguer, dans l'ensemble, en songeant aux narrateurs, trois sortes de r茅cits : ceux qui agissent par masse, ceux qui agissent par la vertu du style, enfin ceux 鈥� exceptionnels 鈥� qui touchent le lecteur 脿 la fois par l'effet de masse et par la beaut茅 du style. Toute l'oeuvre de Flaubert est 脿 ranger dans cette derni猫re cat茅gorie. 禄 (p. 197)

芦 Je suis tr猫s faible, tr猫s d茅f茅rent devant Flaubert. Cela ne m'emp锚che quand m锚me pas de voir qu'il a l'esprit de syst猫me, de le voir et d'en souffrir. Les 茅checs de Bouvard et de P茅cuchet sont trop constants. Or la vie n'est pas parfaite. Dans la vraie vie vivante, il arrive que les imb茅ciles se trompent et r茅ussissent quelque chose. Bouvard et son complice ne se trompent jamais. 禄 (p. 198)

芦 Ce ne sont pourtant pas les 茅crivains du romantisme qui vont mener le roman 脿 ses plus durables conqu锚tes. Ils sont bien trop occup茅s d'eux-m锚mes pour voir l'univers d'un oeil froid et le peindre avec une stricte vigilance. Vraiment, ce sont de grands po猫tes, et que peut-on leur demander de plus? 禄 (p. 262)

芦 J'ai suivi les romantiques dans leur 茅vasion, sans toutefois m'茅garer quand ils en 茅prouvent le d茅sir. Je dois beaucoup aux r茅alistes 鈥� Balzac et Flaubert, sans doute 鈥�; mais les naturalistes ont, 脿 mon sens, oubli茅 qu'il n'y a pas de v茅ritable romancier sans po茅sie et sans humour 禄 (p. 39-40)

聽芦 Pour moi, je n'ai certes pas renonc茅 脿 la po茅sie. Comment le pourrais-je? Mais j'ai cherch茅, dans la prose, un assouvissement 脿 ma ferveur po茅tique. J'ai toujours pens茅 qu'il n'y a pas de vrai romancier sans une profonde inspiration po茅tique. 禄 (p. 45)

聽芦 Salavin n'est pas, en effet, une figure sp茅cifiquement fran莽aise; c'est un homme. Et tel 茅tait bien mon propos : retrouver l'universel humain et l'茅ternel humain. 禄 (p. 61)

聽芦 Je n'emploie jamais, pour mon compte, l'expression de roman-fleuve, mais bien celle, plus juste, de聽roman cyclique. 禄 (p. 66)

聽芦 [鈥�] la plus s没re fa莽on de purifier le roman ou la nouvelle, c'est de ne pas y m锚ler les explications, les jugements, les raisonnements dont la pr茅sence a bien des chances de ralentir, d'alourdir la marche d'un r茅cit. 禄 (p. 74)

[Sur les聽Thibault聽de Roger Martin du Gard :] 芦 Ces 鈥淭hibault鈥�, c'est aussi bien que possible. Et pourtant, je crois que c'est un immense effort sur une forme d'art 茅puis茅e, c'est d'une honn锚tet茅 absolue. Cela trouvera en outre son public, mais je ne peux m'emp锚cher de penser que, ni dans la technique, ni dans la psychologie, ni dans aucun des proc茅d茅s d'art mis en jeu, cela n'ajoute quoi que ce soit aux grands romans naturalistes de la fin du si猫cle dernier. Pourtant, je m'y int茅resse, non seulement parce que c'est d'un ami, mais encore parce que c'est d'une grande oeuvre et que Roger Martin du Gard est, parmi mes amis, un des derniers avec qui j'茅prouve quelque plaisir 脿 parler de mon art. 禄 (p. 73-74)

听摆厂耻谤听La Mort du p猫re聽de Roger Martin du Gard :] 芦 En ce moment, Roger Martin du Gard vient tous les soirs, il me lit聽La Mort du p猫re. [鈥�] j'ai la presque certitude qu'il se trompe et que cet effort gigantesque 鈥� n'exag茅rons rien, ce grand effort 鈥� ne fera pas avancer d'un pas notre connaissance du coeur humain, seule chose qui m'int茅resse. 禄 (p. 92)

听摆厂耻谤听Quand le navire聽de Jules Romains :] 芦 [鈥�] pendant longtemps, tr猫s longtemps, le merveilleux a 茅t茅 l'aliment m锚me de l'art. Est-ce parce que j'aime passionn茅ment la v茅rit茅? Le livre de Romains, malgr茅 les questions qu'il soul猫ve, ne m'int茅resse pas. J'ai eu toutes les peines du monde 脿 fixer mon attention et 脿 ne pas m'endormir sur ce bouquin. Pour moi, le vrai merveilleux en tant que principe d'art est dans la foudroyante v茅rit茅. Ce qui rend le livre de Romains ennuyeux c'est, assur茅ment, l'arbitraire de la donn茅e du d茅veloppement. 禄 (p. 116)

聽[Sur la d茅su茅tude du naturalisme :] 芦 J'approuve la patience et la vertu de ces jeunes 茅crivains comme Arland ou Rops qui s'attaquent 脿 de longs romans. Mais ils retombent compl猫tement 脿 l'esth茅tique du naturalisme comme Roger Martin du Gard d'ailleurs, avec tous les pr茅jug茅s pseudo-scientifiques des naturalistes, sur l'h茅r茅dit茅 et le milieu, entre autres. Insignifiance du style, chez tous. Insignifiance volontiers 茅rig茅e en dogme. J'explique 脿 Rops assez 茅tonn茅, comme quoi je ne suis pas moi un 茅crivain naturaliste. J'ai compl猫tement renonc茅 脿 la composition pseudo-scientifique, 脿 l'anamn猫se, aux longues descriptions paysagistes. Tous les romanciers du XIXe si猫cle, je dis bien tous, ont fait de la zoologie et peint des cat茅gories : Balzac,听Sc猫nes de la vie militaire, de la vie de province, etc. Zola,听Histoire naturelle et sociale, etc. Toutes les professions prises 脿 tour de r么le, Flaubert,听Madame Bovary, moeurs de province. Tout cela est tr猫s bien fait. Inutile d'insister. Moi, je ne peins pas des cat茅gories comme les gens du XIXe si猫cle ni des passions 脿 l'茅tat pur, comme les gens des XVIIe et XVIIIe si猫cles. Je peins le moyen homme, plut么t que l'homme moyen, c'est-脿-dire celui qui se trouve 脿 l'intersection de toutes les destin茅es : Salavin, Fran莽ois Cros, Antoine Ress茅guier. Je ne peux deviner le jugement de l'avenir, mais je suis presque s没r que Roger Martin du Gard se trompe. Lui et les jeunes de maintenant se trompent en outre sur le style. Ils veulent que le roman ne soit pas une oeuvre d'art dans le d茅tail. Est-ce que cela peut vivre? 禄 (p. 128-129)

听摆厂耻谤听Le Serpent 脿 plumes聽de D. H. Lawrence :] 芦 Je trouve surtout chez ce Lawrence une parfaite absence d'art. Le r茅cit est fait par juxtaposition d'une multitude de d茅tails pr茅sent茅s sans choix, sans plans, tous dans le m锚me 茅clairage. L'abus des qualificatifs est intol茅rable et notamment des qualificatifs color茅s. Dans les parties de mouvement on croit lire le r茅cit d'un tr猫s m茅diocre reporter. Rien n'est sugg茅r茅, rien n reste en demi-teinte. Tout est dit et redit jusqu'au rab芒chage. Le bougre y va de son voyage. Oui vraiment, il croit que c'est arriv茅. Il ne nous fait gr芒ce de rien, et avec quel s茅rieux, car, chose curieuse, cet Anglais manque d'humour de fa莽on impardonnable. Qu'il ne juge pas ses personnages, soit, c'est une vieille m茅thode, mais il ne se juge jamais soi-m锚me, ce qui est plus f芒cheux. Il se roule dans une id茅ologie de primaire. Il cultive avec fr茅n茅sie les contradictions les plus absurdes. M锚me si l'histoire de Kate est vraie, je la trouve faussement interpr茅t茅e. [鈥�] Cette Kate, on ne la voit pas, on ne la sent pas, on ne la comprend pas. Ce n'est pas l脿 l'oeuvre d'un grand peintre ni d'un grand po猫te. L'茅diteur Dent, venu me visiter, osait placer Lawrence au-dessus de Conrad. C'est d茅ment. Quand 脿 tous les bobards sexuels, nous autres, Fran莽ais, nous ne sommes pas des victoriens affranchis, nous connaissons tout 莽a depuis longtemps. 禄 (p. 205-206)

[Lettre du 22 f茅vrier 1920] 芦 Je sais, par exp茅rience que si je veux revenir obstin茅ment sur mon ouvrage jusqu'脿 ce que chef-d'oeuvre s'ensuive, je g芒terai tout ce qu'il peut y avoir l脿 de bon. 禄 (p. 8)

聽[Lettre du 14 novembre 1920] 芦 Je veux en venir 脿 ceci qu'脿 mon sens le g茅nie litt茅raire est engag茅 dans une p茅riode de reconstruction, en France, du moins. Les grandes compositions 脿 la Zola ne tentent plus, pour l'instant, que des imitateurs dont s'encombrent les 茅coles en d茅cadence. Presque tous les 茅crivains dignes de ce nom se remettent au 鈥渄'apr猫s nature鈥� minutieux; ils peignent en profondeur et non en surface. Il est possible que votre tentative annonce une renaissance de la grande composition. Je le souhaite et votre grand talent me fait le croire; mais je me m茅fie. Pour moi je vous r茅p茅terai ce que j'ai dit un soir : 鈥渏'ai d茅j脿 assez de mal 脿 peindre un seul bonhomme, je ne vais pas en mettre 40 sur pieds鈥�.
Je fais ce que je peux, mais je ne suis pas d茅courag茅 par l'histoire des litt茅ratures : la presque totalit茅 des grandes compositions de Zola sera d茅j脿 dans l'oubli que le tout petit roman intitul茅聽Adolphe聽durera encore. Les chefs-d'oeuvre du roman, depuis聽La Princesse de Cl猫ves聽et les romans de Voltaire jusqu'脿聽Dominique, sont des ouvrages de petites proportions, mais mieux taill茅s que聽Les Mis茅rables聽ou m锚me聽La Cousine Bette聽pour r茅sister aux si猫cles. Ce sont des choses r茅ussies, plut么t que des choses 茅normes. Les trois contes de Flaubert et Madame Bovary vivront plus longtemps que聽L'脡诲耻肠补迟颈辞苍 sentimentale. [鈥�]
Je ne veux pas imiter C茅zanne surtout dans un propos que je lui pr锚te; mais je pense 鈥� c'est bien pr茅somptueux 脿 moi de l'avouer 鈥� que le sujet de聽Confession de minuit聽n'est pas un sujet mince. Moi, je le vois 茅norme et je suis encore tremblant d'avoir os茅 l'aborder. Vous voyez Salavin et vous dites : mince bonhomme, mince sujet. Non, mon cher ami, laissez-moi vous le dire, je crois que le m茅diocre Salavin 鈥� je l'ai fait bien m茅diocre pour que le plus grand nombre possible d'hommes s'y reconnaisse 鈥� est, dis-je, habit茅 par un grand sujet, en d'autres termes, il soul猫ve une grande, une terrible question morale. Si vous ne l'avez pas vu, c'est que j'ai manqu茅 mon affaire. Mais j'ai eu l'impression, 脿 propos de Salavin, de traiter un grand sujet. Pour toutes ces raisons, je suis amen茅 脿 croire que nous ne 鈥渢irons鈥� pas du tout dans le m锚me sens. Pour toutes ces raisons, je commence 脿 penser avec une sorte de d茅sespoir que je ne vous donnerai jamais cette satisfaction que vous voulez bien encore attendre de moi. 禄 (p. 23-24)

[Lettre du 30 juin 1922] 芦 J'ai donc lu le聽笔茅苍颈迟别苍肠颈别谤. C'est, me semble-t-il, 脿 ce second examen, tr猫s r茅ussi, beaucoup mieux que le premier tome [Le Cahier gris]. Vous 锚tes install茅 dans votre sujet comme un hippopotame dans le Niger. 禄 (p. 63)

[Extrait du聽Journal聽de Martin du Gard, 4 juillet 1923 :] 芦 [Duhamel] m'a dit : 鈥淛e crois qu'au fond vous n'锚tes qu'un romancier. Vous n'aimez, de coeur, aucun de vos personnages. Il y a en vous une insensibilit茅 de montreur de marionnettes. Aucun sentiment religieux. Aucune piti茅. Votre oeuvre en sera toujours appauvrie. Vous avez un esprit de zoologiste. 禄 (p. 93)

[Lettre du 16 ao没t 1923] 芦 [鈥�] il nous faut toujours travailler comme si nous devions terminer notre oeuvre dans le ciel, avec l'茅ternit茅, et comme si cette oeuvre n'茅tait, tout enti猫re, destin茅e qu'脿 nous am茅liorer en vue d'une autre oeuvre, d'une autre 茅ternit茅. 禄 (p. 100)

[Lettre du 13 janvier 1933] 芦 Ton opinion refl猫te assez bien, 脿 mes yeux, le sentiment d'un petit groupe de gens instruits, distingu茅s 鈥� comme il para卯t que l'on dit 鈥� mais qui ne m'ont jamais aim茅 et ne m'aimeront probablement jamais. Ces gens qui ont fait beaucoup de mal aux lettres en encourageant p锚le-m锚le et furieusement, toutes les tentatives, et les plus folles et les moins excusables, ces gens ont c茅l茅br茅 plusieurs fois d茅j脿 la fin de ma carri猫re d'artiste cr茅ateur鈥� 禄 (p. 247-248)

[Lettre du 25 d茅cembre 1936] 芦 Tu as r茅ussi et employ茅 une documentation gigantesque [dans聽L'脡t茅 1914] dont je n'arrive pas 脿 sentir le prix. Je persiste 脿 croire que, pour faire un roman, il faut une chambre, une table, du papier blanc et de l'encre. Tout tirer de soi, somme toute. Je pense que tu contribues avec force, avec 茅clat, parfois avec magnificence, 脿 cr茅er et 脿 maintenir une confusion entre le roman et l'histoire. Il faut laisser l'histoire aux historiens. Le roman, c'est la peinture des 芒mes. Que les 茅v茅nements soient l脿, marqu茅s d'un crayon rapide; mais qu'ils laissent le devant de la sc猫ne aux hommes. Que les id茅es soient dans la p芒te, mais qu'elles n'affleurent que rarement. Les 茅v茅nements et les id茅es, nous voulons les apercevoir 脿 travers Jacques, Antoine, Jenny, les comparses. Au contraire, les 茅v茅nements et les id茅es nous cachent ces protagonistes, que nous aimons et que nous ne voulons point quitter.
Cet appareil documentaire immense t'a aussi d茅tourn茅 de l'humour et de la po茅sie qui sont, 脿 mon regard, deux ressorts actifs de la cr茅ation romanesque. Je le regrette d'autant plus que l'humour est une de tes vertus. Tu en as donn茅 des preuves 茅clatantes. Enfin le souci de l'histoire et du document t'a d茅tourn茅, 么 chartiste! de la concision. Tu vois que je n'h茅site pas 脿 formuler toutes mes critiques. J'en ai d'autres que je ne veux pas garder sur le coeur. Tu n'es pas un cr茅ateur impassible. Tu prends parti. Tu prends, visiblement, le parti de Jacques. [鈥�]
J'aime bien toutes les sc猫nes d'intimit茅. J'aime tout ce qui est psychologie pure. Je me d茅fie du romanesque cin茅ma (songe au truc du portefeuille 脿 Berlin et 脿 toute l'histoire de l'avion final et des tracts.) Il y a des choses pour lesquelles tu es fait et dans lesquelles tu excelles naturellement. Il y a d'autres choses qui sentent la volont茅, la contrainte, le parti pris. 禄 (p. 294-295)

[Lettre du 21 mars 1940] 芦 Un peu trop de d茅tails techniques [dans l'脡辫颈濒辞驳耻别聽de Martin du Gard]. Ils sont exacts et bien choisis, mais il y en a un peu trop quand m锚me. Des choses que l'on conna卯t bien, depuis longtemps, par l'int茅rieur, on parle toujours avec moins de complaisance. Mais personne ne s'en apercevra. 禄 (p. 319)

[Lettre du 27 mai 1925] 芦 Eh bien, mon cher Mauriac, ils ont raison les autres :聽Le D茅sert de l'amour聽est un bien beau livre, 脿 mon go没t le meilleur de vos livres. Tout y est juste, vrai, 茅mouvant. Le personnage du p猫re suffirait 脿 la gloire du romancier. 禄 (p. 36)

聽[Lettre du 2 f茅vrier 1936] 芦 Comment vous dire l'茅motion extraordinaire qui m'est venue 脿 la fin de votre livre [Les Anges noirs]? Je sais que vous 锚tes un grand artiste; mais l'art n'est pas seul en cause, ni cette po茅sie d茅chirante, ni cette virtuosit茅 pour manier les 芒mes. Non, il y a quelque chose de mieux que tout cela. Et puis cela vient, cela monte, 鈥減etit 脿 petit鈥�. Et on ne s'en d茅livrera pas de sit么t. 禄 (p. 59)

聽[Lettre du 1er ao没t 1941] 芦 Cher Fran莽ois, mon fr猫re Victor vient de lire聽La Pharisienne聽et il est venu m'en parler de fa莽on intelligente et sensible. En l'茅coutant, je me disais que nous pouvions 鈥� nous les Fran莽ais 鈥� vous 锚tre reconnaissants d'avoir donn茅, juste en ces heures am猫res, un de vos meilleurs livres. Car c'est r茅ellement un de vos meilleurs livre, et c'est dans l'absolu un livre excellent. Il me semble que je ne vous l'ai pas assez dit. Or, nous avons tous int茅r锚t 脿 ce que la France malheureuse en ce moment donne, quand elle le peut, sa mesure. Et elle vient de le faire gr芒ce 脿 vous. Merci donc. 禄 (p. 136)

聽[Lettre du 26 mars 1952] 芦 Mon cher Fran莽ois, vous avez certes bien fait d'茅clairer votre position et m锚me de vous avoir d茅fendu aux derni猫res pages du livre [骋补濒颈驳补茂]. Mais quoi! Le roman n'est pas l'essai. Quand vous prenez votre bonne plume de narrateur, votre devoir est de chercher l'homme et non pas de faire l'apolog茅tique. Votre devoir est de peindre l'homme et les moeurs, de faire sentir l'茅ternel 脿 travers l'anecdote et malgr茅 l'anecdote. Vous avez, une fois de plus, suivant votre instinct de grand artiste, fait ce que nous attendions de vous. 禄 (p. 220)