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Villiers de l'Isle-AdamAuguste de Villiers de L'Isle-Adam

(1838-1889)

Dossier

Le roman selon Villiers de L'Isle-Adam

Villiers de l'Isle-Adam : L'arme romanesque, par Timothée Tramblay, juin 2022

Introduction : Le vrai du faux.

Monsieur Redoux, hĂ©ros d’une nouvelle d’Auguste de Villiers de l’Isle-Adam[1], en voyage Ă  Londres et surpris par une averse, se rĂ©fugie dans un musĂ©e de cire. Au fond de l’une des piĂšces peuplĂ©es de simulacres trĂŽne la guillotine utilisĂ©e pour la dĂ©capitation de Louis XVI. En bon bourgeois fascinĂ© par la rĂ©volution, Redoux se laisse prendre par une lubie, celle d’éprouver ce que le roi sentit en ses derniers instants. Ce dĂ©sir crĂ©e une situation oĂč le vrai et le faux s’entrelacent. Redoux se fait d’abord statue de cire afin de tromper les employĂ©s et rester seul passĂ©e la fermeture du musĂ©e. Une fois les lumiĂšres Ă©teintes, l’endroit vide, il redevient homme, se couche sur la bascule de la guillotine, glisse son col sous la lame. LĂ , il se figure ĂȘtre roi dĂ©chu, au seuil d’une mort donnĂ©e par l’injustice humaine. L’illusion est douce, mais de courte durĂ©e. Un mouvement du faux condamnĂ© et la lunette de la guillotine se bloque. Monsieur Redoux est coincé  La machine est vieille, son bois, pourri, si le mĂ©canisme de la lunette peut se bloquer, alors, la lame, tomber ? Monsieur Redoux connaĂźt dĂšs lors une vĂ©ritable angoisse de mort. Il n’ose remuer de peur d’activer la machine lĂ©tale ; l’horreur semble Ă©ternelle. Ses cheveux blanchissent, il fait une syncope. Lorsque le lendemain il se rĂ©veille de sa fausse mort, mais de sa vĂ©ritable agonie, les employĂ©s du musĂ©e lui apprennent qu’en fait la guillotine Ă©tait dĂ©sarmĂ©e.

Cette nouvelle est Ă  l’image de l’Ɠuvre de Villiers, qui, se tenant Ă  la lisiĂšre du simulacre et du rĂ©el, cherche souvent Ă  montrer la vĂ©ritĂ© que porte l’illusion. Une façon de faire qui se transpose dans le mythe qu’il Ă©difie entourant sa personne et son Ɠuvre. Influence majeure du symbolisme, grand ami de MallarmĂ©, sa personne est, en son temps, lĂ©gendaire[2] et le secret le plus Ă©trange est gardĂ© autour de son Ɠuvre. La genĂšse de L’Ève future, l’un des deux seuls romans qu’a Ă©crits Villiers, n’échappe pas Ă  cette mystification. Un lord anglais dĂ©sespĂ©rĂ©, parce qu’amoureux de l’apparence d’une femme idiote, et Thomas Edison qui lui crĂ©e une femme artificielle ayant la beautĂ© de celle-ci, l’ñme de celui-lĂ , forment, grossiĂšrement rĂ©sumĂ©es, les prĂ©misses du roman. Robert du Pontavice de Heussey, ami et premier biographe de Villiers, rapporte son tĂ©moignage quant Ă  ce qui motiva la rĂ©daction de L’Ève future. Un noble anglais « tristement beau[3]», que Villiers a rencontrĂ© dans un cafĂ©, aurait Ă©tĂ© retrouvĂ© mort, suicidĂ©, en compagnie d’une poupĂ©e de cire « modelĂ©e par un grand artiste, [qui] Ă©tait Ă  l’effigie d’une jeune fille de Londres, fort connue pour sa fulgurante beautĂ©[4] ». Cette anecdote est par trop ressemblante Ă  l’intrigue du roman qu’elle a supposĂ©ment inspirĂ© pour l’avoir rĂ©ellement prĂ©cĂ©dĂ©. La critique d’ailleurs ne s’y trompe pas[5]. La pratique romanesque de Villiers est comme voilĂ©e d’un mystĂšre, qui persiste d’autant plus que ses romans sont rares.

Comme ce fut dit, Villiers n’a publiĂ© que deux romans. Le premier Isis (1862) a eu un si petit tirage que, du vivant de l’auteur, c’est Ă  peine s’il a existĂ©[6] et les dĂ©tails de sa composition demeurent inconnus[7]. Son second roman, L’Ève future, est d’abord publiĂ© en feuilleton sous le titre de L’Ève nouvelle au dĂ©but des annĂ©es 1880. Le livre ne sera dĂ©finitivement achevĂ© qu’en 1886, annĂ©e de sa parution en volume. Au cours de cette mĂȘme dĂ©cennie, Villiers produit Ă©normĂ©ment de contes et de nouvelles, publiĂ©s dans divers journaux et revues. Avec L’Ève future, ces courts rĂ©cits constituent l’essentiel de l’Ɠuvre de l’écrivain aujourd’hui encore lue. Ses piĂšces de thĂ©Ăątre, auxquelles il a consacrĂ© la majeure partie de son activitĂ© ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đ, sont de nos jours presque oubliĂ©es.

Sur cette maigre production romanesque, l’écrivain ne laisse aucune explication ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đ, esthĂ©tique ou mĂȘme philosophique. Il est, de toute façon, trĂšs peu prolixe en ce qui concerne son activitĂ©. Alan Raitt, spĂ©cialiste de Villiers de l’Isle-Adam, l’affirme : « Il ne prenait aucun plaisir Ă  parler de la littĂ©rature en termes gĂ©nĂ©raux et mĂȘme la discussion des Ɠuvres particuliĂšres semble l’avoir ennuyĂ©[8]. » Et lorsque le critique et essayiste italien Vittorio Pica prie l’auteur de L’Ève future de lui donner des renseignements et des « indiscrĂ©tions sur [sa] personne et surtout sur [son] esthĂ©tique particuliĂšre[9] », en vue d’une Ă©tude sur la littĂ©rature française contemporaine, il sait qu’un tel don est improbable, puisque l’entourage de Villiers lui a dĂ©jĂ  fait comprendre qu’il ne fallait rien espĂ©rer de sa part ; pas mĂȘme « l’ombre d’une lettre[10] ». Villiers ne lui a apparemment pas rĂ©pondu. Au-dessus de ce tĂȘtu silence, de ce secret entretenu, plane un mĂ©pris possible pour le genre. Dans ses mĂ©moires, le directeur de La Revue contemporaine, Adrien Remacle, rapporte une supplique qu’il aurait tenue Ă  l’écrivain enfin d’en obtenir un roman :

Je vous en supplie, Villiers, faites, donnez-moi un roman. Je sais : vous m’avez dit que, sauf accidents de Flaubert, Balzac, l’abbĂ© PrĂ©vost, il n’existe pas de romans : que, plus vieux, łąâ€™AČőłÙ°ùĂ©±đ n’est que dialogues – bavardage d’enrubannĂ©e sentimentalitĂ© ; que tous les autres romans ne sont que dĂ©layages psycho-pauvres et tireurs Ă  la ligne, nouvelles ou contes, anecdotes distendues aux proportions d’un volume, qu’il n’existe que le conte alerte, simple, ou au contraire condensĂ©, Ă©vocateur et bref, terreurs, coups de passion ou drolatiques. Je sais ; pourtant[11] ?

Certes, pourtant ? N’en demeure pas moins que Villiers a Ă©crit deux romans. Que la conversation rapportĂ©e ci-haut ait ou non eu lieu, que les opinions exprimĂ©es de la sorte soient ou non vĂ©ritablement celles de l’écrivain, cela importe peu ; il faut en retenir que le roman de Villiers de l’Isle-Adam demeure un fait anomique. L’un des objectifs de ce travail sera de comprendre le pourquoi de cette raretĂ©. Un autre, sera d’approcher l’entremĂȘlement du vrai et du faux dans les propos de l’écrivain sur son Ɠuvre afin d’éclaircir son idĂ©e du roman, qui, Ă  premiĂšre vue, baigne dans le brouillard.

Par oĂč commencer ? Villiers n’aborde presque jamais le roman dans ses Ă©crits ; il se concentre principalement sur la poĂ©sie, et de l’Ɠuvre d’un romancier comme Flaubert, par exemple, il ne traite que des piĂšces de thĂ©Ăątre[12]. S’il y a impasse sur le plan critique, les commentaires de l’écrivain sur son ethos, quant Ă  eux, offrent une avenue possible.

Dans un texte non publiĂ©, « Gentilhomme de la plume », Villiers distingue deux types d’aristocrates : le mondain, passant pour esprit pragmatique, qui joue, qui paraĂźt, qui dĂ©pense en somme[13]. « Et, l’autre, le gentilhomme pour de vrai, qui travaille, lutte, s’efforce, grandit, s’anoblit encore[14] ». Le premier est un ĂȘtre considĂ©rĂ© par ses pairs, passe pour sĂ©rieux, le second, non. Au bout du compte, « le rĂ©sultat du sĂ©rieux, du pratique et du positif – est de pousser une carte biseautĂ©e de connivence avec un domestique[15] » ; la basse intrigue donc, alors que l’autre « arrive, malgrĂ© toutes les Ă©preuves, Ă  doter son pays d’un ou de plusieurs nobles livres[16]. » L’aristocratie a deux faces, l’une est frivole et purement apparente, l’autre, cachĂ©e et honnie, est dotĂ©e d’une vĂ©ritable noblesse morale ; elle seule parvient Ă  faire Ɠuvre. Cette double identitĂ© au sein d’un terme unique est une constante dans l’Ɠuvre de Villiers[17], et c'est par elle que peut ĂȘtre dĂ©crite son activitĂ© de romancier.

L’Ève future a un double dĂ©dicataire ; le roman s’adresse Ă  la fois aux « rĂȘveurs » et aux « railleurs[18] ». Ce sont lĂ  les deux facettes de la pratique romanesque de Villiers selon Remy de Gourmont : « [il] y avait en lui deux Ă©crivains essentiellement dissemblables : le romantique et l’ironiste[19] ». Le premier se sert du rĂȘve et le second de la raillerie, et l’un aprĂšs l’autre, ils guideront notre propos. À commencer par l’ironiste.

Le railleur : OĂč l’on part en reconnaissance.

Villiers, dans une lettre Ă  Huysmans devenue cĂ©lĂšbre, Ă©tablit le « menu de la conversation[20] » d’un souper Ă  venir avec LĂ©on Bloy et possiblement MallarmĂ©. À ce banquet d’idĂ©es, Villiers s’octroie le troisiĂšme service : « Ananas, ressassĂ©s et recuits dans leurs jus, sauce aux conserves de 1840, par l’éminent professeur Villiers, docteur Ăšs frivolitĂ©s ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đs, journaliste sans portefeuille, grand dĂ©verseur de malices cousues de fil noir[21]. » Cette Ă©numĂ©ration, sous ses allures fanfaronnes, n’a pas la lĂ©gĂšretĂ© qu’elle fait mine d’avoir. Le fait qu’il s’autoproclame « docteur Ăšs frivolitĂ©s ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đs » montre assez que l’écrivain considĂšre lui-mĂȘme ĂȘtre de ces « railleurs » auxquels il adresse L’Ève future. Il reconnaĂźt aussi, si ce n’est son propre archaĂŻsme – « sauce aux conserves de 1840 » – du moins un parti pris romantique omniprĂ©sent dans sa pensĂ©e de l’art. Il faut peut-ĂȘtre surtout noter le « journaliste sans portefeuille », qui fait de la donnĂ©e Ă©conomique une part essentielle de son ethos d’écrivain et de sa pratique.

La vie de Villiers en est une de misĂšre matĂ©rielle[22] et la question pĂ©cuniaire est son obsession. Sa correspondance en est pleine. C’est Ă  croire que si elle est presque dĂ©charnĂ©e de rĂ©flexions sur l’art et la littĂ©rature, c’est parce qu’elle a pour fonction de faire les comptes. Mais, au centre des emprunts et des remboursements qui composent sa correspondance, percent les alĂ©as Ă©ditoriaux de Villiers et les soubresauts d’une Ɠuvre en partie dĂ©terminĂ©e par les contingences matĂ©rielles. C’est l’argent qui porte la grande production de nouvelles et de contes de Villiers, comme il l’expose dans une lettre oĂč il refuse la proposition du romancier Gabriel Mourey de prĂ©facer une Ă©dition des PoĂ©sies complĂštes d’Edgar Poe. Cette prĂ©face, dit-il, lui coĂ»terait douze jours :

En douze jours, je puis Ă©crire deux nouvelles, lesquelles me sont payĂ©es, chacune, une moyenne de 150 francs, prix que doublent les reproductions. De plus, en dehors de la grande publicitĂ© des journaux, elles servent Ă  mon Ɠuvre, si peu qu’elle soit[23].

L’admiration qu’éprouve Villiers pour Poe, « ce noble mort de faim[24] », et duquel il s’inspire sans se cacher[25], ne suffit pas Ă  lui faire dĂ©laisser ses nouvelles. Or, bien qu’elles servent son « Ɠuvre », la question monĂ©taire prime au point oĂč l’auteur se refuse Ă  les publier s’il considĂšre qu'on le floue. Au directeur de revue Adrien Remacle, il impose ses conditions pour l’envoi d’une nouvelle : « mon cher ami, je ne PUIS pas vous la donner Ă  moins d’un bon prix et le plus comptant le plus vite possible[26]. » L’attitude franchement intĂ©ressĂ©e de l’écrivain, justifiĂ©e en partie par une notoriĂ©tĂ© naissante dans le courant des annĂ©es 1880, est parĂ©e par ses soins d’une aura de noblesse qui fait naĂźtre et entretient ses embarras Ă©ditoriaux. Ainsi refuse-t-il de soumettre ses Ă©crits Ă  l’autoritĂ© en la matiĂšre :

Il m’est impossible de conclure une affaire avec M. Stock, du moment oĂč il veut me lire. Je puis, commercialement, dĂšs aujourd’hui, rĂ©pondre de la vente d’au moins deux Ă©ditions Ă  1.000, de tout volume que je signerai. Je trouve donc oiseux de “soumettre” un manuscrit Ă  un Ă©diteur quel qu’il soit. Je crois avoir passĂ© l’ñge de ces folies. Je vends Ă  l’édition, et je livre un manuscrit contre argent et traitĂ© ; voilĂ  tout. [
] Ces gens-lĂ  sont des imbĂ©ciles, qui s’imaginent, parce qu’on le leur a cornĂ© aux oreilles, que je ne parle pas Ă  la foule [
]. Eh bien, je n’ai pas le temps de discuter avec de tels cerveaux. Bonsoir[27].

De « tels cerveaux » qualifie un type de lecteurs, car le monde Ă©ditorial est, au fond, un certain public incapable aux yeux de Villiers d’apprĂ©cier adĂ©quatement son Ɠuvre, et qui, au mieux, peut sortir son portefeuille et payer ; donner « argent et traitĂ© ».

Que la situation matĂ©rielle de Villiers soit due, ou non, Ă  une vĂ©ritable mĂ©prise sur son Ɠuvre n’est pas rĂ©ellement important, ce qui compte, c’est la façon avec laquelle il l’excuse. Le travail minutieux, l’attention au dĂ©tail, le mot prĂ©cisĂ©ment choisi serviront Ă  justifier sa situation ; la vĂ©tille est son caprice. Lorsqu’est changĂ© le titre du Secret de l’ancienne musique, nouvelle devant ĂȘtre publiĂ©e dans un recueil oĂč elle aurait Ă©tĂ© intitulĂ©e Le chapeau chinois, il s’emporte :

Je n’écris pas des dictĂ©es ; je n’accepte les conseils de personne. Tant pis pour moi, soit ! mais c’est ainsi. Ce que je fais est dĂ©finitif et on doit le lire comme je l’écris. Il me semble que j’ai assez subi d’infamies pour ne pas avoir droit Ă  celle d’ĂȘtre “corrigĂ©â€ par le premier venu.

Je n’aime pas le ČőłÜłŠłŠĂšČő et je n’en veux sous aucun prĂ©texte, s’il faut l’acheter Ă  ce prix, d’écrire ou de signer des farces de foire qui sont ou peuvent ĂȘtre seulement bouffonnes[28].

« Farces de foire » ; voilĂ  ce qu’évite supposĂ©ment Villiers et cause son infortune. Mais, la formulation dĂ©signe, en fait, un corps institutionnel plus qu’un genre d’Ɠuvres ; il vise Ă©diteurs et public, congĂ©nĂšres de ces « cerveaux » avec lesquels il se refuse toute discussion. Il a pourtant besoin de leur appui, et la situation conflictuelle dans laquelle se trouve Villiers, qui a pour vecteur le lectorat, est pleinement exprimĂ©e dans une lettre qu’il adresse Ă  MallarmĂ©, oĂč il lui demande une contribution Ă  sa revue nouvellement fondĂ©e, la Revue des Lettres et des Arts. Il spĂ©cifie : cette contribution ne pourra ĂȘtre publiĂ©e qu’aprĂšs la parution du premier numĂ©ro, question d’avoir prĂ©alablement appĂątĂ© des abonnĂ©s :

Vous savez qu’aussitĂŽt que nous aurons quelques abonnements, il faudra affoler le lecteur, et nous avons fondĂ© sur vous nos principales espĂ©rances pour arriver Ă  ce rĂ©sultat et le parachever. Quel triomphe, si nous pouvions envoyer Ă  BicĂȘtre quelque abonnĂ©[29] !

Contre le public, Villiers ne se fait pas uniquement mĂ©prisant, il mĂšne une offensive. Dans cette mĂȘme lettre, il s’enorgueillit de l’une de ses avancĂ©es : « je me flatte d’avoir enfin trouvĂ© le chemin de son cƓur, au bourgeois ! Je l’ai incarnĂ© pour l’assassiner plus Ă  loisir et plus sĂ»rement[30]. » L’incarnation du bourgeois dont il est question, c’est l’un des personnages de Villiers, Tribulat Bonhomet.

Dans une autre lettre Ă  MallarmĂ©, datant d’un an avant celle citĂ©e ci-haut, Villiers dĂ©taille le fruit de son plus rĂ©cent travail de « vengeance », duquel est nĂ© Bonhomet. Cette lettre a la particularitĂ© de porter sur un « roman », qui passe aujourd’hui pour nouvelle :

Claire Lenoir, un roman terminĂ©, va paraĂźtre dans l’ɱèŽÇ±çłÜ±đ. [
] Claire Lenoir et Yseult sont des contes terribles Ă©crits d’aprĂšs l’esthĂ©tique d’Edgard [sic] Poe. Et j’ai obtenu de tels ČőłÜłŠłŠĂšČő de fous-rires chez Leconte de Lisle [
] que j’ai bon espoir. Le fait est que je ferai du bourgeois, si Dieu me prĂȘte vie, ce que Voltaire a fait des “clĂ©ricaux”, Rousseau des gentilshommes et MoliĂšre des mĂ©decins. [
] Vous verrez mes types, Bonhomet, Finassier et Lefol : je les Ă©namoure et les cisĂšle avec toute ma complaisance. Bref, je crois que j’ai trouvĂ© le dĂ©faut de la cuirasse et que ce sera inattendu[31].

Claire Lenoir est une nouvelle assez volumineuse[32], mais peut-ĂȘtre que si Villiers en fait un roman, ce n’est pas en raison de sa taille, mais parce qu’elle porte avec elle des caractĂ©ristiques propres aux potentialitĂ©s du genre. Ce qui est sĂ»r, c’est que ce « roman » a pour centre Tribulat Bonhomet qui en est le narrateur et seul type citĂ© ci-haut Ă  avoir acquis une certaine renommĂ©e. OpportunĂ©ment, le personnage exprime, dans Claire Lenoir, des opinions sur la littĂ©rature, qui peuvent permettre d’établir une sorte de portrait nĂ©gatif des opinions de Villiers, considĂ©rant l’importance que celui-ci lui accorde. Sans compter qu’il s’agit de l’un des seuls endroits oĂč l’écrivain s’étale sur le genre romanesque.

Homme grossiĂšrement matĂ©rialiste, spĂ©cialiste des « Infusoires[33] », infatuĂ© de science et de lui-mĂȘme, et dont la carte de visite a pour seule adresse « Europe[34] » ; Tribulat Bonhomet est une caricature. Il profite d’une soirĂ©e en compagnie du couple Lenoir pour exposer ses vues ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đs et Ă©tablir les critĂšres que doit respecter une grande Ɠuvre. D’abord, au point de vue matĂ©riel, un homme comme Bonhomet n’achĂšte que d’un auteur prolifique qui a « gagnĂ© dĂ©jĂ  son pesant d’or avec ses livres : – ce qui est, pour [lui], comme pour les gens incapables de se repaĂźtre de mots, la meilleure des recommandations[35]. » DĂ©sarmĂ© devant l’opacitĂ© du mot, Bonhomet doit trouver une mesure quantifiable pour Ă©valuer le livre ; incapable de juger la qualitĂ© d’un Ă©crit, il jauge son poids en or. Sur le fond, il exprime son admiration pour un romancier, qu’il ne nomme pas, dont le talent consiste « [a] frapper l’imagination du lecteur par un enchaĂźnement de pĂ©ripĂ©ties Ă©mouvantes – et logiques[36] ! » Une trame bien ficelĂ©e est riche en surprises, et les personnages de cet Ă©crivain cĂ©lĂšbre ont pour force, primordiale, de ne mourir « au recto que pour ressusciter au verso[37]. » Le nom d’un de ces personnages « solides comme du bois » est donnĂ© un peu plus bas : Rocambole[38]. Sans surprise, le roman-feuilleton, ici celui de l’écrivain populaire Pierre Alexis de Ponson du Terrail, est l’objet de la moquerie de Villiers, Ă  travers l’admiration de Tribulat. Mais Rocambole n’est pas parfait pour le narrateur, il a le dĂ©faut d’ĂȘtre « quelquefois, peut-ĂȘtre, un peu – mĂ©taphysique
 [
] un peu trop dans les nuages, comme le sont, malheureusement, tous les poĂštes[39]. » L’imperfection du personnage mĂšne Ă  une constatation, qui fait s’écrier Bonhomet :

Ah ! quand viendra-t-il donc un Ă©crivain qui nous dira des choses vraies ! – des choses qui arrivent ! – des choses que tout le monde sait par cƓur ! qui courent, ont couru et courront Ă©ternellement les rues ! des choses SÉRIEUSES, enfin ! Celui-lĂ  sera digne d’ĂȘtre estimĂ© du Public, puisqu’il sera la Plume-publique[40].

Qu’est-ce donc que le besoin de dire du nouveau ? La seule chose qui doit ĂȘtre sue, c’est celle que l’on sait dĂ©jĂ . C’est dans l’évidence du bon sens que rĂ©side le seul sĂ©rieux possible, la rĂ©alitĂ© vraie et la bonne littĂ©rature pour Bonhomet. Inversement, tout ce qui est teintĂ© de mystĂšre et d’insolite, comme les Contes extraordinaires de Poe, relĂšve du « dernier mot du banal ». Ce titre n’a d’ailleurs d’autre fonction que de « piquer la curiositĂ© du vulgaire[41]. »

L’ironie des traits de l’écrivain, la couleur des mots dont use son personnage tracent le dessin d’une charge, l’esquisse d’un ordre de bataille contre le mercantilisme et le rĂ©alisme en littĂ©rature, les deux faces d’une mĂȘme petitesse. Le rĂ©alisme est d’ailleurs fortement attaquĂ© par Villiers dans certains Ă©crits, le plus souvent restĂ©s impubliĂ©s de son vivant et oĂč la question ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đ n’est pas toujours abordĂ©e frontalement.

Le recueil d’articles divers Chez les passants, paru de maniĂšre posthume, comporte un texte intitulĂ© « Le RĂ©alisme dans la peine de mort ». Le retrait de l’échafaud lors des exĂ©cutions de criminels est le point de dĂ©part de la rĂ©flexion de Villiers. Ce retrait, pour lui, est indigne ; la guillotine posĂ©e au sol « pourrait servir Ă  couper le pain chez les grands boulangers[42]. » Donner la mort Ă  mĂȘme la terre, c’est donner libre cours au mĂ©pris, spĂ©cifique d’un « peuple d’hommes d’affaires[43] », Ă  l’endroit de plusieurs idĂ©es : « La Loi, la Nation, l’HumanitĂ© et la Mort[44] ». La justice est Ă©videmment celle qui pĂątit le plus de cette disposition : elle « a l’air de parler argot [
] ; elle ne dit pas : Ici l’on tue ; mais Ici l’on rogne[45]. » Le rĂ©alisme est apparemment composĂ© non seulement des vĂ©ritĂ©s qui « courent les rues », mais aussi des paroles qui y sont entendues. Le fossĂ© qui sĂ©pare la littĂ©rature roturiĂšre, qui a du ČőłÜłŠłŠĂšČő, d’un art noble, celui des idĂ©es, se creuse notamment Ă  partir d’une diffĂ©rence au sein du langage.

Car c’est bien une certaine parole, l’idiome d’un groupe ou d’un type prĂ©cis, que Villiers refuse lorsqu’il s’attaque au rĂ©alisme dans la littĂ©rature, qui a deux ramifications : les Ă©crivains rĂ©alistes proprement dit, croyant faire de l’art, opportunistes malgrĂ© eux, et les marchands qui profitent des premiers et flouent le public. Villiers appelle ces Ă©crivains les « Provinciaux de l’esprit[46] ». Le fragment portant ce titre est une invective plus qu’une rĂ©flexion proprement dite. Il s’ouvre par ces mots : « Les “rĂ©alistes” sont des gens heureux et qui s’aiment entre eux[47] ». Le ton est acide et farcesque, mais, outre les insultes dirigĂ©es en grande partie contre le poĂšte BĂ©ranger, le texte se conclut par quelques lignes rĂ©vĂ©latrices, de prime abord cryptiques, qui intĂ©resseront notre propos par la suite : « [les rĂ©alistes] ont raison comme le fossoyeur a raison. Ils ont beau fouetter leurs rosses noires, ils n’arriveront jamais qu’au cimetiĂšre. Nous connaissons les cimetiĂšres aussi bien qu’eux, mais nous connaissons autre chose aussi, qu’ils ignorent Ă  jamais[48]. »

Le fragment qui suit immĂ©diatement dans l’édition de la PlĂ©iade cet obscur propos Ă©claire en apparence ce que Villiers entend avec son lexique morbide. Cette fois, ce sont les marchands qu’il vise et leur approche mercantile de la littĂ©rature, chargĂ©e d’un vocabulaire et d’une syntaxe qui est celle des « Placiers de mots[49] ». « Leur Ɠil, dit Villiers, s’ils lisent un chef-d’Ɠuvre, pour essayer d’en piller les scintillements et d’en dĂ©marquer les Ă©clairs, ne diffĂšre pas de l’Ɠil du DĂ©crochez-moi ça regardant quelque ancienne Ă©pĂ©e hĂ©roĂŻque[50]. » Le regard mercantile est avant tout un langage, qui place les mots comme on place des objets dans une vitrine[51], au profit de la mode et du mĂ©diocre, au dĂ©triment d’un idĂ©al de noblesse. Est ainsi tuĂ©, de fait, le « vivant du livre[52] ». Comment peut-on « tuer » un livre ? Ailleurs Villiers Ă©crit : « Quand vous avez tuĂ© la valeur d’un mot pour vous avec la monnaie de ce mot, ne vous Ă©tonnez plus d’en rire[53]. » Les mots qui font gagner de l’argent, ceux qui circulent largement ; les mots monnayĂ©s sont des mots morts. Et le railleur, Ă  dĂ©faut de pouvoir les revivifier, rit devant la fosse oĂč ils gisent.

On comprend un peu mieux en quoi Villiers est un « railleur » ; de quoi il se moque et comment il le fait. Ce dont il use, et ce qu’il attaque ce faisant, ce sont les mots d’autrui, en tant qu’ils sont dĂ©vidĂ©s de leur sens, marchandĂ©s comme des biens, privĂ©s de toute force. La figure de Tribulat Bonhomet concentre en elle toutes les phrases qui sont, pour Villiers, stĂ©rilisĂ©es et qui font le commun. Pour s’en assurer, il faut se reporter Ă  la « Profession de foi » du personnage, qui n’a pas Ă©tĂ© publiĂ©e du vivant de son crĂ©ateur : « Que celui qui me trouvera exagĂ©rĂ© sache bien que moi, Bonhomet, je ne suis autre que lui-mĂȘme. Je ne rougis que d’une chose : c’est de me voir si banal, si profondĂ©ment banal[54]. » Banal, il l’est dans son discours, grĂące auquel tout lecteur commun est censĂ© se reconnaĂźtre comme tel :

Je suis l’examen de conscience gĂ©nĂ©ral. On ne m’échappe pas. Si. Par la priĂšre, et la foi, et le dĂ©sintĂ©ressement. Mais il y a un par millions qui ne limitera la vĂ©ritĂ© de cette phrase Ă  un “effet” ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đ. Qu’on ne dise pas : “Comment voit-il donc l’humanitĂ© ?” Celui qui dit cela est Bonhomet lui-mĂȘme. Il perd son bruit de langue[55].

Le lieu commun, mais aussi le cynisme d’une littĂ©rature dont la vĂ©ritĂ© passe pour simple « effet » ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đ, Ă©quivalent Ă  la perte du « bruit de langue », Ă  l'absence de mots vĂ©ritables, devenus, en leur sein, une chose inerte. Bonhomet est l’incarnation d’une parole morte, qui doit faire rire. Mais alors une question simple vient Ă  l’esprit : comment une parole « vivante » peut-elle s’éviter le cimetiĂšre mercantile ?

Une partie de la rĂ©ponse se trouve Ă©videmment du cĂŽtĂ© de celui qui Ă©nonce une vĂ©ritĂ© vivante, le « gĂ©nie » sur lequel on reviendra, et l’autre se situe, Ă©tonnement, du cĂŽtĂ© du public. À son endroit, Villiers fait montre d’une ambivalence singuliĂšre. Le public est bel et bien composĂ© de ce lecteur bourgeois, dont il faut Ă©branler la raison commune jusqu’à l’envoyer Ă  BicĂȘtre, mais il est aussi, pour l’auteur de L’Ève future, constituĂ© de la « Foule » dotĂ©e d’une sorte de sagesse surplombante qui en fait la seule arbitre lĂ©gitime d’une Ɠuvre ; ses dĂ©crets sont irrĂ©vocables et par essence justes. C’est de la sorte, du moins, qu’il la prĂ©sente dans l’« Avant-propos » de sa piĂšce de thĂ©Ăątre La RĂ©volte :

la Foule, juge tardif, mais seul juge, – car on ne doit Ă©crire que pour le monde entier, – s’apercevra brusquement du but que poursuivent les deux ou trois incapables qui la bafouent, la mĂ©prisent et la trompent ! Ils nous disent [
] : “Le Public ne vous comprendra pas !...” [
] Mais, rĂ©veillĂ©e de leurs soi-disant “jugement”, la Foule haussera bientĂŽt ses vastes Ă©paules, et il leur deviendra plus difficile, alors, de paralyser łŸČčłÙĂ©°ùŸ±±đ±ô±ô±đłŸ±đČÔłÙ toute tentative gĂ©nĂ©reuse et haute de ceux-lĂ  seuls qui, de tout temps, furent les CrĂ©ateurs de l’Art et non ses valets[56].

Les « deux ou trois incapables » dont il est ici question dĂ©signent Ă©videmment la classe marchande-Ă©ditoriale. Les « placiers de mots », n’ayant que leurs propres intĂ©rĂȘts en vue, qui inventent et publicisent une langue morte, ridicule, et qui ne s’appuient sur rien si ce n’est des idĂ©es prĂ©conçues. Les difficultĂ©s matĂ©rielles de Villiers s’expliquent par le fait qu’on parle au nom de, mais surtout par-dessus la foule ; qu’on lui propose des livres dont elle ne veut pas. Pourtant, elle seule est reine et, si le bourgeois peut nuire sur le plan matĂ©riel au « gĂ©nie », il ne peut lui retirer la gloire qu’il obtiendra un jour ou l’autre, parce qu’elle lui revient de droit.

II. La charge romanesque : OĂč l’on assiĂšge « les citadelles du RĂȘve ».

Villiers de l’Isle-Adam est de ceux qui ont des choses Ă  dire. Mais rien n’est plus malaisĂ© pour lui que de le faire, comme il l’indique Ă  MallarmĂ© dans une lettre dĂ©jĂ  citĂ©e : « je ne puis m’exprimer que par gloussements informes qui n’ont aucun rapport avec les nuits idĂ©ales sans bornes et incrĂ©Ă©es que j’ai l’honneur de porter dans le cƓur de mon cƓur[57] ». La difficultĂ© qu’éprouve Villiers Ă  s’exprimer, la recherche dans l’écriture, ne doit pas ĂȘtre Ă©trangĂšre, et le fait qu’il qualifie ses nuits d’« idĂ©ales » renforce cette impression, Ă  l’abstraction constitutive de son Ɠuvre. L’égyptologue EugĂšne LefĂ©bure, dans une lettre Ă  MallarmĂ©, mentionne bien, Ă  propos du roman Isis, que pour Villiers « la poĂ©sie et la philosophie [sont] la mĂȘme chose[58] ».

Justement, Isis, son premier roman, a pour dĂ©dicace un court texte rĂ©vĂ©lateur. Cette « Ă©tude[59] » est dĂ©diĂ©e Ă  son ami Hyacinthe du Pontavice de Heussey. Villiers y indique qu’« Isis est le titre d’un ensemble d’ouvrages qui paraĂźtront [
] Ă  courts intervalles : c’est la formule collective d’une sĂ©rie de romans philosophiques ; c’est l’x d’un problĂšme et d’un idĂ©al[60] ». Villiers conclut par cette Ă©nigmatique annonce : « L’ƒuvre se dĂ©finira d’elle-mĂȘme, une fois achevĂ©e[61]. » Or l’Ɠuvre ne sera pas achevĂ©e. Isis n’a qu’un seul tome. Il faut retenir de cette dĂ©dicace que le roman offre apparemment une dimension supplĂ©mentaire Ă  la poĂ©sie ou encore au thĂ©Ăątre, auxquels Villiers accorde gĂ©nĂ©ralement plus d’importance. Une spĂ©cificitĂ© qui rĂ©side implicitement dans le qualificatif d’« Ă©tude ».

Cette dimension supplĂ©mentaire se laisse voir dans une lettre adressĂ©e Ă  MallarmĂ© oĂč Villiers use du terme « romanesque » Ă  titre d’image. Alors qu’il se trouve Ă  Londres pour un obscur mariage avec une riche hĂ©ritiĂšre, il vit, raconte-t-il, « l’aventure la plus romanesque, dans toute l’acception du terme, » de son existence[62] ; lui, « le RĂȘve » y devient « l’Action mĂȘme[63] ». Le pĂšre de la femme que Villiers souhaite Ă©pouser la tient prisonniĂšre et la voue Ă  un autre, pour lequel elle n’éprouve aucune attirance. Le couple illĂ©gitime fomente alors un plan d’évasion : « nous attendrons tout bonnement un soir l’ombre, et je l’enlĂšverai dans le brouillard. Nous en sommes convenus[64] ». Sans considĂ©rer cette lettre, manifestement hyperbolique, comme une rĂ©flexion sur le romanesque, l’application du mot en guise de mĂ©taphore est significative. Il met en rapport deux termes : le « rĂȘve » et « l’action ». MalgrĂ© leur opposition manifeste, peut-ĂȘtre faut-il la dĂ©passer et, plutĂŽt que de voir le romanesque comme un genre uniquement de rĂȘve, ou uniquement d’action, de le considĂ©rer comme l’espace oĂč le rĂȘve devient action.

Il y a, en tout cas, une prise en compte du « rĂ©el » qui ne peut pas ĂȘtre Ă©ludĂ©e dans le roman – ce que ne viendraient pas contredire les jugements que porte Tribulat Bonhomet et qui pourrait lier le silence de Villiers sur le genre Ă  son mĂ©pris du rĂ©alisme. Une prise en compte qui comporte certaines exigences nouvelles sur le plan de l’écriture. Dans l’une des deux lettres oĂč il fait mention de L’Ève future[65], Villiers affirme Ă  son ami Jean Marras : « pour la premiĂšre fois de ma vie, je n’y plaisante plus[66]. » Ce nouveau sĂ©rieux prend la forme d’une charge : « c’est un livre vengeur, brillant, qui glace et qui force toutes les citadelles du RĂȘve[67] ! » Villiers prĂ©cise : « jamais je ne me serais cru capable de tant de persĂ©vĂ©rance dans les analyses ! – de tant d’homogĂ©nĂ©itĂ© dans la composition, de tant d’imaginations Ă©tourdissantes[68] ». L’analyse bien dĂ©roulĂ©e, l’homogĂ©nĂ©itĂ© du tout, ce sont-lĂ  des Ă©lĂ©ments qui semblent aller de soi pour mener Ă  terme un roman. Il en va autrement des « imaginations Ă©tourdissantes » ; formulation qui est peu parlante, envisagĂ©e concrĂštement. Et ce n’est qu’au seuil de l’Ɠuvre elle-mĂȘme, dans l’« Avis au lecteur » de L’Ève future, qu’il est possible de toucher Ă  ce que l’auteur entend par lĂ .

Cet avis, tel que publiĂ©, est court. Il vise la rĂ©solution anticipĂ©e d’une possible confusion regardant l’un des protagonistes du roman, le savant Thomas Edison. Villiers cherche Ă  s’assurer que son personnage ne sera pas confondu avec le vĂ©ritable Thomas Edison, encore vivant en 1886, annĂ©e de publication de L’Ève future. L’avis au lecteur vise donc Ă  premiĂšre vue Ă  distinguer le vrai du faux, et se dĂ©cline en deux temps. D’abord, un constat sur celui qui inventa « quantitĂ© de choses aussi Ă©tranges qu’ingĂ©nieuses[69] » :

une LÉGENDE s’est [
] Ă©veillĂ©e, dans l’imagination de la foule, autour de ce grand citoyen des États-Unis. C’est Ă  qui le dĂ©signera sous de fantastiques surnoms, tels que le MAGICIEN DU SIÈCLE, le SORCIER DE MENLO PARK, le PAPA DU PHONOGRAPHE, etc., etc[70].

Est ainsi donnĂ© le destinataire de l’écrit, la foule, son seul juge, mais aussi le terrain de jeu du roman, et seul endroit oĂč il peut rejoindre son public, l’imaginaire. Cette notion, telle qu’utilisĂ©e dans l’avis, reconduit l’idĂ©e du double, dĂ©jĂ  rencontrĂ© Ă  propos de la foule et du mot. Il y a l’homme Edison et il y a son image lĂ©gendaire. DĂšs lors, rien n’empĂȘche de rĂ©cupĂ©rer qu’une seule de ces deux identitĂ©s, l’idĂ©ale plutĂŽt que la rĂ©elle ; de travailler sur un mythe vivant, qui l’est d’autant plus que sa source l’est aussi, vivante. Cet accaparement est le deuxiĂšme temps de la rĂ©flexion : « DĂšs lors, le PERSONNAGE de cette lĂ©gende, [
] n’appartient-il pas Ă  la littĂ©rature humaine[71] ? » OĂč commence et oĂč se termine la « littĂ©rature humaine » ? Le premier temps de l’« Avis » indique que c’est Ă  l’intĂ©rieur de l’« imaginaire », oĂč Villiers s’installe explicitement : « Il est ainsi Ă©tabli que j’interprĂšte une lĂ©gende moderne au mieux de l’Ɠuvre d’Art-mĂ©taphysique dont j’ai conçu l’idĂ©e, qu’en un mot le hĂ©ros de ce livre est, avant tout le “sorcier de Menlo Park”, etc[72]. »

Cette derniĂšre phrase clĂŽt l’avis. Mais considĂ©rant ce Ă  quoi s’adonne Thomas Edison dans le roman (crĂ©ation d’un automate quasi divin, magnĂ©tisme, sadisme passif et soliloques bizarres) la nĂ©cessitĂ© d’appuyer sur la distinction entre le personnage et l’homme est douteuse. Sous son intention explicite, le texte cache peut-ĂȘtre un autre enjeu, plus important pour Villiers et plus dĂ©terminant dans son Ɠuvre.

L’« Avis au lecteur », tel qu’envoyĂ© Ă  l’imprimeur avec le manuscrit de L’Ève future, Ă©tait beaucoup plus long. Une large part en a Ă©tĂ© retranchĂ©e Ă  la publication pour des raisons inconnues[73]. À la page publiĂ©e, s’ajoute, dans la version originale, un long dĂ©veloppement sur le rĂ©alisme scientifique du roman, autre source possible de quiproquos :

Je me trouvais [
] placĂ© dans cette alternative, ou, pour demeurer intelligible de la plupart des lecteurs mondains, de faire, scientifiquement, divaguer quelque peu le cĂŽtĂ© ingĂ©nieur de notre sorcier, – ou de quitter, brusquement, la plume, et, prenant la craie, de passer au tableau noir [
], de surcharger, des signes de l’“intĂ©grale”, des pages entiĂšres, enfin cesser d’ĂȘtre lisible pour le plus grand nombre[74].

Cette derniĂšre avenue dĂ©rangeait les plans de Villiers : « en procĂ©dant de cette maniĂšre, l’Ɠuvre cessait d’ĂȘtre ce que ma conception d’ensemble voulait ĂȘtre[75]. » La vraisemblance prime sur la rigueur scientifique, quoiqu’en pensent « certains benoĂźts lecteurs[76] ». Il ne s’agit donc par pour Villiers d’élaborer une anticipation scientifique, dont la rĂ©alisation future serait certaine, il cherche plutĂŽt Ă  induire une « impression » particuliĂšre chez le lecteur : « Lorsque l’exactitude du fond s’impose, Ă  tous, comme Ă©vidente, en tant que possible, – tout moyen de donner cette impression-lĂ , qui est la principale, me semble bon, me semble le meilleur[77] ». L’impression de vĂ©ritĂ©, comme possibilitĂ©, est prĂ©fĂ©rable Ă  une vĂ©ritĂ© rigoureusement Ă©tablie, quoiqu’incomprĂ©hensible pour le plus grand nombre.

C’est d’ailleurs l’idĂ©e centrale de sa critique de La tentation de Saint-Antoine de Flaubert. La force de l’Ɠuvre, selon Villiers, vient de la vraisemblance des tentations dĂ©moniaques Ă©prouvĂ©es par Saint-Antoine : « Le Diable de Gustave Flaubert est plus dangereux[78] » que « l’Enfer allumĂ© par Goya dans son terrible dessin ; car, au point de vue logique, on peut dire que jamais homme ne fut moins tentĂ© que Saint-Antoine, si le Diable ne lui a dĂ©pĂȘchĂ© que de pareilles visions pour le sĂ©duire[79]. » Il ne suffit pas d’énoncer une vĂ©ritĂ© brute, il faut que la vĂ©ritĂ© soit vraisemblable, croyable, au point qu’elle passe pour Ă©vidente. En ce qui concerne L’Ève future, Edison est, dans une certaine mesure, le cƓur de l’impression de vĂ©ritĂ© recherchĂ©e, d’une part parce qu’il existe rĂ©ellement, d’autre part parce que son discours rĂ©pond Ă  la « logique » de son statut imaginaire :

Si, donc, les solutions donnĂ©es sont plutĂŽt d’un enchanteur que d’un Ă©lectricien, n’ai-je pas Ă©tĂ© logique en ceci, puisque ces solutions (d’ailleurs curieuses, qu’il me soit permis de le dire !), sont prĂ©cisĂ©ment conformes Ă  la nature du lĂ©gendaire Magicien qui les expose, comme en une sorte de rĂȘve clairvoyant[80] ?

Villiers fait du statut imaginaire de son personnage une rĂ©alitĂ© Ă  part entiĂšre, qui porte avec elle sa vraisemblance. Si la rĂ©el et l’imaginaire sont des territoires dĂ©finis, alors Edison occupe la frontiĂšre, et en efface le tracĂ©. Il conjoint la rĂ©alitĂ© et l’illusion, le vrai et le faux. Peut-ĂȘtre est-ce de cette façon que Villiers assiĂšge le « RĂȘve ». Mais comment ce brouillage s’effectue-t-il ? Par les mots, l’exposition du « rĂȘve clairvoyant » que porte le personnage.

Par deux fois en ce texte Villiers martĂšle l’importance des mots dont il se sert. D’abord pour faire taire les « cuistres et savantasses qui [
] pourraient trouver Ă  reprendre, en telle ou telle expression scientifique », puisqu’il s’en est « servi exprĂšs dans telle acception nouvelle[81] ». Ensuite, il justifie ce qu’on peut appeler sa dĂ©bauche typographique : « l’usage que j’ai choisi d’un certain ton [
] – mon soulignage extraordinaire de mots et mon luxe exagĂ©rĂ© de capitales ; – (Ă  ceci je devais me rĂ©soudre, puisqu’étant donnĂ© l’exceptionnel sujet de ce livre, une quantitĂ© de mots usuels changeaient de sens)[82] ». Utilisation limite du langage visant Ă  contrebalancer son mĂ©pris trop explicite des « adjectifs Ă©culĂ©s si en faveur, et des substantifs anĂ©miques ayant cours[83]. » Toute la difficultĂ© pour Villiers vient de la nĂ©cessitĂ© d’exprimer une vĂ©ritĂ© nouvelle Ă  l’aide de mots connus, pour ĂȘtre compris, sans que ce sens nouveau ne soit rĂ©cupĂ©rĂ© par l’entendement commun. Le sujet de son roman, dit-il, n’est pas « De omni re scibili, mais [
] Et quibusdam aliis[84] ». Une locution latine, qu’il coupe en deux et qui se traduit par : « De toutes les choses qu’on peut savoir, et mĂȘme de plusieurs autres. » L’enjeu est d’exprimer l’inconnu Ă  l’aide du connu, de maniĂšre qu’il soit vraisemblable.

Le connu et l’inconnu participe de l’ambivalence inhĂ©rente au mot. Tout comme la foule est Ă  la fois prĂ©texte Ă  prĂ©jugĂ©s, vĂ©hicule d’une doxa ingrate[85], mais aussi source de la seule vĂ©ritable reconnaissance Ă  laquelle peut aspirer le gĂ©nie, le mot est, la plupart du temps, galvaudĂ©, « mort », comme nous l’avons dit, mais il reprĂ©sente d’un autre cĂŽtĂ© la seule possibilitĂ© d’une vĂ©ritable expression. Cette ambivalence explique la tentation du silence qu’éprouve Villiers, comme il l’affirme dans une critique de Hamlet : « le GĂ©nie pur est, essentiellement, silencieux, [
] sa rĂ©vĂ©lation rayonne plutĂŽt dans ce qu’il sous-entend que dans ce qu’il exprime[86]. » Son malheur est qu’« il est contraint de s’amoindrir pour passer dans l’Accessible. Sa premiĂšre dĂ©chĂ©ance consiste, d’abord, Ă  se servir de la parole, la parole ne pouvant jamais ĂȘtre qu’un trĂšs faible Ă©cho de sa pensĂ©e[87]. » L’opinion de Villiers sur la possibilitĂ© d’une expression pure demeure fluctuante au grĂ© des textes. Ailleurs, elle est envisagĂ©e : « Si je pense magnifiquement, on trouve ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đ ce que j’écris. Ce n’est pourtant que ma pensĂ©e clairement dite – et non point de la littĂ©rature, laquelle n’existe pas et n’est que la clartĂ© mĂȘme de ce que je pense[88]. » PlutĂŽt que littĂ©rature il faudrait dire, si l’on suit Villiers, poĂ©sie, puisqu’elle est d’aprĂšs lui la seule forme d’expression qui fasse une avec la pensĂ©e.

« Être poĂšte, cela veut dire ĂȘtre un esprit droit, Ă©levĂ©, exact et savant[89] », affirme Villiers dans son unique texte critique publiĂ© ayant pour objet un roman, le Dragon impĂ©rial de Judith Gautier, oĂč il s’étale longuement sur la poĂ©sie. Il ne faut pas voir ce traitement du romanesque Ă  travers le prisme de la poĂ©sie comme une insolence de poĂšte. En de nombreux endroits, Villiers sous-entend qu’elle est intimement liĂ©e au roman. Il qualifie d’ailleurs Flaubert de « PoĂšte colossal[90] ». Il faut croire que c’est tout Ă  l’avantage du roman, puisque « [la] poĂ©sie est la seule royautĂ© dont la couronne soit Ă©ternelle[91] », et c’est sur elle qu’est « fondĂ©e la morale de l’humanitĂ©[92] ». Elle est la vĂ©ritĂ© de la parole.

Conclusion : Un effort de synthĂšse : le roman guerrier.

On peut dĂ©sormais comprendre, au moins en partie, la raretĂ© du roman dans la production de Villiers. Ses conditions matĂ©rielles, d’une part, le poussent Ă  Ă©crire de courts textes, rapidement finis et rapidement publiĂ©s. Il y a, d’autre part, le mĂ©pris du rĂ©alisme. Le roman doit composer avec la rĂ©alitĂ© et, pour Villiers, la vĂ©ritĂ© de celle-ci repose dans ses virtualitĂ©s, c’est-Ă -dire dans ce qu’elle peut ĂȘtre, et non pas ce qu’elle est supposĂ©ment. Le sens commun qui dĂ©cide de ce qui est vrai ou faux, de ce qui est sĂ©rieux ou fantasque, porte finalement une rĂ©alitĂ© morte, risible, que seule une parole, neuve, pourra rĂ©vĂ©ler comme telle. La parole est ce qui montre les choses telles qu’elles sont et telles qu’elles pourront ĂȘtre. Mais alors, pourquoi le roman ?

À l’intĂ©rieur du roman, la parole s’incarne. Les deux cas sur lesquels nous nous sommes attardĂ©s, Tribulat Bonhomet et Thomas Edison montrent que Villiers ne crĂ©e pas des caractĂšres, ni des types, mais des idiomes. Le roman est l’occasion d’affecter le rĂ©el Ă  partir d’une parole, qui, si elle ne s’entend pas dans la rue, doit avoir toutes les allures de l’évidence, c’est uniquement de la sorte qu’elle peut faire accepter la vĂ©ritĂ© qu’elle Ă©nonce. Le roman est bien de cette façon une « Ɠuvre d’art-mĂ©taphysique », mais aussi une arme de guerre ; il use d’un subterfuge pour rendre le rĂ©el friable. Les mots de Bonhomet et d’Edison pourrait ĂȘtre prononcĂ©s, et c’est en vertu de cette possibilitĂ© qu’ils agissent sur le rĂ©el, car ils pourraient ĂȘtre le rĂ©el. Celui-ci est une sorte de tissu trouĂ© par certains mots, certaines personnes, certains types, qui ouvrent l’imaginaire[93]. La foule et ses lĂ©gendes percent, autrement dit, l’aspect homogĂšne de la rĂ©alitĂ©, et c’est ce qu’investit le roman.

C’est peut-ĂȘtre lĂ  un autre aspect par lequel le roman se diffĂ©rencie de la poĂ©sie ; la fiction est le lieu oĂč la faussetĂ© Ă©nonce une vĂ©ritĂ© plus vraie que le rĂ©el. Que ce soit pour faire voir les virtualitĂ©s surrĂ©elles de la science, par l’intermĂ©diaire des soliloques du positiviste Edison, ou que ce soit pour faire sentir l’idiotie commune, et montrer ses implications, par le truchement des idĂ©es bourgeoises de Bonhomet, les paroles des personnages de Villiers sont des discours, qui, comme le « gĂ©nie », qui « ne crĂ©e pas, [mais] transparaĂźt[94] », Ă©clairent des idĂ©es qui resteraient dans les « tĂ©nĂšbres[95] » sans eux. La vraisemblance de la fiction est le « voile[96] » que doit emprunter la vĂ©ritĂ© pour se manifester.

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[1] Auguste de Villiers de l’Isle-Adam, « Les phantasmes de M. Redoux », dans ƒuvres complĂštes, vol. II, Paris, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », 1986, p. 262-268, initialement publiĂ© dans Histoires insolites. DĂ©sormais abrĂ©gĂ© en O.C., suivit du numĂ©ro de volume et de la page.

[2] Cf. Alan Raitt, Villiers de l’Isle-Adam et le mouvement symboliste, Paris, JosĂ© Corti, 1965, p. 19-21.

[3] Robert du Pontavice de Heussey, Villiers de l’Isle-Adam, citĂ© par Pierre-Georges Castex et Alan Raitt, l’« Histoire du texte », O.C., vol. I, p. 1459.

[4] Idem.

[5] Ibid., p. 1460-1461.

[6] L’ouvrage est tirĂ© Ă  100 exemplaires en 1862. En 1871, il est introuvable mĂȘme pour Villiers : « Je n’ai qu’un certain volume intitulĂ© Isis, mais j’ai couru inutilement pour en trouver un seul, et je crois qu’on n’en pourrait dĂ©couvrir un exemplaire que sur les quais, par hasard, quelque jour. » Lettre Ă  Gaston Hirsch, aoĂ»t 1871, dans Correspondance gĂ©nĂ©rale de Villiers de l’Isle-Adam et document inĂ©dits (Ă©d. Joseph Bollery), t. I, Paris, Mercure de France, 1962, p. 170. DĂ©sormais abrĂ©gĂ© en C.G., suivit du numĂ©ro de tome et du numĂ©ro de la page. Cf. Pierre-Georges Castex et Alan Raitt, « Histoire du texte », O.C., vol. I, p. 1055-1059.

[7] Alan Raitt, Villiers de L’Isle-Adam : Exorciste du rĂ©el, Paris, JosĂ© Corti, 1987, p. 42.

[8] Alan Raitt, Villiers de l’Isle-Adam et le mouvement symboliste, op. cit., p. 44.

[9] Vittorio Pica à Villiers de l’Isle-Adam, 18 janvier 1887, C.G., vol. II, p. 158.

[10] Idem.

[11] Adrien Remacle, Cahiers de ma vie, rapportĂ© par Fernand Clerget, Villiers de l’Isle-Adam, Louis-Michaud, 1913, p. 131. Dans Chantal Collion DiĂ©rickx, La femme, la parole et la mort dans ŽĄłæĂ«±ô et L’Ève future, Paris, HonorĂ© Champion, coll. « Romantisme et modernitĂ©s », 2001, p. 120.

[12] ±·ŽÇłŸłŸĂ©łŸ±đČÔłÙ Le Candidat et La tentation de Saint-Antoine, dans O.C., vol. II, p. 459-463 et 472-475.

[13] « Gentilhomme de la plume », O.C., vol II, p. 985.

[14] Idem.

[15] Ibid., p. 986.

[16] Idem.

[18] Auguste de Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1993 [1886], p. 38.

[19] Remy de Gourmont, Le livre des masques, [lieu inconnu], Ligaran, 2015, p. 59

[20] Lettre de Villiers Ă  Joris-Karl Huysmans du 25 octobre 1886, dans LĂ©on Bloy, Joris-Karl Huysmans et Auguste Villiers de l’Isle-Adam, Lettres : correspondance Ă  trois (Ă©d. Daniel Habrekorn), Thot, Vanves, 1980, p. 69.

[21] Lettre de Villiers Ă  Joris-Karl Huysmans du 25 octobre 1886, ibid., p. 70.

[22] Gustave Guiches tĂ©moigne ainsi des conditions dans lesquelles fut rĂ©digĂ©e L’Ève future : « Rue de Maubeuge, dans l’horreur glaciale d’une chambre vidĂ©e de ses meubles, il a Ă©crit, couchĂ© Ă  plat ventre sur le plancher, dĂ©layant dans l’eau les derniĂšres gouttes de son encrier, de longs chapitres de L’Ève future. » Gustave Guiches, « Villiers de l’Isle-Adam intime », citĂ© par Alan Raitt, Villiers de l’Isle-Adam : Exorciste du rĂ©el, op. cit., p. 196.

[23] Auguste Villiers de l’Isle-Adam, Lettre à Gabriel Mourey du 3 janvier 1888, C.G., t. II, p. 207.

[24] Idem.

[25] Lettre à Mallarmé du 11 septembre 1866, C.G., t. I, p. 99.

[26] Lettre Ă  Adrien Remacle du 24 janvier 1886, C.G., t. II, p. 107.

[27] Lettre Ă  LĂ©on Bloy du 24 juin 1886, C.G., t. II, p. 122. L’auteur souligne et, Ă  moins d’indication contraire, toute utilisation de l’italique et des lettres capitales au sein des citations est le fait de Villiers de l’Isle-Adam.

[28] Lettre Ă  Mme Veuve Tresse du 16 avril 1878, C.G., t. I, p. 241.

[29] Lettre à Mallarmé du 27 septembre 1867, C.G., t. I, p. 113.

[30] Idem.

[31] Lettre à Mallarmé du 11 septembre 1866, C.G., t. I, p. 99.

[32] Elle est longue de 76 pages dans l’édition de la PlĂ©iade, O.C., t. II, p. 145-221.

[33] Auguste Villiers de l’Isle-Adam, « Claire Lenoir », dans Clair Lenoir et autres contes insolites, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1984, p. 29. Les infusoires sont des organismes unicellulaires microscopiques.

[34] Ibid., p. 28.

[35] Ibid., p. 52.

[36] Idem.

[37] Ibid., p. 53.

[38] Idem.

[39] Idem.

[40] Idem.

[41] Ibid., p. 54.

[42] « Le réalisme dans la peine de mort », O.C., vol. II, p. 450.

[43] Ibid., p. 451.

[44] Idem.

[45] Ibid., p. 454.

[46] « Provinciaux de l’esprit », dans O.C., vol. II, p. 998-999.

[47] Ibid., p. 998.

[48] Ibid., p. 999.

[49] « Placiers de mots », O.C., vol. II, p. 999.

[50] Idem.

[51] Le łąŸ±łÙłÙ°ùĂ© dĂ©finit « placier » : « Celui, celle qui s'occupe du placement d'articles de commerce, d'ouvrages de librairie, etc. », dans Émile łąŸ±łÙłÙ°ùĂ©, « Placier », Le łąŸ±łÙłÙ°ùĂ©,Ìę,Ìę [consultĂ© le 10 janvier 2022].

[52] « Placiers de mots », O.C., vol. II, p. 999

[53] « Fragments divers », O.C., vol. II, p. 1001.

[54] « Profession de foi », O. C., vol. II, p. 232.

[55] Idem.

[56] La RĂ©volte, O.C., vol. I, p. 383.

[57] Lettre à Mallarmé du 11 septembre 1866, C.G., t. I, p. 99.

[58] Lettre d’EugĂšne LefĂ©bure Ă  MallarmĂ© du 2 novembre 1865, C.G., t. I, p. 80

[59] Isis, O.C., vol. I, p. 101.

[60] Idem.

[61] Idem.

[62] Lettre à Mallarmé du 5 janvier 1874, C. G., t. I, p. 184.

[63] Idem.

[64] Ibid., p. 185. Le mariage n’aura pas lieu.

[65] Cf. Pierre-Geroges Castex et Alan Raitt, « Histoire du texte », dans Auguste Villiers de l’Isle-Adam, O.C., vol. I, p. 1462.

[66] Lettre à Jean Marras du « 5 ou 6 février » 1879, C.G., t. I, p. 262.

[67] Idem.

[68] Idem.

[69] « Avis au lecteur », dans O.C., vol. I, p. 765.

[70] Idem.

[71] Idem.

[72] Idem.

[73] Alan Raitt et Pierre-Georges Castex, « Histoire du texte », dans Auguste Villiers de l’Isle-Adam, O.C., vol. I, p. 1556.

[74] « Avis au lecteur », O.C., vol. I, p. 1557.

[75] Idem.

[76] Idem.

[77] Ibid., p. 1558.

[78] « La tentation de Saint-Antoine », O.C., vol. II, p. 473.

[79] Ibid., p. 472.

[80] « Avis au lecteur », O.C., vol. I, p. 1558.

[81] Ibid., p. 1557-1558.

[82] Ibid., p. 1559.

[83] Idem.

[84] Idem.

[85] Ce sera l’objet de la critique de Villiers d’une piĂšce de thĂ©Ăątre de Flaubert, « Le Candidat », O.C., vol. II, p. 459-463.

[86] « Hamlet », O.C., vol. II, p. 426.

[87] Idem.

[88] Fragments divers, O.C., vol. II, p. 1008.

[89] « Le Dragon impérial », O.C., vol. II, p. 790.

[90] Lettre Ă  Gustave Flaubert [1864], C. G., t. I, p. 67.

[91] « Le Dragon impérial », O.C., vol. II, p. 790.

[92] « Le Dragon impérial », O.C., vol. II, p. 790.

[93] Pour Jean-Paul GourĂ©vitch, le fantastique de Villiers crĂ©Ă© une situation « oĂč l’imagination menace perpĂ©tuellement le rĂ©el ». Op. cit., p. 63.

[94] « Hamlet », O.C., vol. II, p. 426.

[95] Idem.

[96] Idem.

Bibliographie :

Corpus et liste des abréviations :

  • C.G. : Villiers de l’Isle-Adam, Auguste de, Correspondance gĂ©nĂ©rale et documents inĂ©dits (Ă©d. Joseph Bollery), t. I et II, Paris, Mercure de France, 1962.
  • Villiers de l’Isle-Adam, Auguste de, « Claire Lenoir », dans Clair Lenoir et autres contes insolites, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1984, p. 25-122.
  • O.C. : Villiers de l’Isle-Adam, Auguste de, ƒuvres complĂštes (Ă©d. Pierre-Georges Castex et Alan Raitt), vol. I et II, Paris, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », 1986.

Textes critiques :

  • łąŸ±łÙłÙ°ùĂ©, Émile, « Placier », Le łąŸ±łÙłÙ°ùĂ©, ,Ìę[consultĂ© le 10 janvier 2022].
  • GourĂ©vitch, Jean-Paul, « Villiers de l’Isle-Adam : ou l’univers de la transgression », dans Villiers de l’Isle-Adam, Paris, Seghers, coll. « Écrivains d’hier et d’aujourd’hui », 1971, p. 15-99.
  • Guiches, Gustave, « Villiers de l’Isle-Adam intime », citĂ© par Alan Raitt, Villiers de l’Isle-Adam : Exorciste du rĂ©el, Paris, JosĂ© Corti, 1987, p. 196.
  • Raitt, Alan, Villiers de l’Isle-Adam et le mouvement symboliste, Paris, JosĂ© Corti, 1965.
  • Raitt, Alan, Villiers de L’Isle-Adam : Exorciste du rĂ©el, Paris, JosĂ© Corti, 1987.
  • Remacle, Adrien, Cahiers de ma vie, rapportĂ© par Clerget, Fernand, Villiers de l’Isle-Adam, Louis-Michaud, 1913. Et citĂ© par Collion DiĂ©rickx, Chantal, La femme, la parole et la mort dans ŽĄłæĂ«±ô et L’Ève future, Paris, HonorĂ© Champion, coll. « Romantisme et modernitĂ©s », 2001.

Bibliographie

Ouvrages cités

Villiers de l’Isle-Adam, Auguste de, Correspondance gĂ©nĂ©rale de Villiers de l’Isle-Adam : et documents inĂ©dits (Ă©d. Joseph Bollery), t. I et II, Paris, Mercure de France, 1962.

Villiers de l’Isles Adam, Auguste de, ƒuvres complĂštes, vol. I et II, Paris, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », 1986.

Citations

Correspondance gĂ©nĂ©rale de Villiers de l’Isle-Adam : et documents inĂ©dits (Ă©d. Joseph Bollery), t. I, Paris, Mercure de France, 1962.

Lettre à Stéphane Mallarmé, 11 septembre 1866, p. 99.

« Claire Lenoir, un roman terminĂ©, va paraĂźtre dans l’Epoque. Je vous l’enverrai. [
] Claire Lenoir et Yseult sont des contes terribles Ă©crits d’aprĂšs l’esthĂ©tique d’Edgard [sic] Poe. Et j’ai obtenu de tels ČőłÜłŠłŠĂšČő de fous-rires chez Leconte de Lisle (MĂ©nard se cachait sous les sofas Ă  force de rire, et les autres Ă©taient malades) que j’ai bon espoir. Le fait est que je ferai du bourgeois, si Dieu me prĂȘte vie, ce que Voltaire a fait des “clĂ©ricaux”, Rousseau des gentilshommes et MoliĂšre des mĂ©decins. Il paraĂźt que j’ai une puissance grotesque dont je ne me doutais pas. Enfin nous rirons un peu. [
] Vous verrez mes types, Bonhomet, Finassier et Lefol : je les Ă©namoure et les cisĂšle avec toute ma complaisance. Bref, je crois que j’ai trouvĂ© le dĂ©faut de la cuirasse et que ce sera inattendu. »

Lettre à Jean Marras, 5 ou 6 février 1879, p. 262.

« Quant au livre [L’Ève future], dont j’écris actuellement le cinquante-deuxiĂšme et dernier chapitre, c’est une Ɠuvre dont l’apparition fera, je crois, sensation un peu au large, car, pour la premiĂšre fois de ma vie, je n’y plaisante plus.

[
] Tiens, Ă©coute : c’est un livre vengeur, brillant, qui glace et qui force toutes les citadelles du RĂȘve!

Jamais, jamais je ne me serais cru capable de tant de persĂ©vĂ©rance dans les analyses ! – de tant d’homogĂ©nĂ©itĂ© dans la composition, de tant d’imaginations Ă©tourdissantes, et dont, jusqu’à moi, personne, entends-tu, n’a osĂ© les merveilleuses et nouvelles Ă©vocations. Tu peux me croire, c’est un incitateur et un tombeur ; je crois fermement qu’il est immortel, et je m’emballe, ici, Ă  bon escient.

– Au point de vue SUCCÈS, je le crois l’équivalent du Don Quichotte de CervantĂšs de SaavĂ©dra, (Ă  l’équivalence de l’époque) ; je te dis au point de vue ČőłÜłŠłŠĂšČő, comme genre de ČőłÜłŠłŠĂšČő, enfin, mais c’est autre chose. »

ƒuvres complĂštes, vol. I, Paris, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », 1986.

« À Monsieur Hyacinthe du Pontavice de Heussey », p. 101.

« Permettez-moi, Monsieur et bien cher ami, de vous offrir cette Ă©tude en souvenir des sentiments de sympathie et d’admiration que vous m’avez inspirĂ©es.

Isis est le titre d’un ensemble d’ouvrages qui paraĂźtront, si je dois l’espĂ©rer, Ă  de courts intervalles : c’est la formule collective d’une sĂ©rie de romans philosophiques ; c’est l’x d’un problĂšme et d’un idĂ©al ; c’est le grand inconnu. L’ƒuvre se dĂ©finira d’elle-mĂȘme une fois achevĂ©e. »

« Avis au lecteur [de L’Ève future] », p. 765.

« Il me paraßt de toute convenance de prévenir une confusion possible relativement au principal héros de ce livre.

Chacun sait aujourd’hui qu’un trĂšs illustre inventeur amĂ©ricain, M. Edison, a dĂ©couvert, depuis une quinzaine d’annĂ©es, une quantitĂ© de choses aussi Ă©tranges qu’ingĂ©nieuses ; – entre autres le TĂ©lĂ©phone, le Phonographe, le Microphone [
].

En AmĂ©rique et en Europe, une LÉGENDE s’est donc Ă©veillĂ©e, dans l’imagination de la foule, autour de ce grand citoyen des États-Unis. C’est Ă  qui le dĂ©signera sous de fantastiques surnoms, tels que le MAGICIEN DU SIÈCLE, le SORCIER DE MENLO PARK, le PAPA DU PHONOGRAPHE, etc., etc. [
]

DĂšs lors, le PERSONNAGE de cette lĂ©gende, – mĂȘme du vivant de l’homme qui a su l’inspirer, – n’appartient-il pas Ă  la littĂ©rature humaine ? [
]

Donc, l’EDISON du prĂ©sent ouvrage, son caractĂšre, son habitation, son langage et ses thĂ©ories sont – et devaient ĂȘtre – au moins passablement distinct de la rĂ©alitĂ©.

Il est, ainsi, bien Ă©tabli que j’interprĂšte une lĂ©gende moderne au mieux de l’Ɠuvre d’Art-mĂ©taphysique dont j’ai conçu l’idĂ©e, qu’en un mot le hĂ©ros de ce livre est, avant tout, le “sorcier de Menlo Park”, etc. – et non M. l’ingĂ©nieur Edison, notre contemporain. »

« Avis au lecteur [de L’Ève future, non publiĂ©] », p. 1557-1559.

« Je me trouvais donc placĂ© dans cette alternative, ou, pour demeurer intelligible de la plupart des lecteurs mondains, de faire, scientifiquement, divaguer quelque peu le cĂŽtĂ© ingĂ©nieur de notre sorcier, – ou de quitter, brusquement, la plume, et, prenant la craie, de passer au tableau noir : – c’est-Ă -dire d’employer, tout d’un coup, dans une Ɠuvre avant tout philosophique et ±ôŸ±łÙłÙĂ©°ùČčŸ±°ù±đ, la langue rigoureuse et sĂ©vĂšre de l’algĂšbre, de surcharger, des signes de “l’intĂ©grale”, des pages entiĂšres, enfin cesser d’ĂȘtre lisible pour le plus grand nombre.

[
] Non seulement c’eĂ»t Ă©tĂ© dĂ©truire l’harmonie de ton ČÔĂ©łŠ±đČőČőČčŸ±°ù±đ de ce livre, – ton lĂ©ger s’il en fut ! – et dĂ©rĂ©gler sa composition, [
] [et], procĂ©dant de cette maniĂšre, l’Ɠuvre cessait d’ĂȘtre ce que ma conception voulait ĂȘtre. [
]

Oui, j’ai prĂ©fĂ©rĂ©, je l’avoue, passer pour “fantaisiste” aux yeux de certains benoĂźts lecteurs, plutĂŽt que de cesser d’ĂȘtre accessible mĂȘme Ă  la plus Ă©paisse ignorance. [
]

Quant aux cuistres et savantasses qui, pareils Ă  de lourds Ă©tourneaux, pourraient trouver Ă  reprendre, en telle ou telle expression scientifique, dont je me suis servi exprĂšs dans telle acception nouvelle, [
] je me contenterai de rappeler Ă  leur mĂ©moire les deux ou trois lettres qu’un de leurs confrĂšres s’attira de la part d’un littĂ©rateur français, M. Gustave Flaubert –, ce “savant” s’étant permis de le “reprendre” et de le “plaisanter de haut” sur la reconstruction de Carthage. Il n’en resta plus grand-chose, en vĂ©ritĂ©, de ce “savant”-lĂ .

Concluons.

Lorsque l’exactitude du fond s’impose, Ă  tous, comme Ă©vidente, en tant que possible, – tout moyen de donner cette impression-lĂ , qui est la principale, me semble bon, me semble le meilleur ; et je persiste Ă  croire, jusqu’à nouvel ordre, qu’il n’est, alors, nul besoin de la sĂ©cheresse du chiffre, non plus que d’une technique dĂ©placĂ©e, oiseuse, pour dĂ©montrer outre mesure cette mĂȘme Ă©vidence. Celle dont il est question en ce livre nĂ©cessitait un peu d’ombre. Si, donc, les solutions donnĂ©es sont plutĂŽt d’un enchanteur que d’un Ă©lectricien, n’ai-je pas Ă©tĂ© logique en ceci, puisque ces solutions [
] sont prĂ©cisĂ©ment conformes Ă  la nature du lĂ©gendaire Magicien qui les expose, comme en une sorte de rĂȘve clairvoyant ?

[
] Ce serait donc faire une dĂ©pense d’esprit inutile que de me reprocher ma [sic] affectation d’ignorance, – mes redites de choses ressassĂ©es, l’usage que j’ai choisi d’un certain ton, confinant, parfois, surtout au dĂ©but, Ă  celui du Puff amĂ©ricain, – mon soulignage extraordinaire de mots et mon luxe exagĂ©rĂ© de capitales ; – (Ă  ceci je devais me rĂ©soudre, puisqu’étant donnĂ© l’exceptionnel sujet de ce livre, une quantitĂ© de mots usuels changeaient de sens) – mon mĂ©pris, trop accentuĂ©, des adjectifs Ă©culĂ©s si en faveur, et des substantifs anĂ©miques ayant cours.

En vĂ©ritĂ©, pour inachevĂ©, pour incomplet qu’il soit ou puisse ĂȘtre, ce livre ne sera pas atteint par de tels reproches, puisque nul ne saurait contester, d’abord, qu’il est SOLITAIRE dans la littĂ©rature humaine. Je ne lui connais ni de prĂ©cĂ©dents, ni de congĂ©nĂšres, ni d’analogues, quelque colĂšre, quelque indiffĂ©rence qu’il suscite, – non, je ne le crois pas de ceux qu’on oublie, car ce dont il agite [sic], en rĂ©alitĂ©, en ses sombres pages, n’est nullement du fameux De omni re scibili, mais de l’Et quibusdam aliis. »

ƒuvres complĂštes, vol. II, Paris, Gallimard, coll. « BibliothĂšque de la PlĂ©iade », 1986.

« Le réalisme dans la peine de mort », p. 450.

« Quoi ! plus d’échafaud ?... Non. Les sept marches sont supprimĂ©es. Signe des temps. Guillotine de progrĂšs dont on ne se range que
 comme de la courroie de transmission d’un moteur. En vĂ©ritĂ©, ce meuble pourrait servir Ă  couper le pain chez les grands boulangers. OĂč donc est la simple dignitĂ© de la Loi, l’indĂ©modĂ©e solennitĂ© de la Mort, la hauteur de l’exemple, le “sĂ©rieux” de la sentence ? Phrases, paraĂźt-il, tout cela


C’en est une aussi, de dire cela : car on ne sort pas des phrases, sur la terre. Les uns se traduisent en phrases viles, les autres en phrases nobles : – chacun son choix : et l’on n’est pas libre de choisir : c’est fait en naissait, de quelque sourire que l’on essaie d’en douter. »

« [Provinciaux de l’esprit] », ibid., p. 998-999.

« Les “rĂ©alistes” sont des gens heureux et qui s’aiment entre eux, comme le dit le seul poĂšte exclusivement “français” que nous ayons depuis la Chanson de Geste. Je cite M. de BĂ©ranger, non point parce que j’aime outre mesure la poĂ©sie de ce gentilhomme : j’estime, au contraire, que son “Dieu des bonnes gens” n’est qu’un simple “mastroquet” et que sa Lisette au sourire et au petit bonnet folichon ne vaut pas un bon cigare et le volume de la Mystique de Görres que j’ai devant les yeux. VoilĂ  comme je suis, nonobstant les clairvoyants cerveaux de MM. Champfleury, Castagnary et tutti quanti : les rĂ©alistes sont les Ă©ternels provinciaux de l’Esprit humain. Ils ont raison comme le fossoyeur a raison. Ils ont beau fouetter leurs rosses noires, ils n’arriveront jamais qu’au cimetiĂšre. Nous connaissons les cimetiĂšres aussi bien qu’eux ; mais nous connaissons autre chose aussi, qu’ils ignorent Ă  tout jamais.

« [Placiers de mots] », ibid., p. 999.

« C’est le vivant du livre qui fait sa valeur, embellissant d’avance tous les mots qui sont venus se grouper sur son ĂȘtre comme la limaille de fer autour de l’aimant. Les placiers de mots sont vouĂ©s au nĂ©ant. Leur Ɠil, s’ils lisent un chef-d’Ɠuvre, pour essayer d’en piller les scintillements et d’en dĂ©marquer les Ă©clairs, ne diffĂšre pas de l’Ɠil du DĂ©crochez-moi ça regardant quelque ancienne Ă©pĂ©e hĂ©roĂŻque. C’est qu’ils vivent au milieu des dĂ©froques dont se vĂȘtirent des hommes peut-ĂȘtre illustres, et dont ils trafiquent symboliquement les hardes fanĂ©es. »

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